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le Dimanche 27 novembre 2022 9:00 Sports PR

Le soccer n’est pas à la fête

(De droite à gauche) Les deux enfants et le filleul de Marie Wahl ont assisté à un match de l’équipe canadienne : Julie Ngannou, Jack Mzebaze, et Adrien Ngannou. Crédit : Courtoisie
(De droite à gauche) Les deux enfants et le filleul de Marie Wahl ont assisté à un match de l’équipe canadienne : Julie Ngannou, Jack Mzebaze, et Adrien Ngannou. Crédit : Courtoisie
Le soccer n’est pas à la fête
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La Coupe du monde de football 2022 de la FIFA a été attribuée au Qatar en décembre 2010. Un moment historique puisque c’est la première fois qu’un pays arabe organise la Coupe du monde. Mais aussi un choix controversé tant dans le monde du football (soccer en Amérique du Nord) que chez les citoyens qui s’inquiètent du respect des droits de la personne.
 
Isaac Lamoureux
IJL – Réseau.Presse – Le Franco
 
Le tournoi a débuté ce dimanche, alors que les températures au Moyen-Orient sont clémentes. Car si c’est la première fois que cela se joue dans la péninsule arabique, c’est aussi la première fois que les passionnés de l’hémisphère Nord ne peuvent pas vivre la passion estivale du ballon rond. L’objectif : protéger les athlètes de la chaleur insupportable pendant les mois d’été.
 
Côté sportif, de nombreuses difficultés sont évoquées. Par exemple, les championnats nationaux en Europe font une pause d’un mois alors que les joueurs ont déjà effectué un tiers de leur saison. Certains se sont blessés, d’autres ont refusé de se déplacer pour des raisons politiques.
 
Bien qu’il ait été choisi pour l’événement footballistique de l’année, le Qatar ne disposait pas des infrastructures nécessaires pour accueillir un tel tournoi lors de sa nomination. L’émirat est une monarchie absolue souvent pointée du doigt pour le non-respect des droits de la personne.
 
Avec la nécessité de construire des infrastructures pour cet événement planétaire, le chiffre des pertes humaines lors des travaux ne contredit pas cette hypothèse. Des décès dus selon les observateurs humanitaires à des conditions de travail déplorables. Ainsi, ce sont entre 6500 et 15 000 travailleurs migrants qui sont décédés pendant la préparation de la Coupe du monde depuis le début des travaux, alors que le chiffre officiel qui fait référence au nombre d’étrangers décédés dans le pays entre 2011 et 2020 est 15 799.
 

La fille de Marie Wahl a assisté à la Coupe du monde féminine à Edmonton. Crédit : Courtoisie

 
Marie Wahl, la mère de deux enfants qui sont de grands admirateurs des étoiles du football, explique que les terribles conditions de travail dans le pays peut-être comparé à «une forme d’esclavage». Elle ajoute que le traitement des femmes n’est pas égalitaire au Qatar. Même après avoir lu de nombreux articles sur le Qatar, c’est encore difficile pour elle de comprendre tous les enjeux des droits de la personne pour les travailleurs et les citoyennes de ce pays.
 

Les amoureux du football ont leurs inquiétudes aussi

Marie Wahl parle souvent avec ses jeunes à propos de l’importance des droits de la personne. Quand elle a parlé à son fils Adrien Ngannou, âgé de 8 ans, de ce tournoi un peu particulier, elle a essayé de susciter le débat. «Est-ce que parce qu’on aime un sport, on peut oublier tout ce qui va derrière? Est-ce qu’on peut oublier d’être gentil? Est-ce que ça donne le droit de tout faire quand on aime quelque chose?» Le jeune garçon a répondu constamment par la négative comme s’il comprenait malgré son jeune âge les problèmes politiques et sociaux liés à ces questions.
 

Joris Desmares-Decaux est un grand passionné de soccer. Crédit : Archives

 
Joris Desmares-Decaux, président d’Edmonton Fusion FC et grand passionné, dit qu’il «n’a jamais vu de boycott en tant que tel». Il explique que depuis l’attribution officielle de la Coupe du monde en 2010, il y a des voix qui s’élèvent, mais depuis les deux dernières années, celles-ci sont de plus en plus bruyantes. Le terme boycott est présent dès qu’il est fait référence à la Coupe du monde.
 
«C’est difficile de concevoir l’organisation d’une Coupe du monde au Qatar», dit Joris Desmares-Decaux. Il explique que le Qatar n’a pas la flotte aérienne nécessaire ni la capacité d’accueillir autant de personnes. Il s’inquiète aussi pour les personnes LGBTQIA2S+ qui ne sont pas acceptées là-bas et qui pourraient «finir en prison» ou soumises à de mauvais traitements comme cela s’est passé récemment.
 

La défense des droits de la personne en ligne de mire

France-Isabelle Langlois, la directrice générale d’Amnistie internationale Canada francophone (AICF), explique que son organisation a fait pression sur l’État qatari et la FIFA depuis de nombreuses années pour améliorer les conditions de travail et les droits de la personne des ouvriers.
 
Elle explique que le plus grand problème est lié au temps de travail des étrangers qui participent à la construction de ces infrastructures. De très longues journées de travail, six à sept jours par semaine sous un soleil de plomb, avec peu ou pas de pauses, et presque pas d’eau et au final des retards de salaires.
 
Les premières années après cette nomination de l’émirat, la FIFA était complètement fermée aux revendications qu’Amnistie internationale et les autres organismes avançaient, explique France-Isabelle Langlois.
 

France-Isabelle Langlois, directrice générale d’Amnistie internationale Canada francophone. Crédit : Amnistie internationale – Caroline Hayeur

 
Finalement, graduellement, les pressions ont fait en sorte que la FIFA prenne ses responsabilités. Amnistie internationale a fait un état des lieux et leur a demandé d’agir, de le prendre en considération afin de responsabiliser le Qatar pour voir évoluer les conditions de travail et les droits de la personne. Certaines modifications ont été apportées à la législation et ont permis d’améliorer l’environnement de travail de ces immigrants venus du Bangladesh, du Népal et d’Inde. «Mais ce n’est pas suffisant», dit France-Isabelle Langlois.
 
Maintenant, Amnistie internationale demande à la FIFA de restituer une partie des bénéfices de la Coupe du monde pour payer les travailleurs qui n’ont pas reçu leur salaire et pour indemniser ceux qui ont subi de graves préjudices (accidents du travail, problèmes de santé, etc.). Elle souhaite aussi que les familles des ouvriers décédés puissent être indemnisées.
 

Les équipes de la Coupe du monde se joignent aux protestations

Les partisans individuels et les organisations ne sont pas les seuls à boycotter. Les équipes commencent même à prendre position.
 
L’équipe du Danemark portera, par exemple, un maillot noir pendant la compétition en signe de deuil, une façon de protester pour les droits de la personne, alors que sa demande de participer aux entrainements avec un maillot floqué «Droits de l’homme pour tous» a été rejetée par la FIFA. D’autres équipes porteront des brassards aux couleurs du drapeau LGBTQIA2S+.
 
Joris Desmares-Decaux explique qu’avec les millions de dollars qui pourraient être réinjectés dans les fédérations nationales, il est difficile d’imaginer une équipe renoncer à la compétition, «mais c’est une forme de protestation intéressante», dit-il.
 
 
Malgré une équipe nationale souvent dans le carré final de la compétition, les Français ont, comme certains pays européens, décidé de boycotter l’événement. Un crève-cœur pour une bonne cause…, semble-t-il.
 
Certaines villes, qui sont normalement les poumons de la Coupe du monde, ont exprimé publiquement leur protestation. Paris, Marseille, Lille, Bordeaux, et d’autres plus petites ont annoncé qu’elles n’auraient pas de fan zones — lieu où les supporters se retrouvent pour regarder les matchs sur des écrans géants —, comme à l’accoutumée.
 
Finalement, entre boycott et passion, la communication semble la meilleure arme pour faire avancer les choses. «Les droits humains et la démocratie dans un pays sont les choses les plus importantes», dit France-Isabelle Langlois. Même s’il y a des problèmes au Qatar, elle est persuadée qu’il faut continuer ce dialogue essentiel. Cette parole contribue à la démocratisation de certains États.