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le Mercredi 31 mars 2021 23:58 À redécouvrir

À Edmonton, l’errance comme seule perspective

Une réalité de l’itinérance difficile à accepter. Crédit : Gabrielle Beaupré
Une réalité de l’itinérance difficile à accepter. Crédit : Gabrielle Beaupré
Pris dans un cercle vicieux, les sans-abri ont de la difficulté à en sortir. Leurs instincts de survie sont constamment mis à l’épreuve par de nombreux défis quotidiens. Accompagné de Kevin Bell, bénévole auprès des itinérants, Le Franco s’est rendu au Shaw, un refuge temporaire situé au Centre de Convention d’Edmonton et s’est joint pendant une soirée à lui et Vee Point, un ancien sans-abri et militant de l’itinérance, pour aller leur porter de la nourriture.
À Edmonton, l’errance comme seule perspective
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À l’extérieur, la cour du refuge est clôturée par un grillage. Kevin Bell, ancien travailleur du système pénitentiaire, remarque que l’aménagement ressemble à une prison. Les personnes fument cigarettes, marijuana et une forte odeur de crack est ressentie.

À l’entrée, un membre du personnel prend la température, inscrit le nom des nouveaux arrivés sur une tablette électronique et leur demande où ils ont passé leur dernière nuit. Le couvre-visage est requis, mais le personnel en fournit au besoin. Par la suite, un agent de sécurité fouille les sacs.

Les itinérants ne se laissent généralement pas prendre en photos, car ils ont honte de leur situation de vie. Crédit : Gabrielle Beaupré.

Cohabitation difficile 

Peter habite depuis 1 mois et demi au refuge. Ce francophone dit détester y habiter, mais n’a pas le choix en raison de l’hiver edmontonien. Il a hâte du retour des températures clémentes pour quitter ces lieux et retourner vivre à l’extérieur, sous sa tente.

Il mentionne que la cohabitation est très difficile. Peter indique que les bagarres sont fréquentes. Il ajoute n’avoir aucun problème avec personne et que personne n’a de problème avec lui. Cependant, il dit s’être « fait voler son cellulaire récemment » et que d’autres se sont fait voler leurs articles personnels. « On a de bonnes personnes ici, mais on a également des voleurs, des violeurs et des assassins », indique-t-il.

Kevin Bell souligne la lourdeur de l’ambiance du refuge. « Les conditions de vie sont tellement difficiles que les itinérants boivent et consomment pour pouvoir les surmonter ».  Il ajoute que la plupart d’entre eux ont des troubles concomitants de consommation et de santé mentale. Le militant remarque que leur seule alternative est le camping d’hiver. « Ce sont des gens ayant de bonnes capacités de survie qui peuvent vivre à l’extérieur en hiver ». Pourtant chaque année, plusieurs personnes décèdent dans le froid extrême des rues de la ville.

En général, les campeurs itinérants choisissent des endroits peu visibles. Kevin Bell relate qu’ils se heurtent parfois à des ordres policiers leur demandant de quitter les lieux en raison de plaintes de résidents aux alentours.

Défis quotidiens

Lors de la tournée de nourriture, Kevin Bell et Vee Point ont donné 40 soupes, du pain, des jus de fruits et des cigarettes. Kevin souligne que « trouver de la nourriture est un défi pour les itinérants ». Vee Point, activiste qui a connu la réalité de la rue, renchérit. « Quand on est sans-abri, on a tout le temps faim ». Lorsque les deux hommes portent de la nourriture aux itinérants, ils relatent avoir peu de refus et mentionnent être remerciés avec gratitude.

Pendant la soirée, les deux hommes ont offert de la nourriture à un homme n’ayant pas soupé. Ce dernier indique que le refuge où il réside n’avait pas assez de portions pour lui. Vee Point, venant en aide aux itinérants depuis trois ans, relate que tous les centres pour sans-abri préparent un nombre x de repas. S’il y a moins de portions que de personnes, ces derniers devront trouver de la nourriture ailleurs ou ne mangeront pas.

La file pour attendre les repas dans le refuge des sans-abri. Il n’y a aucun choix de menu. Le repas était une poutine avec des petits pois verts. Crédit : Gabrielle Beaupré
Bien que certains reçoivent de l’aide pour se trouver un logement, Kevin Bell nuance que le système est très bureaucratique et ne convient pas aux itinérants. Grant [nom fictif], un sans-abri accro aux opioïdes rencontré près d’un Tim Horton, en est le parfait exemple.

Il raconte être dans l’attente, avec sa blonde, d’un endroit où vivre. Ne possédant pas de téléphone cellulaire, il a beaucoup de difficulté à garder contact avec les agences. Parfois, il réussit à obtenir un rendez-vous, mais son problème de consommation lui fait perdre le sens du temps et il ne s’y présente pas. Les fois qu’il se présente à l’agence, il se fait toujours dire que l’appartement est désormais indisponible, mais qu’il était disponible quelques jours plus tôt.

Selon les statistiques de Homeward Trust Edmonton, en décembre 2020, 1 897 personnes étaient itinérantes à Edmonton : 47 % étaient des femmes, 32 % des jeunes et 54 % des autochtones.

En route pour dénoncer la pauvreté

Vee Point est un ancien itinérant qui, suite à de nombreux séjours en prison et à de nombreux passages dans la rue, a réalisé que «son style de vie n’avait pas d’allure». Il a alors pris les moyens d’y remédier il y a trois ans. Depuis, il vient régulièrement en aide aux sans-abri en leur apportant chaque jour de la nourriture et en leur donnant du réconfort.

Pour dénoncer leurs conditions de vie et sensibiliser la population à la cause, Vee Point a marché de Calgary à Edmonton en traînant un chariot en solidarité avec les itinérants. Le 2 mars, Vee Point est parti à 8 h de la mairie de Calgary et a marché 40 kilomètres par jour sur l’autoroute 2A pour arriver devant la législature d’Edmonton le 9 mars.