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Un Innu à l’Alliance Française de Calgary : rencontre avec l’écrivain Michel Jean

L’auteur innu Michel Jean présente son roman Kukum à l’Alliance Française de Calgary. Crédit : Julien Faugere
L’auteur innu Michel Jean présente son roman Kukum à l’Alliance Française de Calgary. Crédit : Julien Faugere
Un Innu à l’Alliance Française de Calgary : rencontre avec l’écrivain Michel Jean
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Le nouveau rendez-vous littéraire de l’Alliance Française (AF) de Calgary est attendu le 12 mars prochain avec impatience. Celui-ci aura lieu au théâtre de cSPACE King Edward et accueillera l’écrivain Michel Jean. Innu de Mashteuiatsh, M. Jean aura l’occasion de faire résonner la voix des peuples autochtones en présentant son roman Kukum. Auteur, chef d’antenne et journaliste d’enquête primé, il aborde dans Kukum «la question de l’identité autochtone» et «sur la sédentarisation forcée». 

Gaelle Malibert – Correspondante

Une centaine de personnes sont attendues en présentiel à l’événement. Parmi elles, des professeurs d’université, des partenaires de l’institution ainsi que les membres du «Board de l’Alliance et du Lycée international de Calgary et nos étudiants qui sont fans de littérature», espère Sigrid Septier. La bibliothécaire en charge du projet à l’Alliance Française de Calgary indique que l’événement sera aussi ouvert au public.

La soirée débutera par une brève présentation de l’auteur. Jean François Richer, professeur de littérature à l’Université de Calgary et modérateur de la rencontre, discutera ensuite avec Michel Jean de ses œuvres. Ensemble, ils souligneront les différents thèmes abordés par l’auteur, son rôle en tant qu’écrivain et du pouvoir de la littérature autochtone.

Bibliothèque de Calgary

Couverture du livre Kukum. Crédit : Libre Expression. Couverture : Marike Paradis

Une séance de dédicace est prévue avant ou après la rencontre littéraire. Susan Hare, libraire chez Owl’s Nest, coordonne cette partie de l’activité. Elle s’occupera aussi de la vente des œuvres de l’auteur autochtone. «Nous nous sommes concentrés sur quatre livres pour la séance de dédicaces, Kukum, Atuk, Le vent en parle encore et, le dernier, Tiohtiáke», précise Sigrid Septier.

Les objectifs de cette présentation sont doubles. «Nous n’avons jamais eu d’auteur innu. Ce n’est pas, je pense, quelque chose qu’on connaît encore très bien en Alberta et qui mérite qu’on mette le doigt dessus et qu’on s’y intéresse de plus près», explique la bibliothécaire.

Elle y voit «un élément fédérateur, que les gens puissent se retrouver autour d’une passion commune qu’est la littérature, qu’il y est une sensibilisation à la cause autochtone». Les étudiants de l’Alliance française ont déjà eu un aperçu de la littérature autochtone et de Kukum lors d’une séance du club de lecture, le 16 février dernier. Une façon originale de les préparer à la venue prochaine de l’auteur.

«Un élément fédérateur, que les gens puissent se retrouver autour d’une passion commune qu’est la littérature, qu’il y est une sensibilisation à la cause autochtone.» Sigrid Septier

Kukum, une belle leçon d’humanisme

Kukum, qui signifie «grand-mère» en langue innue, rend hommage à l’arrière-grand-mère de l’auteur. Il raconte le parcours d’Almanda Siméon, une orpheline qui va partager sa vie avec les Innus de Pekuakami après être tombée amoureuse d’un jeune Innu. Elle parviendra à s’intégrer au clan, partagera leur vie nomade et sera, avec sa famille, confrontée à la perte de ses terres. S’en suivront l’apparition des réserves et la violence des pensionnats. Avec ce roman, l’auteur revient sur la question de ses origines.

Couverture du livre Kukum. Crédit : Libre Expression. Couverture : Marike Paradis

Couverture du livre Kukum. Crédit : Libre Expression. Couverture : Marike Paradis

C’est au moment du décès de sa grand-mère que Michel Jean débute un cheminement personnel ainsi que l’écriture de son premier livre Elle et nous, publié sous le titre Atuk, elle et nous. Lorsqu’un membre de sa famille lui dit «Michel, l’indien, tu l’as en toi», il découvre alors la part autochtone qui a survécu en lui, cette retenue et cette forme de sagesse, des traits non pas de personnalité, mais culturels.

«Michel, l’indien, tu l’as en toi.» Un membre de la famille de Michel Jean

Son roman Kukum, empreint d’une grande sensibilité, revient sur l’importance de la famille, de la transmission des ancêtres. Avec une plume qui le caractérise, il décrit de manière touchante la culture du nomadisme, cette habilité qu’avaient les peuples autochtones à vivre en communauté avec la nature.

Pekuakami en langue innue, ou le lac Saint-Jean, berceau de la vie nomade dans Kukum, est décrit par l’auteur comme un personnage central de son œuvre. «Pour moi, c’est comme un personnage un peu mythique, qui a ses humeurs.» Il souhaite montrer la disparition d’un monde qui a existé pendant des millénaires, mais qui perdure dans le cœur des Autochtones.

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C’est en femme forte qu’Almanda Siméon partage son histoire et celle de son peuple. À travers son apprentissage de la langue, du savoir-faire innu, elle démontre une acceptation naturelle chez les peuples autochtones, une vie simple en phase avec la nature.

Michel Jean rappelle qu’il n’a pas eu la volonté d’écrire une biographie, mais plutôt de se servir de faits vraisemblables pour raconter une histoire plus grande encore que celle de sa famille. Pas de démarche historique donc, mais un roman qui lui permet une plus grande flexibilité narrative pour toucher et sensibiliser son lectorat.

«J’essaie de montrer l’autre version de l’histoire» 

«En tentant d’assimiler les Autochtones, on a tenté de les éliminer. Ce n’est pas nécessairement de tuer les gens, mais d’éliminer la présence autochtone.» L’auteur évoque par ces mots les dommages causés par l’apparition des pensionnats. Il cite, entre autres, le début des problèmes sociaux comme l’alcoolisme et la toxicomanie.

«Pour moi, c’est aussi le récit d’une colonisation. Et c’est l’histoire du Canada du point de vue des Canadiens qu’on apprend à l’école. Mais du point de vue des Autochtones, c’est plutôt l’histoire d’une colonisation. Donc, pour moi, c’est important de donner l’autre point de vue, le point de vue des Autochtones, sur la même histoire, de renverser le miroir sans juger.»

Sigrid Septier, bibliothécaire, a coordonné cette rencontre littéraire.

Sigrid Septier, bibliothécaire, a coordonné cette rencontre littéraire. Crédit : Courtoisie Alliance Française de Calgary

Il évoque aussi un certain parallèle entre la disparition des langues autochtones dans certaines provinces de l’Ouest canadien et la menace qui pèse sur la langue française en milieu minoritaire. Il rappelle, cela dit, que même si les Autochtones vivent certaines choses que vivent les francophones en situation minoritaire, la différence reste une rupture culturelle beaucoup plus importante pour les peuples autochtones.

L’auteur, dont on a tenté de «tuer l’indien dans le cœur de l’enfant», conserve une forte volonté d’apaisement et de réconciliation. En venant à l’Alliance Française de Calgary, il ne milite pas, mais veut sensibiliser le public francophone. «J’essaie de raconter l’autre version de l’histoire et puis je laisse les gens se faire leur propre idée. Je leur fais confiance. Je pense qu’au Canada, les gens sont bienveillants et, quand on leur explique bien les choses, ils sont capables de voir.»

C’est ce cheminement vers une reconnaissance et un besoin de véracité qui pousse Michel Jean à partager ses écrits auprès du public. «Dans le mot vérité-réconciliation, il y a un mot bien important : c’est vérité. Et puis, on est encore dans la vérité actuellement.»

Les Innus

Les Innus (parfois appelés «Montagnais» ou «Naskapis»), un peuple autochtone, vivent dans de l’est de la péninsule du Québec-Labrador, plus précisément les régions de la Côte-Nord et du Saguenay–Lac-Saint-Jean ainsi que dans la partie terre-neuvienne du Labrador. (Source : L’Encyclopédie canadienne)

 

Kukum

Sorti au Québec en 2019 et en France en 2020, ce livre est lauréat du Prix littéraire France-Québec et finaliste du prix littéraire Jacques Lacarrière. Selon un palmarès québécois, Kukum serait le roman le plus vendu en 2021, ses ventes totales dépassant actuellement les 130 000 exemplaires. Il a été traduit en allemand et le sera bientôt en anglais et en espagnol.