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le Mardi 11 avril 2023 0:34 Santé

La face cachée de la violence conjugale

(IJL-RÉSEAU.PRESSE-LE FRANCO) - La violence conjugale est souvent décrite comme un phénomène asymétrique. Après tout, les femmes continuent d’être deux fois plus représentées dans les statistiques de violence grave commise par un conjoint. Elles sont plus susceptibles d’être agressées sexuellement, battues et étranglées. Or, des études récentes démontrent que les hommes ont presque autant de risques que les femmes d’être victime d'abus psychologique, un aspect de la question trop peu étudié, avancent des experts.
La face cachée de la violence conjugale
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La violence envers les hommes demeure un sujet tabou et sous-médiatisé, affirme le travailleur social Stefan De Villiers. Selon lui, c’est attribuable à certaines normes sociétales qui rendent les hommes plus réticents à dénoncer ces actes et à aller chercher de l’aide, par peur de ne pas être crus ou parce qu’ils ont honte. 

«On part souvent avec l’idée que les hommes devraient être capables de résoudre leurs propres problèmes, qu’ils devraient être indépendants et forts. Ça rend la tâche difficile pour les victimes de violence, car ils auront d’autant plus de chances de maintenir le statu quo au sein d’une relation toxique», affirme le coordonnateur du programme de sensibilisation à la violence conjugale chez les hommes du Calgary Counselling Centre.

Selon lui, la grande majorité des hommes qui font appel aux services du centre sont victimes de violence psychologique. «C’est beaucoup plus fréquent que l’on pourrait penser», laisse-t-il entendre. Lorsqu’ils sont admis au sein du programme, ces hommes peuvent participer à des séances de thérapie de groupe ou consulter un psychologue. «On essaie aussi de les référer à certaines ressources d’aide financière ou légales, dépendamment de leurs besoins», décrit le travailleur social spécialisé en violence conjugale.

La stigmatisation des hommes victimes de violence conjugale peut aussi les pousser à minimiser leur expérience personnelle, affirme la psychologue Maxine Poulin, qui pratique à Red Deer. «Au niveau intrinsèque, certains hommes ne s’autorisent tout simplement pas à être une victime. Ils pensent qu’ils n’ont pas le droit de se plaindre de comportements violents, car leur virilité pourrait être remise en doute», analyse-t-elle. 

Pour déboulonner ces mythes et aider ses clients à prendre conscience de l’abus qu’ils expérimentent, la psychologue essaie de mettre des mots sur leurs ressentis. Elle s’étonne toujours de voir à quel point ils partent de loin. Certains hommes seront portés à utiliser des euphémismes pour adoucir des situations ou des gestes graves, ce qui complexifie encore plus la tâche de la psychologue. Mais quelques signaux d’alarme lui mettent la puce à l’oreille. «Quand j’ai des soupçons, je vais demander à mon client comment sa conjointe répond aux limites qu’il communique», dit-elle.

Identifier les signaux d’alarme

En cas d’abus psychologique, le bourreau aura tendance à ignorer ou ne pas prendre en compte les limites personnelles établies par son conjoint, analyse la psychologue. La manipulation, le chantage émotif et le «gaslighting», ce principe par lequel la victime en viendra à douter de sa mémoire ou à remettre en doute sa perception de la réalité, sont trois autres éléments clés à prendre en compte. Mais plusieurs signaux d’alarme supplémentaires se cachent sous le parapluie de la violence psychologique, mentionne Stefan De Villiers. 

«C’est très vaste, mais on pourrait dire que dans les tactiques d’abus, il y a : rabaisser son conjoint, le faire marcher sur des œufs, le faire douter de lui, le faire sentir coupable pour tout et pour rien, le faire sentir inadéquat et pas « assez »», énumère le travailleur social. Tous ces comportements néfastes sont motivés par un désir maladif de contrôle.

Et à long terme, cette violence peut entraîner des conséquences sur la santé physique et mentale de la victime. Certains hommes développent des troubles de stress post-traumatique et de l’anxiété, tandis que d’autres voient leur efficacité au travail diminuer ou sombrent dans la dépression. «J’ai aussi vu des hommes perdre le contact avec leurs amis et leur famille parce qu’ils se sont fait complètement isoler de leur garde rapprochée», raconte Stefan De Villiers.

Dans certains cas, la violence peut se poursuivre même après une séparation ou un divorce, surtout si des enfants sont impliqués dans l’équation. Cette situation peut être très dommageable pour la santé mentale des personnes impliquées. «Ce qu’on verra, c’est que les enfants seront utilisés pour causer du tort à l’autre parent», explique le coordonnateur de programme. 

Chez sa clientèle masculine qui expérimente de la violence psychologique, Maxine Poulin note, quant à elle, la présence de sentiments d’impuissance et de désespoir. «C’est un peu comme si on enlevait le [carburant] ou la lumière d’une personne», décrit-elle. La victime se met alors en «mode veille» et a de la difficulté à se mettre en action et à trouver des solutions. «C’est encore pire chez les hommes parce qu’il y a un sentiment de honte qui va s’ajouter», renchérit la psychologue. 

Si la violence conjugale était moins ancrée dans les préjugés de genre, elle estime que les hommes auraient peut-être plus de facilité à s’identifier comme des victimes, ce qui faciliterait leur suivi psychologique. «Les femmes doivent continuer de parler haut et fort de leurs abus parce que c’est nécessaire, mais il faut aussi trouver un moyen de faire de l’espace pour qu’on puisse aussi écouter les hommes», conclut-elle.

D’après les données de l’Enquête sociale générale (ESG) sur la sécurité des Canadiens de 2014, les femmes (34%)  étaient plus susceptibles que les hommes (16%) de déclarer des formes graves de violence (agression sexuelle, étranglement, menace avec une arme à feu, etc.). Les femmes avaient aussi plus de risques d’avoir été blessées physiquement en raison du comportement violent de leur conjoint (40% pour les femmes et 24% pour les hommes).

Selon les résultats de l’ESG de 2019, 11% de la population disait avoir subi de la violence psychologique de la part d’un conjoint ou d’un ex-conjoint au cours des cinq dernières années. Les proportions de victimes femmes et hommes pour ce type de violence étaient semblables (12% contre 11%).