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le Mercredi 16 août 2023 17:00 Santé

Avortement : Un témoignage sur une réalité encore sensible

Photo: Max @notquitemax / Unsplash.com
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11 983, c’est le nombre d’avortements ayant eu lieu en Alberta en 2020 d’après la Coalition pour le droit à l’avortement au Canada (CDAC). Si dans la théorie l’avortement est accessible, dans les faits, la démarche est complexe à de nombreux égards. Frances, 25 ans, partage son expérience sur un sujet qui semble encore tabou aujourd’hui.
Avortement : Un témoignage sur une réalité encore sensible
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Le choix de Gabrielle Audet-Michaud, journaliste

Plus d’un an s’est écoulé depuis que la Cour suprême des États-Unis a invalidé l’arrêt Roe contre Wade, qui garantissait le droit à l’avortement dans le pays. Une décision qui continue de diviser nos voisins du Sud et d’alimenter les discussions ici même, en Alberta. Malheureusement, ces débats d’idées ont parfois tendance à négliger l’aspect humain qui se cache derrière… Ce papier signé par Chloé Liberge nous transporte dans l’intimité d’une jeune femme qui a eu recours à l’IVG. À travers ce témoignage empreint d’empathie, la journaliste nous rappelle que derrière chaque avortement se trouve, plus souvent qu’autrement, une femme qui souffre en silence. Une lecture à la fois informative et touchante.

(Article paru le 1er septembre 2022)

Lorsque Frances apprend qu’elle est enceinte pour la première fois, elle ne s’y attend pas. Après avoir fait un test de grossesse, elle se rend chez un médecin pour effectuer une échographie. Complètement perdue, l’Albertaine se remémore la réaction de celui-ci lorsqu’elle lui fait part de son envie d’avorter. «Il ne m’a pas dit qui appeler et où aller, il a juste supposé que je mènerais la grossesse à terme».

Dans la province albertaine, seulement trois cliniques offrent le service d’interruption volontaire de grossesse (IVG) : une à Edmonton et deux autres à Calgary. Lorsqu’elle appelle l’une d’elles, Frances doit créer un code afin de préserver la confidentialité de son dossier, mais aussi son anonymat, et pour faciliter les relations avec les professionnels de santé. D’ailleurs, même l’adresse de la clinique n’est communiquée qu’une fois la date du rendez-vous confirmée.

Un processus qui en dit long sur les moyens mis en œuvre pour offrir à ces femmes en difficulté un maximum d’intimité. «Vous savez, les avortements sont très stigmatisés, alors les cliniques veulent s’assurer que tout reste privé», signale-t-elle. C’est aussi à cause de cette stigmatisation que Frances garde l’anonymat lors de son entrevue avec la rédaction. Cette dernière a essayé de rejoindre ces cliniques pour obtenir des éclaircissements sur le processus médical, toutes ont refusé de commenter.

La Coalition pour le droit à l’avortement au Canada est un organisme national féministe qui milite pour assurer le droit et l’accès à l’avortement pour tous. Pour en savoir plus sur les procédures ou pour connaître les cliniques près de chez vous : arcc-cdac.ca

Une opération qui se déroule en plusieurs étapes

Après deux semaines d’attente, l’étudiante se rend finalement à la clinique accompagnée de son petit ami qui souhaite la soutenir dans cette épreuve. Dès son arrivée, on lui remet un questionnaire médical à remplir, puis elle rencontre une travailleuse sociale. Cette dernière vérifie si Frances est contrainte ou si elle a choisi l’IVG de son plein gré. Elle en profite pour lui donner de l’information sur les méthodes contraceptives et lui explique les différentes options pour l’intervention.

La première méthode est l’interruption volontaire de grossesse médicale. Un processus faisant appel à deux médicaments : l’un qui interrompt la grossesse, l’autre qui déclenche l’expulsion du contenu de l’utérus. Bien qu’elle avait fait ce choix, la jeune femme change finalement d’avis pour une IVG instrumentale, aussi appelée chirurgicale.

Elle révèle, «quand elle m’a décrit ce qui se passerait, c’est-à-dire que vous devez vous asseoir sur les toilettes, qu’il y aurait beaucoup de sang et qu’il pourrait y avoir des morceaux de fœtus qui sortiraient, j’ai eu très peur. J’ai demandé à ce qu’on fasse la chirurgie».

Frances passe alors une échographie pelvienne. Une sonde est introduite dans le vagin afin de déterminer le nombre de semaines de grossesse. Puis, on lui administre un traitement antidouleur et on lui propose un médicament contre l’anxiété, un test de dépistage pour les infections sexuellement transmissibles (IST).

Dans la salle d’opération, les drogues commencent à faire effet. «Elles me donnaient l’impression d’être étourdie, comme endormie, mais tu n’es pas officiellement mis sous anesthésie.» La procédure peut alors commencer. Le médecin insère un spéculum dans le vagin afin de mieux voir le col de l’utérus. Il le nettoie puis le «gèle», un autre terme pour décrire une anesthésie locale. Ensuite, le praticien dilate graduellement le col afin d’introduire un petit tube qui aspire ce qui se trouve dans l’utérus. Il vérifie que ce dernier est vide en faisant une dernière aspiration.

Cette opération qui dure pourtant une dizaine de minutes peut sembler une éternité. Allongée sur la table, Frances regarde le plafond. «Ils peignent les dalles du plafond au-dessus de vous pour que vous ayez quelque chose à regarder. En général, ce sont des fées, des fleurs ou le ciel», se remémore-t-elle.

L’impossibilité de parler de son expérience

Après l’opération, la jeune patiente doit rester assise dans une salle de repos pendant environ 30 minutes. L’infirmière prend sa température et sa fréquence cardiaque. Il faut qu’elle aille aux toilettes afin de vérifier que les saignements sont légers, sans hémorragie.

Une fois que sa santé est considérée hors de danger, la patiente peut sortir accompagnée. Car, comme pour chaque opération où l’on subit une anesthésie et on ingère des antidouleurs, la conduite est interdite. Frances est aussi invitée à partager son expérience afin de faciliter, peut-être, le deuil. Frances aurait aussi pu demander les restes de l’embryon et effectuer une cérémonie, un adieu avant de les enterrer, mais elle n’a pas voulu s’engager dans ces démarches. «Je pensais ne pas en avoir besoin, j’avais l’impression que personne n’était censé savoir», révèle-t-elle.

Cependant, pour l’étudiante, l’expérience ne s’est pas arrêtée là. Comme la travailleuse sociale le lui avait recommandé, elle décide de se faire poser un dispositif intra-utérin (DIU). En forme de T, ce petit stérilet en plastique est inséré dans l’utérus afin d’agir comme contraceptif. Il a donc été placé juste à la fin de l’intervention, ce qui est une pratique courante à la suite d’une IVG.

Toutefois, pour Frances, le processus de guérison a été très douloureux et long. Pendant plusieurs mois, elle a souffert de douleurs pelviennes. Ces crampes au niveau des ovaires l’empêchent de marcher et de se rendre à l’université. Elle se désole, «comment dire à ses professeurs et à son travail que l’on est malade parce qu’on a avorté? Tu ne peux pas, alors soit tu endures, soit tu inventes quelque chose».

L’étudiante se répète alors qu’il s’agit seulement de simples douleurs menstruelles et souffre pendant de nombreuses semaines, en silence. Au bout de quatre mois, Frances est totalement guérie. Pourtant, elle se rend rapidement compte que le stérilet n’a pas joué son rôle de contraceptif, car elle tombe à nouveau enceinte.

Au total, 74 155 avortements se sont déroulés au Canada en 2020. Le Québec et l’Ontario font partie des provinces où il y a eu le plus grand nombre d’interruptions de grossesse, soit environ 21 000 chacune. L’Alberta et la Colombie-Britannique les suivent. Des chiffres qui peuvent s’expliquer en raison de la grande population de ces provinces.

Se serrer les coudes

Cette seconde fois, la jeune femme connaît le processus et décide de prendre directement rendez-vous à la clinique de Calgary. Tout se déroule de la même façon et le docteur lui retire également son DIU pour lui en poser un nouveau. «J’étais moins paniquée, j’avais moins peur, mais je me sentais juste très honteuse, car mon partenaire et moi, on a tout fait correctement, on a pris les bons contraceptifs», confesse-t-elle.

Frances a apprécié le soutien qu’elle a reçu au cours de ces deux interventions. Que ce soit de la part de son compagnon, mais aussi du personnel soignant, elle ne s’attendait pas à cette gentillesse. Elle reconnaît, «on a tous nos idées sur la façon dont l’avortement est supposé se dérouler, mais dans l’ensemble, les gens étaient extrêmement gentils».

Cette gentillesse est accompagnée d’une solidarité qu’elle a également remarquée dans l’établissement de santé. L’étudiante avoue avoir aussi été interloquée par la diversité des patients. «Il y avait des adolescentes, des quadragénaires, des gens de toutes les ethnies, certains portaient même des vêtements religieux, je ne sais pas pourquoi cela m’a surprise», affirme-t-elle.

Par contre, dans la salle d’attente dédiée à la chirurgie, les patientes se retrouvent seules, sans leurs proches. Certaines langues se délient, partagent leurs histoires. D’autres sont silencieuses. Frances se souvient, «la première fois que j’y suis allée, j’étais vraiment heureuse que quelqu’un me parle pour me distraire et me faire sentir moins seule». Elle conclut, «je pense qu’il y a comme une connexion que tout le monde ressent parce que nous sommes tous ici dans la même position».

Vous avez besoin de parler à quelqu’un?

Vous pouvez appeler au 1 800 567-9699 7 jours sur 7, 24 h sur 24. Cette ligne d’écoute empathique de est une collaboration entre TAO Tel-Aide et le Réseau santé Alberta appuyée financièrement par Santé Canada par l’entremise de la Société Santé en français.