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le Vendredi 9 avril 2021 18:55 Campus Saint-Jean

Financement du Campus Saint-Jean : le juste prix

Financement du Campus Saint-Jean : le juste prix
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Le gouvernement de l’Alberta sort l’artillerie lourde. En août 2020, l’Association canadienne-française de l’Alberta (ACFA) attaquait en justice la province et l’Université de l’Alberta concernant le sous-financement du Campus Saint-Jean. Pour la seule période d’août 2020 à fin mars 2021, le gouvernement de l’Alberta a consacré 1,5 million de dollars à sa défense dans ce dossier. 

Stéphanie Chouinard est professeure spécialisée en droits linguistiques au Collège militaire royal du Canada. Crédit: courtoisie

« Le gouvernement provincial sort les gros canons », analyse Stéphanie Chouinard, professeure spécialisée en droits linguistiques au Collège militaire royal du Canada. Considérant les moyens « beaucoup moindres » auxquels ont normalement accès les organismes communautaires, elle affirme que cette somme est « intimidante ».

Les spécialistes restent prudents dans leurs propos. En effet, les comparaisons sont quasiment inexistantes. Dans ce genre d’affaires, face à des minorités, les gouvernements recourent habituellement à une expertise juridique interne. Ils sont défendus par le bureau du procureur général et ne publient pas le montant ainsi dépensé.

La cause Caron dans le rétroviseur

« C’est un chiffre surprenant sur une période de 7 mois, commente quant à lui, Justin Kingston, le président de l’Association des juristes d’expression française de l’Alberta. Il y a quelqu’un qui charge 166 000 dollars chaque mois ». Ce quelqu’un qui assurera la défense du gouvernement est le cabinet d’avocats McLennan Ross.

La firme est notamment connue pour avoir plaidé pour la Couronne dans l’affaire l’opposant à Gilles Caron, un camionneur contestant sa contravention écrite seulement en anglais. En 2015, la Cour suprême avait donné raison à la province : aucun élément historique n’empêche l’Alberta de se déclarer unilingue sur le plan législatif. À l’époque, l’avocate francophone Teresa Haykowsky plaidait la cause pour la province.

Dans cette même affaire, Gilles Caron était lui défendu par le cabinet PowerLaw. C’est ce dernier qui représentera l’ACFA dans le dossier judiciaire concernant les finances du Campus Saint-Jean. PowerLaw travaille aux côtés de l’ACFA sur le dossier de l’éducation postsecondaire depuis plusieurs années déjà, affirme Isabelle Laurin, la directrice de l’organisme. Habitué à défendre les minorités linguistiques, PowerLaw avait obtenu en avril dernier un jugement favorable de la Cour suprême concernant l’équivalence de l’éducation en Colombie-Britannique.

Le nerf de la guerre

« Le dossier me semble assez compliqué », dit le directeur de l’Observatoire international des droits linguistiques, Érik Labelle. Le professeur à l’Université de Moncton rappelle que le coût d’un procès dépend de plusieurs facteurs, dont la complexité des questions juridiques soulevées. « Si on traite de questions nouvelles ou inédites, plus les débats vont être complexes et vont exiger du temps et des ressources », dit-il.

Érik Labelle, à droite sur la photo, est professeur à l’Université de Moncton et directeur de l’Observatoire international des droits linguistiques. Crédit: Courtoisie

Face à la province et l’Université, l’ACFA compte deux principaux axes d’argumentation. Le premier est le respect de l’entente signée en 1977 entre l’Université de l’Alberta, la province et les Oblats. Ayant récupéré la responsabilité des Oblats dans ce contrat, l’ACFA souhaite faire respecter la clause selon laquelle le Campus Saint-Jean, tout juste cédé à l’époque, « sera maintenu, amélioré et étendu ».

« La nécessité de former des enseignants de langue française » est également une notion de cette entente tripartite. C’est précisément ce sur point que l’ACFA invoque l’article 23 de la Charte canadienne. Comment assurer une éducation en français alors que le seul établissement formateur n’a pas les moyens nécessaires pour former assez d’enseignants ?

La défense de l’ACFA

L’organisme franco-albertain garde la somme qu’elle compte dépenser dans cette affaire confidentielle. Elle pourra cependant compter sur deux sources de financement : le Programme fédéral de contestation judiciaire et l’argent des dons récoltés durant la campagne « Sauvons Saint-Jean ». Jusqu’à présent, la levée de fonds a permis de réunir 15 000 dollars mais l’ACFA dit n’avoir pas encore «pleinement activé la campagne».

« Du jamais vu »

Cet argument place ainsi l’éducation postsecondaire dans l’équation. « Ça serait du jamais vu », commente Érik Labelle. Jusqu’alors, la Cour suprême a toujours interprété la Charte canadienne comme conférant des obligations d’équivalence (entre le système anglophone et francophone) pour l’éducation aux primaire et secondaire.

Cette affaire juridique risque bien de durer plusieurs années. Crédit: Mona Tootoonchinia de Pixabay/ libre de droits

Selon lui, l’argent dépensé par la province servira à commander des études externes qui appuieront les arguments du gouvernement. Dans ce cas, plus d’argent signifie plus de documents pertinents à présenter aux juges, donc un argumentaire de meilleure qualité.

« Un montant comme celui-là témoigne de l’intention de défendre ce dossier-là », selon Érik Labelle.

Répercussions financières

« L’argent que vous payez en impôts sert à lutter contre les droits des minorités linguistiques », a réagi, en anglais, sur Twitter la présidente de l’ACFA. Cette somme représente un peu plus que celle demandée par l’ACFA pour combler les besoins du Campus Saint-Jean à la rentrée dernière : entre 1 et 1,3 million.

Pour la présidente de l’ACFA, la somme dépensée par la province « est peut-être une indication que la province a peur des répercussions de notre action juridique. Parce que si on gagne, surtout sur l’article 23, ça aurait des répercussions pas mal importantes pour le financement du postsecondaire pour les minorités linguistiques. Ce n’est pas un million pour une année qu’on va chercher. C’est un financement sur la durée pour assurer sa pérennité », conclut-elle.

Contacté, le gouvernement de l’Alberta n’a pas souhaité répondre à nos questions.