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La Journée vérité et réconciliation éclipsera-t-elle la Journée du chandail orange?

La Journée vérité et réconciliation éclipsera-t-elle la Journée du chandail orange?
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Un jour, pour souligner l’entrée à l’école de sa petite-fille, une grand-mère lui offrit un gilet orange. Confisqué dès son arrivée au pensionnat, le gilet devint pour la petite Phyllis Webstad un symbole d’espoirs déçus. Quarante ans plus tard, le chandail refit surface lorsqu’elle décida de raconter son histoire. Aujourd’hui, le gilet arraché est devenu un symbole de la Journée nationale sur la vérité et la réconciliation, observée pour la première fois ce 30 septembre. 

Andréanne Joly – Francopresse

Francopresse a parlé à deux femmes qui ont contribué à faire du 30 septembre un jour de réflexion : Phyllis Webstad, fondatrice de l’Orange Shirt Society, et l’ex-députée saskatchewanaise Georgina Jolibois, qui a présenté le premier projet de loi pour créer un jour férié qui commémorerait les victimes et les survivants des pensionnats autochtones.

Un geste symbolique longtemps attendu 

Lorsque la Commission de vérité et réconciliation du Canada (CVR) a déposé son rapport en 2015, Georgina Jolibois venait tout juste d’être élue à la Chambre des communes.

La Journée du chandail orange est célébrée chaque année en Colombie-Britannique. Crédit : Province of British Columbia – Flickr

Constatant rapidement qu’au Parlement, «les peuples autochtones sont une réflexion après-coup», la Saskatchewanaise a voulu faire bouger les choses. 

Elle a ciblé l’appel à l’action numéro 80 de la CVR : «Nous demandons au gouvernement fédéral d’établir comme jour férié, en collaboration avec les peuples autochtones, une journée nationale de la vérité et de la réconciliation pour honorer les survivants, leurs familles et leurs communautés et s’assurer que la commémoration de l’histoire et des séquelles des pensionnats demeure un élément essentiel du processus de réconciliation.»

La députée a déposé le projet de loi C-369 en octobre 2017 ; il est arrivé au Sénat en avril 2019, y a trainé, puis est mort au feuilleton avec le déclenchement d’élections générales en septembre.

Le projet de loi a refait surface un an plus tard, cette fois-ci à l’initiative du gouvernement. Il a vivoté dans les couloirs du Parlement jusqu’à la découverte d’un charnier près d’un ancien pensionnat à Kamloops. 

Alors, en moins d’une semaine, le 30 septembre est devenu la Journée nationale de la vérité et de la réconciliation, un jour férié fédéral. 

La route a été longue, du dépôt du premier projet de loi à la création de cette Journée. Pour Phyllis Webstad, qui dès 2013 a contribué à fonder la Journée du chandail orange du 30 septembre pour rappeler la réalité des pensionnats autochtones, c’est clairement «les ancêtres, les 215 enfants retrouvés à Kamloops qui ont accéléré la chose». 

L’une pour célébrer, l’autre pour se souvenir

Dans la première mouture de son projet de loi, Georgina Jolibois avait demandé que le jour férié soit le 21 juin, Journée nationale des peuples autochtones. Le gouvernement, sous recommandation du Centre national pour la vérité et la réconciliation (CNVR), a préféré aligner cette commémoration avec la rentrée et, surtout, avec la Journée du gilet orange, «qui gagne les écoles du pays pour sensibiliser à la réalité des pensionnats autochtones.»

Avec le recul, Mme Jolibois salue le changement : «En cours du processus, ça avait de plus en plus de sens de créer une journée spéciale pour la vérité et la réconciliation.»

Un chandail remarqué

Ce chevauchement du nouveau jour férié sur la Journée du chandail orange honore celle qui a perdu ledit gilet, il y a près de 50 ans. Mais ce congé ne viendra pas effacer la Journée du gilet orange, foi de Phyllis Webstad : «Il y a de la place pour les deux», assure-t-elle.

Georgina Jolibois lors de la Journée du chandail orange de 2019. (Crédit : Twitter Georgina Jolibois)

En novembre 2018, le CNVR a déposé un mémoire dans le cadre des audiences du comité permanent de Patrimoine canadien entourant le projet de loi C-369. Il y plaide pour que le jour férié ait un lien direct avec la Journée du chandail orange, puisque «partout au pays, la Journée du chandail orange, dédiée à l’éducation et à la commémoration, gagne en popularité. Le travail important qui est accompli ce jour-là en milieu scolaire ne devrait pas être interrompu, mais poursuivi».

«Le 30 septembre sera toujours la Journée du chandail orange, croit Mme Webstad. Le jour férié comme la Journée du chandail orange ont été créés pour discuter de tous les aspects des écoles résidentielles, honorer les survivants et leurs familles et se souvenir de ceux qui n’ont pas survécu. Ce sera tout ça, maintenant.» 

Un gilet orange comme un coquelicot rouge?

En peu d’années, ce gilet à la couleur vive est devenu un symbole de vérité, un peu comme le coquelicot souligne le jour du Souvenir. 

La campagne du coquelicot, coordonnée par la Légion royale canadienne, est encadrée par un protocole ; le coquelicot est utilisé depuis 1921 et est même devenu une marque déposée. Seuls des bénévoles de la Légion royale canadienne peuvent le vendre et les fonds, à l’utilisation strictement règlementée, servent à des subventions de nourriture, de chauffage, de vêtements, d’appareils médicaux, de transport et des programmes de soutien pour les vétérans, visés par le jour du Souvenir.

Élèves cris à leurs pupitres avec leur professeur dans une salle de classe, Pensionnat de All Saints, Lac La Ronge (Saskatchewan), mars 1945. (Crédit : Bud Glunz, Office national du film, Photothèque, Bibliothèque et Archives Canada, PA-134110)

Phyllis Webstad n’est pas encore certaine du rôle que pourra jouer l’Orange Shirt Society dans le déploiement de la Journée nationale de la vérité et de la réconciliation, même si l’organisme fait figure de référence. «Nous allons nous mettre à l’œuvre et faire ce que nous devons faire», laisse-t-elle simplement entendre. 

L’organisme n’a pas eu l’occasion d’ajuster le tir. «Nous devons trouver quel est notre rôle, quelle est notre position, quelle sera notre stratégie et toutes ces choses», ajoute Phyllis Webstad. 

L’organisme a été bousculé, il faut dire. «Nous travaillions sur un plan stratégique lorsque les 215 enfants ont été retrouvés, explique la porte-parole. Ça a tout changé.» La cadence a augmenté dans les bureaux de Williams Lake, en Colombie-Britannique. 

Son plan : «Prendre du recul, respirer un bon coup et trouver ce qu’il faut faire.»

À lire aussi : Peuples autochtones : un lexique pour comprendre quels termes employer

La part des provinces

L’un des chevaux de bataille sera d’assurer que les provinces emboitent le pas au fédéral. Georgina Jolibois et Phyllis Webstad comptent toutes deux sur la participation des provinces pour honorer le 30 septembre. 

«Il y a encore beaucoup à faire, estime l’ex-députée. Sur le plan fédéral, oui, il y a une législation. Sur le plan provincial, c’est une autre histoire. Quelques provinces n’acceptent pas encore les appels à l’action de la Commission de vérité et de réconciliation», se désole-t-elle. 

C’est notamment le cas de sa Saskatchewan natale. 

Pensionnat de Morley (Alberta), élèves jouant dans les balançoires. Crédit : Ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration, Bibliothèque et Archives Canada, Fonds du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien/e011307299

Il y a du mouvement ailleurs. Au Manitoba, les écoles seront fermées le 30 septembre. La Colombie-Britannique proclame la journée annuellement depuis 2018. En Alberta, la néodémocrate Rachel Notley s’était engagée à investir dans les programmes d’éducation en 2017, alors qu’elle était première ministre de la province. 

«Les provinces sont responsables de développer les programmes éducatifs, relève Mme Jolibois. Si les écoles ne reçoivent pas l’appui de la province, elles ne le participeront pas autant.»

D’autres attentes pour le fédéral

Il y a aussi d’autres chats à fouetter ; l’instauration de la journée nationale «n’est que l’application d’une recommandation, rappelle Phyllis Webstad. Un pas dans la bonne direction».

Le gouvernement fédéral a en effet une longue liste d’enjeux à aborder. Lors de la discussion suivant la troisième lecture du projet de loi pour instaurer la Journée de la vérité et de la réconciliation, le 28 mai 2019, les députés en ont cité quelques éléments : salubrité de l’eau, financement de l’éducation, situation des filles et des femmes autochtones, mise en place du Bureau du commissaire aux langues autochtones, mise en œuvre de la Loi concernant la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones et d’autres recommandations pour la réconciliation.

Mme Jolibois, aujourd’hui mairesse de La Loche, dans le nord de la Saskatchewan, est optimiste : «Le Canada reconnait qu’il a du travail à faire, que le temps est venu de faire les bonnes choses et de rebâtir les relations avec les peuples autochtones.»

«C’était encourageant de savoir que des parlementaires étaient très attachés à la cause et qu’ils feraient leur part pour que le 30 septembre devienne une journée nationale, poursuit-elle. Il reste beaucoup à faire. Je vais continuer à travailler pour faire une différence pour les personnes autochtones.»

En ce sens, il semble que même chaque geste peut peser dans la balance. Même acheter un gilet à sa petite-fille pour la rentrée.