le Jeudi 28 mars 2024
le Mardi 28 mars 2023 21:01 Éducation PR

Évaluation des compétences linguistiques des élèves en immersion : entre tolérance et flexibilité

Évaluation des compétences linguistiques des élèves en immersion : entre tolérance et flexibilité
00:00 00:00

Sarah Fedoration est conseillère pédagogique pour le conseil scolaire Edmonton Catholic School. Photo : Courtoisie

Méconnus, mal compris ou mal aimés, les programmes d’immersion française de l’Alberta continuent pourtant, année après année, de former des locuteurs francophones fonctionnels et résilients. Ces laboratoires d’apprentissage encouragent aussi les enseignants à faire preuve de flexibilité et doivent parfois ajuster leurs critères d’évaluation en fonction du niveau de langue de leurs élèves.

IJL – RÉSEAU.PRESSE – LE FRANCO

L’immersion repose avant tout sur l’idée qu’un élève anglophone va apprendre le français de la même manière qu’un très jeune enfant qui développerait ses habiletés dans sa langue maternelle : étape par étape. Dans cette optique, l’apprentissage de la langue doit être perçu comme un cheminement menant à des résultats concrets à moyen et long terme.

«Il faut commencer par l’écoute. Après, on en arrivera à la compréhension et enfin on sera en mesure de parler. La lecture et l’écriture, ça vient après.» Sarah Fedoration.

«Il faut commencer par l’écoute. Après, on en arrivera à la compréhension et enfin on sera en mesure de parler. La lecture et l’écriture, ça vient après», explique Sarah Fedoration qui a d’abord travaillé comme enseignante en immersion française avant d’intégrer son poste de conseillère pédagogique au Edmonton Catholic Schools.

Selon elle, le curriculum actuel de français immersion et littérature a été réfléchi de sorte que le progrès des élèves soit mesuré en fonction de résultats d’apprentissage ciblés qui prennent en compte ce processus. Une «progression claire» doit être observée dans les quatre domaines de la langue (compréhension orale, compréhension écrite, production orale et production écrite), et ce, à la fin de la sixième année.

Plus concrètement, un enseignant de première année devra, par exemple, s’assurer que ces élèves puissent comprendre et suivre des directives données à l’oral, illustre Sarah. En deuxième année, les enfants seront plutôt évalués sur leur capacité à lire et à exécuter lesdites directives. Et à la fin de leur cinquième année, les élèves auront appris à produire eux-mêmes les directives d’une fiche de travail et «à en expliquer l’exécution à l’oral […] et à l’écrit», résume la conseillère pédagogique. 

Le nouveau curriculum, qui commence à être mis en œuvre dans la province, est structuré un peu différemment, mais repose sur les mêmes principes de base, souligne Rachel Krutchen, conseillère pédagogique au Calgary Catholic School District. «La grande différence, c’est qu’on se concentre sur neuf résultats d’apprentissage spécifiques plutôt que sur les quatre compétences», résume-t-elle. 

Sarah Fedoration est conseillère pédagogique pour le conseil scolaire Edmonton Catholic School. Photo : Courtoisie

Bien que l’évaluation des habiletés orales des élèves demeure l’objectif central, les enseignants auront à tenir compte de compétences transversales. «La boucle d’apprentissage demeure la méthode de choix, mais ce qu’on va faire, c’est qu’on va évaluer des compétences comme la richesse du vocabulaire ou la grammaire à travers l’oral», ajoute-t-elle.

Des évaluations taillées sur mesure 

«On doit rencontrer les élèves où ils sont et les faire progresser à partir de leur rythme à eux.» Rachel Krutchten. 

Cette méthodologie permettra, entre autres, aux enseignants d’ajuster leurs critères d’évaluation en fonction du niveau de langue et des habiletés personnelles de chaque élève, une approche indispensable pour assurer leur réussite. «On doit rencontrer les élèves où ils sont et les faire progresser à partir de leur rythme à eux», témoigne Rachel Krutchten. 

Selon elle, il serait naïf de croire que les élèves en immersion française atteignent tous le même niveau de langue. «L’immersion est pour tout le monde et la réussite est [quantifiée] de manière différente pour chaque élève. Ce qu’on mesure, c’est la progression», dit-elle. Son homologue à Edmonton renchérit en rappelant que les objectifs de l’immersion française sont différents de ceux du système scolaire francophone.

«Le but, c’est que les élèves anglophones puissent développer une identité bilingue et communiquer en français pour des fins professionnelles et personnelles». Sarah Fedoration.

«Le but, c’est que les élèves anglophones puissent développer une identité bilingue et communiquer en français pour des fins professionnelles et personnelles. Ils seront peut-être même assez fonctionnels pour poursuivre leurs études supérieures en français», développe Sarah Fedoration. À l’inverse, l’école francophone en Alberta a pour objectif de servir des élèves qui ont déjà le français comme langue première et dont le droit à l’instruction est protégé par la Charte canadienne des droits et libertés.

Les deux conseillères pédagogiques s’entendent pour dire que les élèves en immersion française prennent des risques au quotidien en subvertissant* les normes d’une langue qui a parfois tendance à être très codifiée. Ces locuteurs doivent alors faire preuve d’une dose supplémentaire de courage lorsqu’ils engagent la conversation avec des francophones. 

Pour éviter que les jeunes développent de l’insécurité linguistique, la francophonie albertaine doit s’assurer de valoriser une pluralité d’accents et de niveaux de langue, fait remarquer Sarah. «À partir de la quatrième année du primaire, on commence à voir les enfants douter de leurs compétences et c’est pourquoi on doit travailler sur la question de légitimité linguistique. Les élèves doivent comprendre que leur appartenance au français est la même que n’importe quel autre locuteur», affirme-t-elle. 

Les enseignants ont aussi avantage à tolérer certaines erreurs pour ne pas décourager leurs salles de classe. «Ce qu’on doit faire, c’est raffiner ou polir le niveau de langue au cours des années en misant toujours sur la confiance linguistique des élèves», ajoute-t-elle. Sans quoi le système d’immersion française risque de produire des locuteurs qui n’oseront pas s’exprimer dans leur deuxième langue, ce qui irait à l’encontre même de l’objectif de ces programmes.

«Les élèves doivent comprendre qu’on ne recherche pas la perfection. Ils peuvent se tromper.» Rachel Krutchen.

Pour s’assurer que les élèves ne développent pas d’insécurité linguistique, Rachel Krutchen estime de son côté que les enseignants doivent aussi encourager la prise de risques. «Les élèves doivent comprendre qu’on ne recherche pas la perfection. Ils peuvent se tromper», affirme-t-elle. 

Au niveau de la rédaction écrite par exemple, il s’agira de découper l’apprentissage en petits morceaux plutôt que de comptabiliser le nombre total d’erreurs grammaticales comme le font les dictées du système francophone. «L’enseignant va demander aux élèves d’écrire un texte, mais la seule chose évaluée sera la conjugaison au subjonctif […] à la place de l’ensemble du texte», illustre-t-elle. 

L’immersion à l’ère technologique 

Les outils en ligne comme Google Traduction et DeepL Translator viennent complexifier la tâche des enseignants lorsque vient le temps d’évaluer les compétences linguistiques de leurs élèves à l’écrit, affirment Sarah Fedoration et Rachel Krutchten. Selon elles, les programmes d’immersion doivent redoubler d’efforts pour responsabiliser les élèves quant à l’utilisation de ces services de traduction automatique. 

«On doit montrer aux élèves [comment] utiliser cette technologie en appui et non pas comme une béquille», affirme Sarah.

 

Glossaire – Subvertir* : Renverser l’ordre préétabli