le Jeudi 18 avril 2024
le Jeudi 18 août 2022 13:00 Loi sur les langues officielles

Une «crise» interne compromet le Commissariat aux langues officielles

Dans un document interne obtenu par Francopresse, des enquêteurs du Commissariat aux langues officielles (CLO) remettent en question la capacité de l’organisme à mener à bien ses enquêtes. Ils dénoncent une situation de «crise» interne qui aurait cours depuis 2015, une charge de travail qui a «plus que triplé» et des retards de traitements accumulés qui affectent la santé mentale des enquêteurs, et mettent en péril l’une des missions fondamentales du CLO.
Une «crise» interne compromet le Commissariat aux langues officielles
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Le document date de novembre 2021. Il fait état d’une crise «qui n’a pas encore été officiellement reconnue» par la haute direction du CLO, mais qui a «déjà entrainé d’importants départs de personnel».

Les enquêteurs déplorent que leur charge de travail se soit accrue dans les dernières années sans que les ressources humaines ou le fonctionnement n’aient été adaptés en conséquence. «Par conséquent, un sérieux problème d’arrérages s’est accumulé, les enquêteurs sont surchargés et la capacité du Commissariat à servir efficacement le public a été sérieusement compromise», peut-on lire dans le document.

Ses auteurs déplorent un manque de direction pour gérer le volume de plaintes, toujours plus nombreuses.

Délaisser temporairement des tâches et être toujours plus en retard

En 2019, le Commissaire reconnaissait lui-même dans un article de Radio-Canada que les plaintes étaient en hausse depuis 2012 et qu’il faudrait augmenter le nombre d’enquêteurs si la tendance se maintenait.

Mais entre 2016 et 2021, le nombre d’enquêteurs est resté inchangé : 32 permanents et trois contractuels d’après le rapport interne.

«Nous avons donc tous dû prioriser certains objectifs de travail au détriment d’autres, et nous avons tous dû faire face aux résultats de ces choix, des choix qui, selon nous doivent être faits à des niveaux institutionnels plus élevés», affirment les auteurs du rapport.

Ils dénoncent un «déficit opérationnel» les obligeant à délaisser des tâches «qui s’ajoutent» aux retards successifs depuis 2015-2016 et devront éventuellement être complétées.

Certains enquêteurs plus hauts placés doivent aussi consacrer du temps au recrutement, à la supervision, à la correction de concours, à des comités ; ils «jonglent avec ces tâches sans avoir suffisamment d’orientation sur les priorités à établir».

Stress et santé mentale des enquêteurs en jeu

Ces retards et ce manque d’appui de la part de la direction du CLO génèrent, toujours selon le rapport, un sentiment de stress pour les enquêteurs : «En tant que professionnels, nous considérons que chaque tâche énumérée ci-dessus est extrêmement importante et nous aimerions être en mesure d’accorder à chacune d’elles l’attention qu’elles méritent. À la fin de la journée ou de la semaine de travail, les enquêteurs conservent toujours le fardeau psychologique de l’arrérage de tâches sans cesse croissant.»

Les auteurs du document estiment se trouver dans «une position qui nous oblige soit à ne pas nous soucier de notre travail, soit à faire une quantité de travail impossible».

Un avis de gestion interne aurait établi que la santé mentale des employés avait priorité sur les cibles, mais les enquêteurs pensent que la haute gestion devrait en faire plus en ce sens. «[Les enquêteurs] subissent la pression de leurs gestionnaires en absorbant la charge de travail qui augmente tout en voulant protéger leurs employés en gérant les clients difficiles, souvent seuls», mettent en lumière les auteurs du rapport.

Régler le manque d’enquêteurs

Ces derniers reconnaissent «que des efforts sont déployés par la direction pour explorer différentes stratégies afin de réduire le nombre de tâches», comme un projet de raccourcissement des rapports d’enquêtes, mais celles-ci ne suffiraient pas à régler le problème de charge de travail.

«Nous comprenons que nous n’avons pas le budget opérationnel en ce moment pour augmenter les effectifs.» Sur dix ans, entre 2009-2010 et 2019-2020, le budget de dépenses du CLO a soit stagné soit légèrement baissé, pour se fixer à 22,7 millions de dollars en 2020-2021. Les employés suggèrent donc à leur direction de réduire le nombre de tâches associées au traitement de chaque plainte, d’organiser différemment la répartition des dossiers et de gérer l’attente du public jusqu’à que le déficit opérationnel soit résolu.

Ils conseillent également ce qu’ils disent avoir proposé à l’été 2021 : aviser chaque plaignant d’un retard probable dès le dépôt de sa plainte, et non à la fin du processus comme à l’heure actuelle, tout en signifiant bien au plaignant que ce retard est dû au déficit opérationnel au CLO.

Au même moment, les enquêteurs avaient suggéré la constitution d’une nouvelle équipe d’enquêteurs qui ne serait pas affectée à une catégorie de plaintes, mais qui aiderait notamment à trier les enquêtes et à constituer une «file d’attente» des plaintes. Le principe de file d’attente existe déjà au CLO, mais le rapport suggère d’en faire une priorité dans la manière de fonctionner pour «gérer l’impact du déficit opérationnel».

Enfin, les auteurs du rapport revendiquent l’établissement de normes plus claires pour les enquêteurs et la création d’un comité de gestion des plaignants et des institutions difficiles.

Pour l’instant, le document indique que la «haute gestion de la DGAC» n’a pas officiellement reconnu la crise. Au moment d’écrire ces lignes, Francopresse est toujours en attente d’une réponse de la part du Commissariat aux langues officielles.