le Jeudi 18 avril 2024

Nous ne sommes ni dans les prophéties politiques d’Alexis de Tocqueville (De la démocratie en Amérique, 1840, tome 2, chapitre 6) ni dans les rêves prémonitoires et les anticipations technologiques d’Aldous Huxley (Le meilleur des mondes, 1932) et de George Orwell (1984, 1949).

Nous sommes dans le réel, celui d’une société entièrement placée sous surveillance, avec des caméras dans les rues, à raison d’une pour deux ou trois habitants. Sans compter qu’on y trouve de nombreuses applications sur le téléphone portable qui permettent de tracer les déplacements et d’enregistrer toutes les habitudes de consommation de chacun.

Nous sommes dans le réel, celui d’une société entièrement placée sous surveillance

Cette société, c’est la Chine. Elle gère le quotidien de Lulu et de ses compatriotes. Tous sont confrontés à une technologie qui observe, juge et détermine pour une bonne part leur existence. Lulu, c’est aussi l’épouse de Sébastien Le Belzic, un journaliste français installé à Pékin depuis 2007, qui a décidé de filmer son quotidien pour mieux comprendre cette révolution technologique et sociale. D’ailleurs, le journaliste en a même tiré un documentaire en février 2022 : «Ma femme a du crédit».

Concrètement parlant, le documentaire en question relate que le simple fait de prendre le métro, d’acheter à manger, de choisir un livre, tous ces actes du quotidien sont archivés par la grande moissonneuse numérique chinoise. En effet, le régime mélange toutes ces données pour construire le portrait numérique de chaque citoyen. Tous les Chinois, ou du moins la majorité de ceux vivant dans les grands centres urbains, ont désormais leur double numérique, noté, calibré, évalué par les ordinateurs du parti et stocké dans de puissants serveurs informatiques de Pékin.

Nouvelles normes de conduite dans la cité

Le stratagème chinois est simple : la loyauté fait gagner des points, tandis que les critiques font perdre du crédit. Si certains Chinois rejettent ce nouveau mode de surveillance et vont même jusqu’à le dénoncer, en dépit des avertissements des autorités, le combat semble pourtant perdu d’avance. Pékin contrôle toute l’activité des géants des nouvelles technologies. Ainsi, le droit de regard et d’utilisation des données par le Parti communiste chinois risque de ne jamais être remis en cause.

Comment pourrait-il en être autrement? La Chine est le pays du paradoxe… Un pays où les couleurs de la démocratie et du libéralisme économique se mélangent à celle du communisme afin de donner une teinte propre aux règles et à la tradition du conformisme, héritage de la philosophie confucéenne. Preuve en est que ce système posant les bases d’un nouveau crédit social contribue à faire des 1,4 milliards de Chinois, incluant Lulu, des individus constamment hantés par la crainte de passer sous le seuil des 350 points et venir grossir la liste des citoyens de seconde zone.

Et nous, Occidentaux, comment vivons-nous en démocratie?

Quel regard doit-on porter sur cette société de surveillance qui promet en retour une vie à crédit? Une posture critique est d’autant plus nécessaire, car lorsque je dis «vie à crédit», j’entends que cela conditionne non seulement la possibilité d’un prêt dans une banque — jusque-là pas trop de différence avec nous —, une réservation pour un billet de train, voire un voyage à l’étranger (et donc une demande de passeport) ou encore le libre choix d’envoyer ses enfants dans une école en particulier.

Ainsi donc, prendre toute la mesure d’un tel système implique qu’on y réfléchisse à deux fois? Étienne de La Boétie n’avait peut-être pas tort lorsqu’il décrivait la Servitude volontaire (1576) comme un renoncement conscient à sa liberté. La culture et la réalité quotidienne des Chinois ont beau contraster avec les valeurs occidentales, nous sommes subjugués par un tel fonctionnement. Certes, il est possible que, comme dans 1984 d’Orwell, l’on réalise sur le long terme que cette surveillance électronique est totalement bénigne, donc beaucoup moins puissante, et que par conséquent, nous ayons tort d’en perdre le sommeil des nuits durant.

Étienne de La Boétie n’avait peut-être pas tort lorsqu’il décrivait la Servitude volontaire (1576) comme un renoncement conscient à sa liberté.

Du reste, ce qui ne rend pas cependant optimiste au sujet de cette forme d’absolutisme chinois, contrairement à d’autres progrès technoscientifiques en cours, c’est qu’il mélange des avantages manifestes et des inconvénients plus subtils dans une même enveloppe, à savoir le souci de la sécurité des biens et des personnes et, paradoxalement, l’atteinte aux droits et libertés.

L’obsession sécuritaire à tout prix

Qu’il s’agisse d’un prêt bancaire, d’un service à la consommation ou du permis de conduire, une part essentielle du mode de vie occidental est déterminée par des cotes de crédit. À vrai dire, lorsqu’on y regarde plus près, on s’aperçoit que le système chinois s’apparente assez bien avec le calcul du crédit qui s’est développé aux États-Unis dans la période de l’après-guerre, notamment avec les courtiers en notation dans le domaine des assurances et du crédit à la consommation.

Est-ce à dire que le modèle chinois de surveillance prend racine chez le «grand frère» américain? Chose certaine, là où la Chine semble toutefois se différencier du reste du monde, c’est par un recours décomplexé aux nouvelles technologies et au numérique afin d’exercer un contrôle à plus grande échelle.

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Parce que c’était lui tout simplement, un ami

Cette ambition remonte tout particulièrement au début des années 2000 lorsque le pays voulut s’ouvrir davantage à l’économie de marché et au libéralisme. Ce faisant, la Chine y trouva non seulement la solution pour une gestion cohérente de ses finances et des échanges commerciaux, mais également un outil parfait pour assurer l’ordre, l’équilibre et la paix sociale.

Si le pays paraît avoir un pas d’avance sur le reste du monde en matière de surveillance, ce n’est pas tant grâce à de l’innovation ou à une plus grande expertise qu’au fait d’avoir su imposer à sa population — il en coûterait des milliards pour surveiller la minorité musulmane ouïghoure — une production (occidentale) de l’intelligence artificielle (IA) appliquée sur des données issues de capteurs, tandis qu’ailleurs, surtout en Europe, l’on débat encore des fondements juridiques d’un tel contrôle social par la reconnaissance faciale (lire Jean-Gabriel Ganascia, Les servitudes virtuelles, 2022). À titre d’exemple, sur les vingt villes les plus équipées au monde en caméra de surveillance, dix-huit sont chinoises.

La question des droits et libertés

En définitive, si la question du tout sécuritaire ne va pas sans poser de réels problèmes, c’est parce qu’elle comporte des risques d’atteinte aux droits et libertés. Concrètement parlant, nous disposons actuellement, incluant les Chinois, de trois outils de surveillance : 1- les caméras; 2- la fusion des informations et des images disponibles; 3- l’interprétation des sources à partir de l’IA (identité, comportement, etc.).

Concernant le recours à l’IA, celle-ci comporte des effets à la fois positifs et négatifs en matière de droits et libertés. Si personne ne s’objectera vraiment à ce que sa sécurité soit assurée, comme lorsque la reconnaissance faciale permet de certifier un passeport (l’authentification), en revanche l’identification et le suivi des individus (la couleur de la peau et des yeux) présentent un réel danger (lire Olivier Tesquet, État d’urgence technologique, 2021).

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Dans cet entre-deux réside la part d’ombre des technologies de surveillance. Une réflexion de fond sur ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas mérite d’être poursuivie en parallèle aux recherches et aux expérimentations légalement en cours, mais qui, hélas, pour des raisons de sécurité, ne sont pas toujours transparentes.

C’est sans doute le meilleur moyen de rompre avec une certaine technophobie ambiante (Gilbert Simondon, Du mode d’existence des objets techniques, 1958) tout en nous assurant, grâce aux ressorts des États, voire à travers la fondation d’une instance internationale (Francis Fukuyama, La fin de l’homme, 2002), de mieux réglementer ce nouveau type de pouvoir.

C’était le 14 mai dernier, par une belle matinée ensoleillée. Un ami est décédé quelques jours plus tôt et je devais lui rendre hommage. Comme de raison, il est parti sans que je puisse lui dire au revoir. Je n’étais nullement préparé à cette fatalité. Mais qui peut bien l’être réellement?

Le philosophe grec Aristote rappelait souvent que la mort est véritablement la seule chose à laquelle nous ne pouvons échapper. De cet événement douloureux malgré tout et de l’hommage qui suivit m’est venue cette réflexion sur l’amitié.

Qu’avait-il de si particulier, cet ami? Que représentait-il vraiment pour moi? Qu’incarnait-il à mes yeux de si différent des autres pour que je le considère toujours ainsi, vingt-sept ans après, comme un véritable ami?

Je pourrais invoquer une fois de plus Aristote pour qui la seule véritable amitié est une amitié vertueuse : «L’amitié parfaite, dit-il, est celle que nouent les hommes bons les uns avec les autres et ceux qui se ressemblent sur le plan de la vertu. Ces gens-là, en effet, se veulent mutuellement du bien de la même manière, parce qu’ils sont bons et le sont par essence» (Éthique à Nicomaque, Livre 9).

Mais par-delà ce sens de la vertu qu’avait mon ami, c’était aussi un être irrésistible, attachant, dynamique. Il incarnait parfaitement ce dont parle un autre philosophe, Cicéron, dans son texte sur l’Amitié, à savoir : l’entente en toutes choses, spirituelle et humaine, mais accompagnée de bienveillance et de générosité. Cela lui était possible parce que c’était lui justement, comme le dit Montaigne en parlant de son cher ami, Étienne de La Boétie (Essais, 1580). Lui seul avait le potentiel de nous surprendre et de nous émouvoir; parce que c’était aussi un artiste, et ce, dans tous les sens du terme…

Un ami à la fois artiste, artisan et politique

Plus concrètement, son amour pour la musique, son habileté manuelle et sa facilité à construire des réseaux de petits mondes communs faisaient de lui un être hors pair. Ces trois qualités le rendaient unique parce que justement elles font appel à un savoir-faire; un savoir bien particulier, c’est-à-dire un art, une tekhnê.

Toutefois, contrairement à ceux qui prétendent tout connaître, mais qui en fait sont davantage ignorants — tel que le relate la discussion de Socrate avec les politiques, les poètes et les hommes de métier (Apologie, 21c-22e) —, lui, mon ami, était du genre plutôt modeste et bien à sa place. D’autre part, ce qu’il savait, il l’avait appris et pour beaucoup par la curiosité et le doute, qui sont sans doute les clés d’accès à tout savoir.

Précisément, s’il avait une belle voix et s’il aimait chanter, comme il le fit un soir d’août 1999, à notre mariage, c’est parce qu’il avait constamment le regard tourné vers l’intérieur, en direction de son âme. J’imagine que c’est ainsi qu’il trouvait l’inspiration nécessaire pour porter sa voie vers les hauteurs. De toute évidence, son amour pour la musique et le chant (en particulier l’opéra) traduisait parfaitement son être; un être pas comme les autres, constamment porté par la lumière, le dépassement et l’espoir. Avoir un ami artiste, quel plaisir, quelle joie, quel émerveillement!

Artisan, ses mains le servaient bien tout comme elles ont si servi à beaucoup d’autres dans le besoin. Elles suivaient constamment son degré d’inventivité, de création et d’imagination. Au Livre 10 de La République, où il distingue trois lits — le lit divin, celui de l’artisan et le lit de l’artiste —, Platon dit de l’artisan qu’il est le réceptacle sur terre du vrai modèle, le modèle divin. Le 3 mai dernier au soir, alors que je rendais visite à ses proches frappés par la douleur, je jetai un coup d’œil depuis ma chaise à sa table de travail avec les plans en construction ou inachevés. Me vint alors à l’esprit cette question : que vaut le savoir s’il n’y a plus d’artisans comme lui pour le représenter, l’imaginer, le concevoir et le faire vivre. Avoir un ami artisan, quelle chance, quel réconfort, quelle satisfaction!

Mais il n’était pas qu’un chanteur et un artisan. Il possédait aussi un véritable don pour mettre les gens en relation. C’était aussi une marque de sa volonté de construire des ponts en permanence. Dans La vie de l’esprit, la philosophe Hannah Arendt dit ceci : «Nos décisions concernant le juste et l’injuste repose sur le choix de notre compagnie, ceux avec qui nous désirons passer notre vie. Et nous choisissons généralement des exemples, des exemples de gens morts ou vivants, des exemples d’événements passés pour présents».

Inutile de dire que mon regretté ami fait partie à jamais de la compagnie humaine. Son génie politique et sa compréhension de sens commun peuvent à coup sûr servir d’exemple en ce monde. Il a été ce que doit être idéalement un véritable ami, à savoir un cœur intelligent; ce «cœur intelligent» qui, comme le dit si bien Arendt, «rend supportable le fait de vivre […] avec […] les autres et leur permet à eux de nous endurer».

Son art de construire des petits mondes publics communs offrait non seulement des espaces et des ouvertures nouvelles, mais il projetait un monde à venir. Il permettait des amitiés politiques où la confiance et l’affection régnaient. En cela, mon regretté ami était un bon et vrai démocrate. Avoir un ami de cette trempe, engagé sur le plan moral et politique, quelle source d’espoir en l’homme et dans le monde!

L’amitié préserve la dignité en tout homme

Maintenant que sa présence n’est plus là, se pose la question suivante : que faire sans lui? L’exigence du devoir de sa mémoire, bien évidemment. Or, il n’y a pas à choisir entre l’amateur de musique, l’artisan et le génie de sens commun. D’aucuns seraient sans doute d’accord avec moi pour se demander plutôt comment une telle habileté réunissant ces trois qualités est encore possible aujourd’hui.

Ce dont je suis au moins persuadé, c’est que ces trois choix de vie réunis en un seul homme, comme ce fut le cas chez cet ami, préservent la dignité humaine dans toute sa splendeur et sa complexité. Peut-être mon cher ami n’avait-il pas toujours conscience lui-même de la portée de sa maxime; à la manière du génie hégélien qui possède le don, mais peut difficilement l’expliquer et encore moins le transmettre. Chose certaine, ce don qu’il laisse derrière lui me sera bien profitable pour la suite.

Nourri par l’amitié, son héritage me fait prendre conscience également de l’importance d’une culture générale alliant vie intellectuelle et formation pratique, culture de l’esprit et savoir-faire, esprit critique et action politique, etc.

Que demander de mieux d’un véritable ami? J’espère de mon côté lui avoir autant apporté. Car, comme le souligne Aristote, c’est bien la raison d’être et la richesse de l’amitié que de « gens de bien s’apprennent mutuellement les bonnes manières ».

Je posais précédemment cette question : «Que faire sans lui?». Je me demandais aussi : «Comment une telle habileté réunissant ces trois qualités, l’artiste, l’artisan et le politique, est encore possible aujourd’hui?». Mais il y en a une autre que je me pose, tout aussi fondamentale : comment une telle amitié, si riche et instructive, est encore possible de nos jours?

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Depuis 2021, les tensions s’accumulent en Bosnie-Herzégovine. Pour mieux comprendre les enjeux politiques de ce pays composé de 3,5 millions d’habitants, où des élections sont prévues en octobre prochain, il est nécessaire de se rappeler le contexte politique des années 1990.

Située dans la péninsule balkanique, avec une ouverture d’environ 20 kilomètres sur la mer Adriatique, face à l’Italie, mais enclavée au nord et à l’ouest par la Croatie, à l’est par la Serbie et au sud par le Monténégro, la Bosnie-Herzégovine reste largement méconnue. Ce pays a pourtant été marqué par une guerre ethnique sanglante débutée en 1992.

«Ce pays a pourtant été marqué par une guerre ethnique sanglante débutée en 1992.»

Comme chacun sait, ce conflit a conduit, en juillet 1995, au massacre de plus de 8000 hommes et jeunes bosniaques musulmans à Srebrenica, en République serbe. Ce génocide fut ordonné par le président de la République serbe de l’époque, Radovan Karadžić, et son armée dirigée par le général Ratko Mladić avec l’aide d’une unité paramilitaire venue de Serbie sur complicité du président Slobodan Milošević.

Les accords de paix de Dayton

Les accords de paix de Dayton seront signés à Paris le 14 décembre 1995, mettant ainsi fin au conflit armé. Certains experts estiment cependant que c’est pratiquement le seul mérite réel de ces accords. Le volet civil des accords a donné naissance à la constitution du pays. Outre le district neutre de Brčko situé au nord-ouest du pays, la Bosnie-Herzégovine est divisée en deux entités administratives : la Fédération croato-bosniaque (catholique : 20% de la population et musulmane : 50%) dont le siège est à Sarajevo, qui est aussi la capitale du pays, et la République serbe (30% de la population) dont la capitale est Banja Lukal.

Des institutions communes représentant les trois principales communautés chapeautent l’activité de ces deux entités de manière très décentralisée. En effet, la Bosnie-Herzégovine repose sur un régime parlementaire où le Conseil des ministres est le chef du gouvernement. Conformément à l’article 5 de la constitution, le pouvoir exécutif est exercé par le gouvernement formé par une présence tripartite (croate, bosniaque et serbe) pour une durée de quatre ans — au cours de laquelle chacun des membres assure à tour de rôle la fonction de président de la présidence pour une durée de huit mois —, tandis que le pouvoir législatif fédéral est partagé entre le gouvernement et le Parlement.

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L’intégrité territoriale du pays est garantie par les signataires des accords de Dayton, principalement l’Union européenne et les États-Unis qui veillent à ce que le pays ne soit pas déstabilisé.

Pour assurer son bon fonctionnement, un haut représentant de la communauté internationale a été nommé. L’Allemand Christian Schmidt est actuellement en fonction depuis le 1er août 2021. Fortement contesté par la Russie, c’est pourtant lui qui, estimant que le climat politique se détériorait sérieusement, a recommandé au Conseil de sécurité de l’ONU le 3 novembre dernier le renouvellement du mandat pour un an de la mission Eufor composé de 600 soldats européens. Selon la conférence de Bonn (9-10 décembre 1997), le haut représentant pour la Bosnie-Herzégovine possède également le pouvoir de démettre un ministre de ses fonctions et d’imposer des décisions et des lois; ce qui, pour certains, est un autre problème majeur des dispositions de paix de 1995.

Retour des velléités nationalistes

En réalité, le pays semble davantage gouverné comme un protectorat. Si les musulmans s’accrochent à l’accord de paix, eux qui sont les plus marqués par les horreurs de la guerre, aux yeux d’un nationaliste et membre serbe de la présidence du pays comme Milorad Dodik (chef du parti SNSD) ou des partisans du principal parti croate, le HDZ, la Bosnie-Herzégovine n’a pas une pleine et entière souveraineté. Tant pour la minorité croate que pour la minorité serbe, le pays est davantage le résultat d’une «fausse couche».

Les accords de paix de 1995 sont donc la victime toute désignée d’une entreprise de démolition d’un pays devenu un obstacle aux revendications nationalistes et aux ambitions politiques des uns et des autres. À titre d’exemple, le projet autonomiste des dirigeants de la République serbe. En décembre 2021, le Parlement régional serbe a lancé un processus de retrait des institutions communes du pays en dépit des sanctions de l’Occident. Par un vote de 49 sièges sur 83, les représentants serbes ont donné au gouvernement fédéral un délai de six mois pour organiser ce départ de la République serbe des trois institutions cruciales de l’État central : justice, défense et fiscalité.

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D’autre part, outre la fronde du parti SNSD serbe de Dodik, les relations entre Croates et Bosniaques ne sont pas les plus heureuses dans l’entité commune de la Fédération de Bosnie-et-Herzégovine. Aux yeux de la minorité croate, les institutions centrales de la Bosnie-Herzégovine maintiennent la domination de la République serbe sur la Fédération bosniaque-croate. De plus, le HDZ, le plus grand parti croate de la Fédération de Bosnie-et-Herzégovine, et son leader, Dragan Čović, qui revendique le soutien de la majorité des Croates et qui forme une coalition au niveau fédéral avec le SDA bosniaque et le SNSD serbe, mais qui n’est pas membre lui-même de la présidence tripartite du pays, font pression pour une réforme électorale et constitutionnelle afin de garantir aux Croates, par la création d’une circonscription purement croate, le droit d’élire par vote majoritaire leur représentant croate. Ce qui, pour un acteur principal comme le parti SDA bosniaque — dont le vice-président, Šefik Džaferović, est aussi le membre bosniaque (musulman) de la présidence de Bosnie-Herzégovine —, conduirait à une nouvelle étape vers la division ethnique du pays. Toujours est-il qu’à défaut de pouvoir obtenir cette troisième entité (croate) au niveau national, le HDZ refuse tout simplement de reconnaître l’actuel président de la présidence collégiale et membre croate à celle-ci, Željko Komšić, estimant que ce dernier a été élu grâce aux votes des Bosniaques.

Au summum de l’incertitude politique

Nous sommes en mai 2022. Toujours pas de signe d’une réforme électorale qui serait favorable à la minorité croate. Bruxelles et Washington n’ayant pas réussi à faire progresser les négociations entre les trois groupes ethniques à Sarajevo, sous la tutelle des deux envoyés spéciaux, Mathew Palmer et Angelin Eichhorst, la réforme en question sera sans doute renvoyée aux calendes grecques, après les élections d’octobre. La Croatie a bien tenté de faire pression sur l’Union européenne dans les négociations au nom des Croates de Bosnie, mais sans grand succès. Quant au parti HDZ de Bosnie-et-Herzégovine, il promet qu’il ne participera pas au prochain scrutin faute d’une réforme. Pour sa part, le leader de la Fédération serbe, Dodik, a déjà indiqué qu’il songeait aussi à se joindre au boycottage.

C’est donc un pays très fragilisé qui risque à tout moment de verser dans le chaos juridique et l’anarchie; tant par des désaccords internes et de tensions ethniques que par des pressions externes, que ce soit celles venant de la Serbie et de la Croatie, ou encore, plus sérieusement, des deux alliés de la communauté serbe soucieux d’étendre leur influence dans la région et bien décidés de poursuivre le bras de fer avec l’Occident, à savoir la Russie — où de jeunes Serbes de Bosnie se rendraient, dit-on, pour une formation militaire, pendant que des cosaques russes, eux, seraient déployés en République serbe — et la Chine avec ses intérêts économiques et stratégiques. Bref, mis à part une croissance du PIB de 3,4%, rien ou presque ne concourt, 27 ans après les accords de Dayton, à la stabilité et au développement de la Bosnie-Herzégovine.

«C’est donc un pays très fragilisé qui risque à tout moment de verser dans le chaos juridique et l’anarchie.»

Faut-il rappeler en terminant que la Bosnie-Herzégovine reste un endroit névralgique dans l’histoire européenne récente? C’est aussi à Sarajevo, dans l’Empire austro-hongrois, que fut déclenchée le 28 juin 1914 la Première Guerre mondiale par un jeune nationaliste serbe de Bosnie.

Notre époque est propice à la réflexion. Elle nous invite à considérer les choix dans nos actions. Indéniablement, nos interrogations, nos doutes et nos décisions traduisent en quelque sorte le sens que nous donnons à la liberté. Mais savons-nous réellement ce qu’est la liberté? Comme le dit Baruch Spinoza, l’homme croit vivre selon ses propres décisions, alors qu’il est entièrement déterminé («Lettre 58 à Schuller», 1674).

Pour être libre, il faut d’abord pouvoir choisir de vouloir et de ne pas vouloir. Or, seul un être délivré de ses instincts, ce qui n’est pas le cas de l’animal, remplit les conditions minimales de la liberté. Se délivrer de sa nature constitue donc le premier moment, négatif, de la liberté. Comme l’ont si bien montré Jean-Jacques Rousseau et Immanuel Kant, c’est à la culture au sens large, à savoir la société, la justice, le droit et l’éducation, que revient la tâche de réduire au silence les penchants et les déterminations.

Les moments de la liberté

En réalité, pour être libre, il faut que notre volonté veuille ce que toute volonté autonome peut vouloir : être universellement valable. Donc, rien d’autre selon Kant que de respecter la liberté en soi-même et observer le commandement moral suprême selon lequel autrui doit toujours être considéré comme une fin et jamais comme un moyen de satisfaire ses désirs.

En résumé : la liberté s’obtient (1) en luttant contre les désirs qui réduisent l’homme en esclavage et (2) en obéissant à l’impératif de la moralité fondé sur le devoir. Mais comment être libre tout en obéissant à la loi morale?

S’il suffisait d’obéir aux lois pour être libre, alors les citoyens de la Corée du Nord seraient considérés comme libres. Ce qui n’est nullement le cas. Rousseau suggère pour sa part que la solution à ce problème politique et moral, c’est que nous soyons tous les auteurs de la loi à laquelle nous nous soumettons. Politiquement parlant, le contrat social garantit la liberté des citoyens. Il ne les délivre pas de la loi. Au contraire, à travers le vote par exemple, les hommes se donnent à eux-mêmes leurs propres lois : ainsi prime la «volonté générale» sur les intérêts particuliers.

«S’il suffisait d’obéir aux lois pour être libre, alors les citoyens de la Corée du Nord seraient considérés comme libres.»

De même, sur le plan moral, Kant, se référant aux thèses de Rousseau, montre que la loi de la moralité à laquelle nous devons nous soumettre — et qui s’exprime sous la forme d’un devoir sans condition — n’est pas imposée de l’extérieur; elle est un appel de la conscience : nous ne sommes aucunement contraints, car c’est nous-mêmes qui nous le dictons.

Assumer jusqu’au bout sa liberté

Si la liberté est bel et bien le potentiel de l’homme, elle peut toutefois devenir un fardeau. Martin Heidegger et Jean-Paul Sartre soulignent qu’elle nous rend seuls responsables de ce que nous sommes. Or, c’est à cette responsabilité que nous essayons constamment d’échapper en excusant nos comportements et nos choix (sur le mode du «ce n’est pas ma faute», «je suis comme cela», «je n’y peux rien»). Le refus d’agir et d’assumer son comportement apparaît évident quand ce que dicte le devoir vient en quelque sorte contredire nos intérêts. Alors la question se pose de savoir s’il est plus sage d’être juste dès lors que l’injustice est plus avantageuse. En témoigne, le mythe de Gygès au Livre 2 de La République de Platon.

Certes, Gygès n’a pas conscience de l’enjeu, car il lui manque l’éducation à la vertu. Tout comme dans Livre 1 où Socrate débat avec Thrasymaque, ainsi que dans le Gorgias où Calliclès affirme, contre Socrate, qu’il vaut mieux commettre l’injustice que de la subir, Platon constate malgré tout une erreur de jugement : celui qui décide d’être injuste ne le fait jamais à son avantage. Il se laisse emporter par ses désirs et ne prend pas soin de son âme (cf. l’exemple des «tonneaux percés», Gorgias, 493d-494b). Il perd possession de lui-même comme diraient les stoïciens. Insensé, il trouble l’ordre du monde en ne voyant pas ce qu’il faut vouloir. Pourtant, rien ne sert de changer ce qui ne dépend pas de nous; ce qui dépend de soi, c’est de ne pas laisser les désirs corrompre sa volonté.

Ce qui détermine le devoir

Le bien, le mal, le juste et l’injuste sont des valeurs qui varient d’une société à une autre et d’une époque à l’autre. Telle est la thèse d’un utilitariste anglais comme John Stuart Mill. Or, les actions qui sont favorables pour le plus grand nombre le sont aussi pour l’individu : en agissant pour le bonheur de tous, un individu agit aussi pour le sien propre. Pour Mill, ce n’est pas le devoir de Kant, mais l’égoïsme bien compris qui doit servir de fondement à une société.

Mais le problème avec l’utilitarisme, c’est qu’il confond l’utile et la morale, ce qui est problématique. S’il peut être utile de mentir, nous dit Kant, ce n’est pas un acte moral. La valeur morale d’une action ne peut pas reposer sur ses effets ou sur ses conséquences, mais sur la pureté intérieure de l’agent. Si l’intention est égoïste, elle ne sera jamais morale, et ce, même si elle a entraîné des conséquences positives pour autrui. Selon Kant, une volonté déterminée par les désirs reste soumise et aliénée. Nous sommes libres quand nous faisons ce que la raison nous dicte : notre devoir.

«Le bien, le mal, le juste et l’injuste sont des valeurs qui varient d’une société à une autre et d’une époque à l’autre.»

Comme on peut s’en rendre compte, le devoir n’a rien de plaisant ou d’agréable. Si nous faisons notre devoir parce que nous y prenons du plaisir, tant mieux, mais notre action ne sera pas véritablement morale. Nous aurions beau prétendre dire la vérité, mais si nous le faisons par intérêt, alors notre action sera certes conforme au devoir, mais nullement accomplie par devoir : elle n’aura aucune valeur morale.

Pour qu’une action soit morale, il faut que notre maxime puisse être universalisée sans contradiction. Voudrait-on d’un monde où tous mentiraient tout le temps? Non! Mentir n’est pas un acte moral. C’est précisément parce que nous sommes toujours tentés de faire passer nos désirs avant le devoir que ce dernier doit prendre la forme d’un commandement.

Mais le devoir ne contraint personne. Il oblige plutôt, ce qui est bien différent. En tant que sujets libres et dotés de bonne volonté, nous obéissons à la loi morale parce qu’elle est juste, alors que nous nous soumettons à un bandit qui nous menace de son arme et nous contraint par la force. Dans le cas du bandit, nous nous soumettons à une force extérieure qui nous prive de liberté; dans le cas du devoir, nous reconnaissons plutôt la légitimité du commandement moral qui nous conduit jusqu’à l’universel.

La clé du bonheur

Voilà qui est susceptible de nous rendre non seulement libres, mais heureux. Se dire moral en tout, c’est-à-dire libre en raison, ne signifie pas pour autant renoncer à être heureux. Une telle morale du libre-arbitre serait inhumaine si elle interdisait à l’homme d’être heureux.

Or, comme le devoir est incompatible ici-bas avec les diverses conceptions personnelles du bonheur — Aristote aimait dire «qu’une hirondelle ne fait pas le printemps, ni non plus un seul jour» —, nous ne pouvons qu’espérer être heureux plus tard, et ailleurs, si nous nous sommes rendus dignes du bonheur par une vie droite.

Il faut donc faire son devoir sans se soucier d’être heureux en ce monde, tout en espérant qu’il y aura un Dieu juste et bon pour nous accorder après la mort ce que Kant nomme le souverain bien (l’alliance de liberté, du devoir et du bonheur).

Le terme de dette est un concept polymorphe. Dans son acception la plus large, il signifie une obligation financière et marchande, publique ou privée, que l’on peut quantifier, comptabiliser et même prévoir. Mais la dette est d’abord un concept moral synonyme de responsabilité et de devoir, peu importe que ce soit à l’égard d’autrui, d’un proche, de sa communauté, de nouveaux arrivants ou même vis-à-vis de la nature.

Dans un cas comme dans l’autre, dette financière ou dette morale, les deux ont toujours joué un rôle fondamental dans nos sociétés. À ceci près toutefois que l’obligation financière semble de plus en plus l’emporter de nos jours sur l’obligation morale, laquelle reste pourtant impossible à déterminer ou à quantifier avec précision dans la mesure où elle doit composer avec l’imprévisibilité et la fragilité des affaires humaines.

Du reste, tout comme dans le cas de la dette financière, il n’est pas toujours possible de pouvoir tenir une promesse ou une obligation morale malgré toutes les meilleures volontés. C’est à ce stade qu’intervient bien évidemment la vertu de justice (commutative ou corrective) dont parle Aristote, et ce, du fait de conflits éventuels, de désaccords possibles, voire de manquements graves. Gageons tout de même que le fait d’admettre l’impossibilité de remettre sa dette modifie à coup sûr notre vision de la société et, surtout, le sens de la dette elle-même, qu’elle soit individuelle ou collective.

Mais en dehors de cette exception dont je viens de parler, une question se pose. Pourquoi en sommes-nous arrivés à tordre à ce point le mot «dette» et lui donner le sens — irréductible — que nous lui connaissons aujourd’hui, à savoir le reflet d’une société essentiellement fondée sur un rapport marchand?

La dette, un phénomène très ancien

Dans Dette, 5000 ans d’histoire (2011), l’anthropologue américain David Graeber a très bien expliqué comment le pouvoir de la dette structure de fond en comble les relations sociales et l’inconscient collectif.

Toutefois, la particularité de la dette financière ou marchande, c’est qu’elle est exprimée en monnaie, donc exigible par des mécanismes qui peuvent être impersonnels et même transférables puisque l’identité du créancier n’a pas réellement d’importance. Ce type de dette quantifiable est une construction profondément inégalitaire entre le débiteur et le créancier. Graeber en veut pour preuve notamment que si les deux parties étaient égales et se respectaient, ils ne verraient alors aucun obstacle à renégocier la dette par suite d’un imprévu.

Mais ce n’est pas de cette façon que les choses se déroulent dans la réalité. Vulnérable et perçu comme tel par le créancier, le débiteur est le seul responsable de sa dette. Celle-ci est et reste une chose sacrée qui en toute circonstance doit être remboursée. Ainsi parlent les prêteurs et les banquiers… Du coup, ce qui apparaît juste et rationnel au départ se trouve en fait à devenir profondément injuste, inégalitaire et irrationnel.

Le moment dialectique contre la dette financière

Cette thèse n’est pas sans rappeler l’attaque de Platon dans le Livre 2 de La République. Contrairement au réalisme politique d’Aristote concernant la fonction de la monnaie comme valeur commune dans les échanges (Éthique à Nicomaque, Livre 5, Chapitre 8), Platon voit plutôt en elle un facteur de désunion. Bien avant Jean-Jacques Rousseau et Karl Marx, tous deux critiquant le droit de propriété, les échanges et la valeur travail à partir des thèses utilitaristes de John Locke, David Hume et Adam Smith, Platon est le premier à proposer une critique des sociétés axées uniquement sur le profit et l’enrichissement personnel.

Le danger d’une société comme la nôtre fondée sur les échanges et le commerce vient du fait que les individus seront toujours portés à profiter du système; non pour acquérir les biens nécessaires à la vie, mais pour accumuler de l’argent. De moyen, la monnaie devient une fin en soi, selon Platon, ce qui a pour effet de pervertir tout le système de production et d’échange des richesses et de corrompre par le fait même le lien social.

En rabattant la notion de dette sur sa seule acception financière et monétaire, le capitalisme moderne favorise et justifie l’éradication de toutes les autres formes de promesses et de dettes non monétaires qui constituaient jadis les socles de la vie commune dans les sociétés traditionnelles et anciennes.

Il faut lire à ce sujet les recherches anthropologiques de Marcel Mauss et de Claude Lévi-Strauss. Une société n’est pas réductible à une simple communauté dans laquelle prévaut une dette économique et financière. Elle se constitue aussi par l’organisation des liens de parenté (le mariage et la famille par exemple), par l’instauration d’un langage commun à tous ses membres, par un système complexe d’échanges symboliques (promesses, dons et contre-dons); bref, par d’autres moyens et mécanismes qui établissent des rapports, toujours hiérarchiques, certes, mais essentiellement humains et sociaux.

Devoir absolu contre utilitarisme du bonheur

Quant à savoir si, lorsqu’aux prises avec une dette financière et incapable de pouvoir la rembourser, il ne faudrait pas tout simplement refuser de la payer, le philosophe des Lumières allemandes, Immanuel Kant, est clair et formel. Tout comme pour l’interdiction de tuer ou de mentir — qu’un certain Benjamin Constant, dans un débat avec lui en 1797, critique comme étant tout simplement absurde —, Kant stipule que le refus de payer sa dette reviendrait, pour n’importe quel homme, à ne plus pouvoir emprunter. Voudrait-on universaliser une action allant à l’encontre de la communauté universelle des hommes? Bien évidemment non. D’où la maxime qu’il adresse à toute personne libre, raisonnable et dotée de bonne volonté : «Agis de telle sorte que tu puisses aussi vouloir que la maxime de ton action devienne une loi universelle» (Fondements de la métaphysique des mœurs, 1785).

Ainsi donc, Kant oppose l’impératif dit catégorique fondé sur une éthique du devoir, absolu et sans condition — bien distinct toutefois du simple devoir par conformité qui est vécu comme une contrainte — à l’impératif dit hypothétique ou conséquentialiste basé sur un calcul des coûts, profits et conséquences. Persuadé que les sentiments, les intérêts personnels et les idiosyncrasies sont toujours susceptibles de l’emporter sur la volonté générale — comme dans les théories du contrat chez Locke par exemple et surtout chez Rousseau —, Kant estimait crucial de greffer à une communauté politique régie par un contrat le devoir en tant que loi morale universelle. Du coup, l’impératif catégorique s’apparentait sur le plan humain au pouvoir de raisonnement et de conviction dans les sciences.

Appel au jugement de sens commun

Mais, curieusement, Kant était cependant bien conscient des limites d’application d’une telle morale dans le monde moderne marqué par la fin de la métaphysique et de la foi. Si bien que, à côté du devoir strict ou parfait, c’est à nous que revient finalement la responsabilité de juger et d’apprécier (devoirs larges ou imparfaits) : c’est la raison — exception faite de ceux qui sont totalement incapables de l’exercer — qui juge, d’un point de vue universel, ce qui est bon à faire et ce qui ne l’est pas.

Le regretté militant David Graeber l’avait aussi très bien compris. S’agissant de la dette financière, son livre montre que celle-ci s’apparente souvent à un mécanisme institutionnel arbitraire permettant de rendre acceptables des comportements violents et tout à fait contraires à la morale en vigueur.

À l’endettement comme aux stratagèmes les plus vicieux et immoraux mis en place pour assurer la domination des plus forts sur les individus les plus démunis et les États les plus fragiles, la raison doit résister. La justice de Socrate doit primer sur la loi du plus fort de Thrasymaque (Platon, La République, Livre 1).

L’actualité récente dominée par la guerre en Ukraine et le chantage à l’Europe exercé par la Russie au moyen du gaz et de l’or noir nous conduisent une énième fois à réfléchir à notre dépendance à l’égard des énergies fossiles et aux alternatives pour s’en libérer; sinon dans l’immédiat, du moins dans un proche avenir.

 

Face à une situation paradoxale de nécessité et de souci environnemental, nous oublions que ce n’est pas la première fois que le pétrole s’invite dans la géopolitique internationale et l’ordre économique.

 

«Face à une situation paradoxale de nécessité et de souci environnemental, nous oublions que ce n’est pas la première fois que le pétrole s’invite dans la géopolitique internationale et l’ordre économique.»

 

Ce n’est pas lors du premier pic du pétrole de 1862, en pleine guerre américaine de Sécession, ni durant la période de 1865 à 1890, avec les fluctuations de la production américaine et les premiers forages, ou encore avec l’épidémie de choléra de 1894 en Azerbaïdjan, qui s’est traduite par une forte augmentation du prix, mais au tournant du 20e siècle que surgissent des transformations radicales dans la production et la consommation du pétrole.

 

De la voiture aux deux chocs pétroliers

Entre 1915 et 1925, la forte demande dans les transports, notamment les voitures dont le marché explose aux États-Unis, voit le prix de l’essence doubler. Cette augmentation, également liée à la Première Guerre mondiale, va engendrer ce qu’on a appelé la «pénurie d’essence de la côte ouest». Quelques années plus tard, entre 1929 et 1931, la Grande Dépression va cependant contribuer à réduire fortement la demande de pétrole. Tant et si bien que, jusqu’à la Deuxième Guerre mondiale, voire largement au-delà, avec les loisirs et la consommation, son cours reste somme toute normal en dépit de pics temporaires. Malgré la crise du canal de Suez en 1956, qui bloque environ 10% de la production mondiale, il n’y a pas de hausse catastrophique du prix du pétrole, car la ressource est dorénavant exploitée ailleurs qu’au Moyen-Orient.

 

En définitive, il faut attendre le 6 octobre 1973, date du premier choc pétrolier, qui correspond à la guerre du Kippour, opposant Israël à la coalition arabe conduite par l’Égypte et la Syrie en réponse à la guerre des Six Jours (1967), pour apercevoir un changement de cap. En guise de sanction au soutien américain à Israël, les pays arabes membres de l’OPEP, réunis en assemblée extraordinaire au Koweït, décident alors d’augmenter de 70% le prix du baril de l’or noir et d’en réduire la production. Le monde entier entre ainsi dans une crise économique majeure causée par le premier choc pétrolier.

 

Les prix vont alors radicalement exploser. L’année suivante, en 1974, l’embargo sera finalement levé. Mais ce n’est que de courte durée. Quatre ans plus tard, en 1978, surviendra le deuxième choc pétrolier, qui sera pire que le premier. Il a cette fois sa source dans la révolution islamique après la fuite du shah d’Iran. L’Iran diminue sa production de pétrole et rompt carrément de juteux contrats avec des multinationales américaines, ce qui a pour effet de causer une explosion des prix à la pompe. Mais le monde n’est pas en reste puisque dès septembre 1980 le conflit Iran-Irak va contribuer à ralentir les exportations et maintenir les prix du pétrole à un cours très élevé pendant quelques années.

 

Comment parer à d’éventuelles crises?

Crise après crise, le monde sort complètement traumatisé par la hausse des prix des énergies, notamment le pétrole. D’où la nécessité pour les pays non membres de l’OPEP de trouver les moyens de se prémunir contre des changements brusques sur le plan énergétique. Outre le changement d’heure et la construction de centrales nucléaires, songeons aux nouveaux forages dans divers endroits du monde (Mexique, mer du Nord, Alaska, Canada, Sibérie). De même, au milieu des années 1980, un pays comme l’Arabie saoudite va considérablement augmenter sa production. Tant et si bien qu’en 1986, le baril de pétrole se situait à 10 dollars. Après une guerre d’usure qui a vu leur économie souffrir, l’Iran et l’Irak feront de même à partir de 1988.

 

«Crise après crise, le monde sort complètement traumatisé par la hausse des prix des énergies.»

 

Si le marché du pétrole reste encore volatil en 1990 — en témoigne l’invasion du Koweït par l’Irak qui rend instable la production dans le Golfe —, le baril de pétrole demeure autour des 20 dollars. Curieux contraste à partir de 2002 : le baril se met constamment à augmenter, passant de 18 à 140 dollars avant la fin 2008.

 

Cette augmentation fulgurante, que rien ne laissait présager, tient à l’épuisement de la ressource, notamment en mer du Nord, et à un manque d’investissement des entreprises du secteur (moins de prospection, moins de forage, moins d’entretien des pipelines) à une époque, 1990, où le prix du baril était faible. Mais elle tient aussi à une forte demande de pays émergents comme l’Inde et la Chine. Au point où le baril passera pour la première fois au-dessus des 100 dollars en janvier et en juillet 2008.

 

Comme chacun sait, en septembre 2008, une crise financière mondiale découlant de la faillite de la banque américaine d’investissement Lehman Brothers allait s’abattre violemment sur les économies nationales. Au début de l’année 2009, le prix du baril de pétrole fut divisé par trois, voire quatre, fluctuant entre 30 et 40 dollars. Or, deux ans plus tard, en 2011, aidé par les printemps arabes (Égypte, Yémen, Libye, Tunisie, Syrie) et toujours marqué par une forte demande chinoise et une baisse de la production du pétrole conventionnel, le baril atteint de nouveau les 100 dollars.

 

Une période d’incertitude qui s’ouvre

L’année 2014 voit des investissements rentables dans le pétrole de schiste et les sables bitumineux. Avec un prix mondial fixé autour de 100 dollars, des pays comme les États-Unis et le Canada, devenus chefs de file en la matière, participent à une guerre des prix. Mais la baisse de la demande chinoise en contexte de ralentissement économique contribue à diviser à nouveau par quatre le prix du baril, passant de 120 en 2014 à 30 dollars en 2016.

 

Rien ne s’arrange avec la COVID-19 à partir de février-mars 2020. Le monde s’arrête, l’économie se contracte, les chaînes de production tournent au ralenti, les avions sont immobilisés sur les tarmacs des aéroports, les employés sont placés en télétravail. Bref, le cours du pétrole s’effondre et passe même en territoire négatif pour atteindre -37,63 dollars le 20 avril (selon West Texas Intermediate). Depuis, les prix ont progressé et la plus forte augmentation a été le 8 mars 2022 lorsque le baril de brut s’élevait à 123,70 dollars.

 

 

Il est bien difficile de déterminer si les sanctions internationales contre la Russie vont être étendues à son pétrole et à son gaz. Le moins qu’on puisse dire, c’est que nous assistons encore une fois à une extrême volatilité des prix en raison d’une offre très mobile venant de gros pays producteurs, qui peuvent à tout moment décider de couper leur production ou de l’augmenter pour des motifs géopolitiques, et à cause d’une demande qui pourrait être très mouvante et imprévisible — ce qui semble le cas en Europe où la question d’un boycott du pétrole russe est sur la table.

 

Tandis que sur les marchés des actions l’offre reste assez constante, avec une réserve de titres susceptibles d’augmenter par des introductions en bourse, un accroissement de capitaux, ou, au contraire, de les diminuer par des offres publiques d’achat (OPA) ou par des faillites, dans le cas du pétrole l’affaire est beaucoup plus complexe puisque ce sont à la fois l’offre et la demande qui réagissent simultanément.

 

Outre le fait qu’elle nourrit des sources de tensions — en 2020, l’Arabie saoudite pratiqua contre la Russie et l’Iran une baisse des prix du brut —, cette malheureuse combinaison d’offre et de demande provoque dans le même temps des crises économiques — le krach boursier de 2020 — et empêche le développement d’énergies alternatives.

 

Rien n’est donc simple avec le pétrole. Renvoyons donc à ses défenseurs cette question : Que serait le monde sans le pétrole?

 

«Que serait le monde sans le pétrole ?&raquo

 

Jeudi 24 février. Il est 4 h du matin. À peine levé, j’apprends que l’attaque tant redoutée de l’armée russe sur l’Ukraine vient d’être lancée. Pour ce qui devait être, disait-on, une invasion de grande ampleur.

Que veut Vladimir Poutine? Telle est à vrai dire la question qui se pose depuis quelques années déjà. Une partie de la réponse se trouve dans son fameux discours du 10 février 2007 à la 43e conférence de Munich sur la sécurité : «l’élargissement de l’OTAN, disait-il à l’époque, est une provocation qui sape la confiance mutuelle et nous pouvons légitimement nous demander contre qui cet élargissement est dirigé».

 

Ce jour-là, Poutine posait les principes d’une refonte des relations internationales qui guident désormais la diplomatie russe. Mais à l’époque personne ne l’a pris au sérieux. Son discours sera vite oublié comme s’il n’avait jamais été prononcé. Or, force est de constater qu’il est plus que jamais d’actualité.

 

Motifs de cette guerre

 

Outre le motif d’une menace à l’intégrité territoriale de la Russie par l’OTAN — qui fut régulièrement suivi de nombreux avertissements de la part de Poutine, comme les 9 mai 2015 et 2021¹ lors des cérémonies sur la place Rouge de Moscou qui marquent le jour de la Victoire de l’Armée rouge en 1945 —, certains rappellent, non sans raison d’ailleurs, que le sol ukrainien regorgerait de ressources énergétiques, que la mer Noire et la mer d’Azov constituent des points d’entrée et de sortie maritimes stratégiques et commerciaux pour l’Europe et le monde, ou encore que l’Ukraine est un producteur mondial de céréales.

Mais il y a un autre facteur clé à ne pas omettre si nous voulons bien comprendre les enjeux de cette guerre menée par la Russie. Certains territoires et grandes villes ukrainiennes du pays situés au sud et à l’est sont russophones. Songeons à la ville stratégique d’Odessa au bord de la mer Noire, pour ne citer que celle-ci, qui fut fondée par Catherine II de Russie en 1794. Peu importe à vrai dire les intentions de Poutine, la postérité retiendra que ce dernier a fait le choix délibéré, et ce, avec la connivence de la Biélorussie de Victor Loukachenko, d’envahir un pays indépendant depuis 1991, à la suite de la dislocation de l’URSS.

 

Faut-il rappeler qu’au début de l’année 2021, la Russie avait massé environ 100 000 soldats à sa frontière avec l’Ukraine? Quelques mois plus tard, le 22 avril — soit le lendemain d’une allocution à la nation russe au cours de laquelle Poutine en profita pour proférer de nouvelles menaces aux Européens —, elle annonçait par la voie de son actuel ministre de la Défense, Sergueï Choïgou, qu’elle retirait une partie de ses troupes, donnant ainsi à l’Ukraine une impression d’accalmie. En réalité, les tensions militaires dans les régions séparatistes ukrainiennes du Donbass n’ont jamais cessé depuis 2014. Elles auraient même fait environ 130 000 morts.

 

¹ Même chose en 2012 lorsqu’il estimait que «la Russie ne peut pas dépendre uniquement des moyens diplomatiques et économiques pour résoudre un conflit», ainsi que le 24 février dernier lors d’un discours télévisé («Quiconque essaie de nous empêcher de l’extérieur doit savoir que la réponse sera immédiate et entraînera des conséquences que vous n’avez jamais connues»), puis le 26 février où l’agence russe RIA Novosti produit cette fois un article signé du chroniqueur pro-Poutine, Pyotr Akopov : «La Russie n’a pas seulement défié l’Occident, elle a montré que l’ère de la domination occidentale mondiale peut être considérée comme complètement et définitivement révolue».
(cf. fondapol.org)

 

Retour en arrière

 

L’Ukraine (la petite Russie) et la grande Russie ont toujours été liées. La civilisation russe a pris naissance dans la Russie kiévienne, principauté et puissance européenne entre le 9e et le 13e siècle qui avait déjà Kiev comme capitale. À partir du 18e siècle, c’est pratiquement toute l’Ukraine actuelle qui fait partie de l’Empire russe. Après une brève période d’indépendance au cours de la révolution russe, l’Ukraine est finalement intégrée à l’Union soviétique en 1922. Dans les années 1930, l’emprise russe se renforce sur l’Ukraine. La collectivisation des terres décrétées par Staline provoqua une grande famine (Holodomor), faisant entre 3 et 5 millions de morts ukrainiens. Les paysans sont alors forcés de fuir leurs villages pour aller travailler dans les régions industrielles, comme l’actuel Donbass avec ses usines gérées par des Russes.

 

L’Ukraine accède finalement à l’indépendance le 24 août 1991, que le Canada sera le premier à reconnaître le 2 décembre de la même année. Malgré cela, l’influence russe est omniprésente, tout particulièrement dans le sud et l’est du pays où environ 60% de la population parle le russe. Ceci explique pour une bonne part la volonté de ces populations russophones de se séparer du reste de l’Ukraine.

En 2004, l’élection présidentielle ukrainienne voit la victoire du candidat prorusse, Viktor Ianoukovitch. C’est la fameuse «révolution orange». La cour constitutionnelle ukrainienne décide alors d’invalider cette élection au profit d’un nouveau scrutin qui conduira cette fois à l’élection de Viktor Iouchtchenko. Ce dernier souhaite un rapprochement avec l’Europe, ce que Moscou ne voit pas d’un bon œil. Il faut bien savoir qu’en 2004, sept pays de l’ancienne Union soviétique intègrent l’OTAN. Entre 2004 et 2007, neuf pays de l’ancien bloc de l’Est rejoindront l’Union européenne. Cherchant à maintenir à tout prix son emprise sur l’Ukraine, la Russie augmente alors son prix du gaz. Coup dur pour Kiev.

 

 

Affaiblie, coincée entre l’Europe et la Russie, l’Ukraine tente tant bien que mal de maintenir des relations équilibrées. Mais en 2013, alors qu’elle s’apprête à signer des accords commerciaux avec l’Europe, la Russie s’invite dans les négociations et propose à l’Ukraine une aide de 15 milliards de dollars, ainsi qu’une baisse d’environ un tiers du prix du gaz. Ce qui n’est pas rien quand on sait que l’Ukraine achète la moitié de son gaz à la Russie. Viktor Ianoukovitch, élu président de l’Ukraine depuis 2010, retourne sa veste et accepte l’offre de Moscou.

 

De nouveau, les europhiles ukrainiens se révoltent et crient leur colère. Au point qu’en février 2014, la révolution de Maïdan force le président Ianoukovitch à l’exil. De son côté, la ligue prorusse, notamment dans le Donbass et dans la Crimée (détenue par la Russie jusqu’en 1954, puis rattachée à l’Ukraine en 1991), voit dans cette révolution un coup d’État. Moscou n’a alors aucun scrupule à masser des troupes à l’est du détroit de Kertch reliant les deux mers (Noire et Azov). Comble de l’absurde : en mars de la même année, Poutine décide un référendum illégal qui se solde par le rattachement de la Crimée à la Russie.

 

Dans le Donbass, des milices indépendantes prorusses font la loi. Les républiques de Donetsk et de Louhansk sont tour à tour autoproclamées en l’espace d’un mois. La guerre est là pour durer. Il faudra attendre l’année suivante pour parvenir à un accord, celui de Minsk II, mais qui n’a jamais été respecté dans les faits par l’une ou l’autre des parties.

 

Deux solitudes

 

Voilà quelques explications qui, sans justifier l’actuel conflit, permettront peut-être de mieux le comprendre et ainsi battre en brèche quelques préjugés ou idées reçues. La dureté de cette guerre, dont l’issue est tout à fait imprévisible, malgré les déboires de l’armée russe, cache bien que l’âme et la culture du peuple russe, à ne pas confondre avec ses oligarques, sont aussi très sensibles et romantiques et que, malgré sa fragilité et sa vulnérabilité, le peuple ukrainien fait preuve d’une extrême grandeur.

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Campus Saint-Jean, publie bimensuellement une chronique « Esprit critique ».

Dans la première partie de cette chronique (volume 92, no 5, janvier 2022), j’ai insisté sur l’importance des différents écosystèmes. Le fait de nous comporter comme nous le faisons, de manière aveugle, en nous appropriant la nature à des fins purement utilitaires et instrumentales, contribue à déséquilibrer notre relation avec tous les autres organismes vivants. Nous payons un lourd tribut à cause de nos appétits voraces. La pandémie liée au coronavirus est incontestablement l’exemple le plus récent en date. Elle est le fruit d’une déstabilisation des équilibres naturels.

«Nous payons un lourd tribut à cause de nos appétits voraces.»

Mais les conséquences ainsi que le prix de cette destruction ne se reflètent pas seulement au niveau des écosystèmes et des espèces vivantes. Ils sont aussi bien perceptibles à un autre niveau, climatique cette fois. Des recherches et des études croisées confirment que le dérèglement climatique affecte de plein fouet l’environnement et notre habitat commun.

La crise est donc globale…

En effet, l’électricité et les types d’énergies fossiles utilisés dans l’industrie, pour les transports (moteurs à combustion) et pour nous chauffer, de même que la déforestation, ainsi que les activités d’épandages et les productions biochimiques pour stimuler les sols et développer une agriculture intensive dans le but de nourrir la population mondiale finissent par se répercuter sur le climat; et ce, avec tous les effets que l’on sait : hausse des températures, incendies de forêt à grande échelle, réchauffement des océans et des cours d’eau et par suite un risque avéré d’hypoxie, c’est-à-dire une baisse significative de l’oxygène nécessaire aux espèces pour vivre et se développer dans les profondeurs maritimes, forçant du coup les bactéries à se tourner vers d’autres oxydants (nitrate, oxyde de fer, manganèse) pour dégrader les matières organiques, avec pour résultat une augmentation des métaux lourds dans les colonnes d’eau. Faudrait-il une preuve supplémentaire de la destruction en cours que nous la trouverions également dans l’élévation du niveau des mers et des océans qui contribuent à des inondations de grande ampleur ou encore à l’érosion des sols.

Tous ces phénomènes qui contribuent au dérèglement climatique ont incité les Nations Unies à se préoccuper — c’est le moins qu’on puisse dire — des nouveaux apatrides, les quelque 250 millions de «réfugiés climatiques» que compte aujourd’hui notre planète.

«Les quelque 250 millions de « réfugiés climatiques » que compte aujourd’hui notre planète.»

Des polluants bien visibles dans l’air et dans l’atmosphère

Grâce aux données transmises par satellites, il est désormais possible de mesurer, d’expliquer et de mieux comprendre les effets de divers types de pollution, tant sur le climat que sur l’environnement en général. Ces données sont obtenues à partir de rayons infrarouges émis par la terre. Comment? En traversant les couches de l’atmosphère, les rayons interagissent avec différentes molécules, puis atteignent les détecteurs de satellites.

Pour mieux comprendre de quoi il retourne, il suffit de penser aux gaz à effet de serre et aux différents polluants utilisés dans les productions et les activités humaines. Tous ces gaz vont interagir avec la radiation infrarouge. Or, tandis que les gaz à effet de serre vont perdurer pendant très longtemps, voire se mélanger dans l’atmosphère et se répandre partout sur la Terre — à titre d’exemple le CO2, le méthane ou encore le N2O qui contribuent tous au réchauffement de la planète sur le long terme et par suite à la fonte des glaciers, vont voyager en quelques semaines depuis leur émission dans le ciel d’Edmonton un partout dans le même hémisphère nord et, après quelques mois ou une année, vont s’étendre à l’hémisphère sud —, les polluants sont des gaz beaucoup plus réactifs. La particularité de cette deuxième catégorie de gaz, les polluants — NOx, NH3, O3 —, c’est de se détruire chimiquement dans l’atmosphère. Ils présentent aussi des effets plus locaux, comme les risques sur la santé (maladies pulmonaires ou cancer) et sur l’environnement.

Ainsi, à tous ceux qui douteraient encore des effets destructeurs des différents gaz, les données par satellites apportent une réponse assez cinglante et inquiétante. Il est maintenant possible d’observer par imagerie spatiale les variations dans les concentrations des polluants (gaz réactif). Du matin au soir, les satellites permettent de repérer en rouge — cette couleur indiquant une forte concentration en gaz —, les mouvements des différents polluants et d’en générer une cartographie partout sur la planète aux fins d’études précises sur l’environnement, le climat et la santé des populations.

Les enseignements tirés du confinement au printemps 2020

Ce fut notamment le cas au-dessus de la Chine durant la période du premier confinement, au printemps 2020. La Chine étant l’un des pays au monde qui émet le plus de pollution, avec les États-Unis, les données satellitaires offraient un contraste saisissant par rapport à une période d’activités industrielles intenses et de mouvement de circulation.

Ce marquage ciblé sur la Chine a aussi permis aux experts d’établir une comparaison avec d’autres régions du monde, l’Europe notamment, et ce, concernant d’autres sources de pollution. Mais une telle comparaison n’est possible que sur la base de données obtenues aux mêmes périodes que les données antérieures.

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Faut-il préciser toutefois que les polluants de manière générale ont des cycles saisonniers? Ils dépendent aussi des conditions météorologiques telles que la pluie, le froid ou le vent? Inutile d’ajouter que ce genre d’analyse comparative est très complexe. Mais elle est bel et bien possible et réalisable grâce aux données obtenues par satellite. Elle conduit à des résultats assez probants.

Du reste, rien que pour la Chine, il a été noté une baisse assez significative des polluants, soit de l’ordre d’environ 40%. Une bonne part de ce pourcentage tient à une diminution du monoxyde de carbone. À la différence de la Chine, où le charbon constitue une ressource déterminante dans l’industrie, bien que très polluante, c’est davantage la pollution aux particules découlant du chauffage, des transports et de l’épandage d’engrais dans les champs qui est dominante en Europe. Ainsi, pour l’Europe, et notamment en France, lors du premier confinement, des chercheurs ont noté tout particulièrement une très forte concentration d’ammoniac dissous dans l’air résultant de l’épandage, par comparaison aux mêmes périodes antérieures.

L’étude des corrélations à l’épreuve de la désinformation et de la spéculation…

La recherche est un art. Les chercheurs en sciences nous le diront. Le travail du scientifique demande du temps, depuis la formulation du protocole à un cadre théorique de recherche expérimentale jusqu’à l’élaboration d’hypothèses, à la comparaison des résultats obtenus et, finalement, à leur publication.

Alors au lieu de prétendre et d’affirmer des âneries, comme ce fut souvent le cas lors du printemps 2020, tel que les particules contribueraient à propager le virus, mieux vaut s’abstenir, patienter et s’informer.

C’est plutôt l’inverse qui est vrai : si l’on considère que les personnes âgées et celles atteintes de certaines maladies ou avec des problèmes pulmonaires sont davantage affectées que d’autres par les transformations climatiques résultant de la pollution, force est d’admettre que ces personnes sont d’autant plus susceptibles d’attraper le virus en raison de leur fragilité et de leur vulnérabilité.

De ce point de vue, il faut vraiment «faire confiance à la science».

Campus Saint-Jean, publie bimensuellement une chronique « Esprit critique ».La pensée africaine trouve certainement son point de départ dans la décolonisation. Mais si les divers courants qui prennent forme en sol africain vers 1960 sont marqués par le devenir de l’Afrique, ils restent aussi fortement imprégnés d’oralité, de croyances et de coutumes. 

Après tout, pourquoi le vieux sage, qui ne sait ni lire ni écrire et qui ne prétend pas être philosophe, n’aurait-il pas certaines connaissances? C’est la question que posèrent deux ethnologues français, Marcel Griaule et Germaine Dieterlen, dans leurs recherches sur la cosmogonie des Dogons du Mali. À travers les habitudes de cette ethnie indigène ancestrale, les deux chercheurs nous ont fait découvrir des proverbes et une réflexion qui nous rappellent que la pensée africaine remonte à des temps immémoriaux.

«La pensée africaine trouve certainement son point de départ dans la décolonisation.»

C’est aussi ce que suggère une autre approche, intellectuelle et universitaire, de la philosophie africaine qui s’appuie sur les Bantous, un groupe ethnique qui occupe une bonne partie de l’Afrique centrale, orientale et australe (Nigéria, Cameroun, Congo, Afrique du Sud). On trouve notamment chez Fabien Eboussi-Boulaga (La crise du Muntu, 1977) l’objectif de faire renaître le Muntu. Mais que recouvre précisément ce terme?

Le Muntu, paradigme de la philosophie africaine

Muntu

signifie homme. Or, ce n’est pas une essence, mais une histoire, une trajectoire, un horizon de possibilités. On le trouve dans la plupart des 400 langues d’origine bantoue — le pluriel de Muntu étant Buntu — réparties dans près d’une vingtaine de pays comptant pour environ 320 millions d’habitants. La notion de Muntu est inséparable de sa forme active et vivante, l’Ubuntu, terme qui signifie peuple, culture, humanité, communauté de destin. D’ailleurs, sous l’inspiration de Nelson Mandela et surtout de Desmond Tutu, le concept d’Ubuntu sera popularisé et jouera un rôle essentiel dans le processus de réconciliation nationale post-apartheid en Afrique du Sud.

«Muntu signifie homme. Or, ce n’est pas une essence, mais une histoire, une trajectoire, un horizon de possibilités.»

Revendiquant le droit à la pensée au nom de l’Afrique contre une forme sclérosée de la vieille Europe et ses «fétichismes aliénants», les défenseurs de la culture bantoue voient dans le discours philosophique occidental un monopole intellectuel auquel l’homme noir ne participerait que de manière mimétique. Or, la philosophie bantoue est d’abord une façon de «réclamer son dû» et d’«exercer son humanité»; le statut de Noir n’étant qu’une étiquette, une image préconçue de l’Africain.

Tout le travail d’intellectuels africains comme Fabien Eboussi-Boulaga va donc consister, à partir des années 1970, à rétablir la tradition humaniste africaine à travers la communauté des peuples (Ubuntu) de langue bantoue, et ce, après de longs siècles d’errance et de soumission. Un retour à soi qui correspond à la dignité du Muntu contre les traits engendrés par l’identification à la négritude. Cette conscience bantoue de l’Ubuntu s’inscrit dans un horizon d’émancipation par rapport au manteau hégémonique de l’homme occidental se refermant jusqu’à l’exclusion d’une partie de l’humanité.

Hegel et Tempels au banc des accusés 

Deux temps forts marquent cette volonté d’indépendance. Notons d’abord la critique du philosophe allemand G.-W.-F. Hegel sur l’Afrique (La raison dans l’histoire, 1822), pour qui l’homme africain n’est pas entré dans le telos de l’histoire universelle. Ensuite, celle du père missionnaire franciscain au Congo belge à partir des années 1930, Placide Tempels (La philosophie bantoue, 1945). Révisant les postulats établis à la fin du 19e siècle par Lucien Lévy-Bruhl (Les fonctions mentales dans les sociétés inférieures, 1910), Tempels offre une compréhension de l’esprit bantou teintée d’essentialisme chrétien. Dans les deux cas, ce qui est dénoncé, c’est une ethnophilosophie élaborée par des Européens pour un public européen.

Ce jugement sur la philosophie européenne par le prisme des visions hégélienne et chrétienne reste bien évidemment très discutable. Les prémices de la pensée africaine ne sauraient se réduire à ceux qui, en Afrique, ont pu polariser le débat autour de Hegel et de Tempels. Comme l’explique Séverine Kodgo-Grandvaux (Philosophies africaines, 2013), la réception de la pensée européenne rejoint des penseurs africains qui, dans leur conception, sont parfois diamétralement opposés. Concernant la question bantoue, Alexis Kagame va reformuler Tempels dans La philosophie bantu comparée (1970) à partir de la linguistique, tandis que Fabien Eboussi-Boulaga sur Tempels et Paulin Hountondji sur Hegel (Sur la philosophie africaine, 1977) vont opérer une déconstruction radicale de l’ethnocentrisme.

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Un autre aspect de la pensée africaine dont il faut tenir compte vient d’un personnage de l’Afrique postcoloniale, qui jouit, à lui seul, d’un prestige incontestable parmi les élites occidentales : Léopold Sédar Senghor. Écrivain engagé, membre de l’Académie française, président du Sénégal, Senghor incarnait une autre Afrique : celle qu’il voulut décomplexée, libérée; une Afrique assumant son passé. Or, pour certains intellectuels africains, notamment Marcien Towa (Léopold Sédar Senghor, 1971), Senghor était tout le contraire de cela. Il apparaissait même comme la figure d’un néo-colonialisme européen.

Faut-il préciser enfin que la philosophie bantoue ne peut recouvrir tout le panorama de la pensée africaine? Il suffit pour s’en convaincre de penser au philosophe kényan Henry Odera Oruka (1944-1995) dont les recherches portaient sur les sagesses africaines, ainsi qu’au Sénégalais Souleyman Bachir Diagne qui travaille sur la relation entre la philosophie islamique, la culture arabe et la culture africaine ou encore au Camerounais Jean-Godefroy Bidima qui a formulé une éthique de la discussion à travers une critique de l’École de Francfort.

Le péril du prophétisme

Nous aurions tort par ailleurs d’oublier qu’avant les thèses de Tempels sur la « force vitale » bantoue, toute une brochette d’intellectuels européens contribua aux germes de ce qu’on appellera plus tard la pensée africaine. Parmi les anticolonialistes de l’Afrique, mentionnons, outre Marcel Griaule et Germaine Dieterlen, Raoul Allier (Le Non-civilisé et Nous, 1927), Adolphe Louis Cureau (Les sociétés primitives d’Afrique équatoriale, 1912), Maurice Delafosse (L’âme nègre, 1922), ainsi que Léo Frobenius, un ethnologue allemand et défenseur de l’affirmation des cultures africaines (The Voices of Africa, 1913).

Ce que nous enseigne du reste cette brève incursion au cœur de la pensée africaine, c’est que la philosophie n’est pas une démarche purement intellectuelle, ni une méthode ou un système refermé sur lui-même par rapport aux réalités empiriques; elle symbolise une relation indéfectible de la pensée et de l’action. Est-ce à dire que, quelle que soit la méthode privilégiée, esprit critique, dialectique, phénoménologie, déconstruction puis reconstruction de l’espace public, celle-ci ne saurait être incriminée ou taxée d’idéologie?

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Il est impossible, sauf à vouloir pratiquer en permanence la dénégation, de mettre en cause la philosophie occidentale alors même qu’on a recours à ses concepts à des fins pratiques. En témoigne, en Afrique du Sud, la volonté de faire revivre l’esprit Ubuntu sur la base d’une internationale socialiste (ANC) et de préceptes religieux chrétiens. Nous atteignons ici jusqu’au péril du prophétisme : soit le danger que ne soit pas pleinement rempli l’office de la philosophie (africaine) qui n’est pas seulement de montrer – c’est le prophétisme –, mais de montrer comment la justice, naturelle ou divine, ou la sainteté professée par la religion à des individus dans le besoin et dans la détresse ou encore le bien-fondé d’un système politique reposant sur le Salut est possible.

Le regretté Desmond Tutu savait bien que la communauté des saints n’est pas la communauté des hommes, lui qui n’hésitait pas à pourfendre et à dénoncer la politique du président sud-africain, Jacob Zumba, pour ses dérives. Au point d’affirmer qu’il ne voterait plus jamais pour l’ANC, ce parti de la lutte contre l’Apartheid au pouvoir depuis l’avènement de la démocratie en 1994.

Campus Saint-Jean, publie bimensuellement une chronique « Esprit critique ».

Après les craintes et l’adaptation à une crise sanitaire inédite vient le temps de la réflexion et de l’intelligence collective. Avec raison d’ailleurs. Non pour dominer les événements — ce qui n’est vraiment pas possible — mais pour s’efforcer de partager des questions, des observations et des inquiétudes que suscitent les développements de l’épidémie et ses multiples conséquences.

Après les craintes et l’adaptation à une crise sanitaire inédite vient le temps de la réflexion et de l’intelligence collective.

À partir de deux aspects en particulier, au plan écologique d’abord (partie 1), ensuite, au plan environnemental, principalement au niveau du dérèglement climatique (partie 2), je convie le lecteur à questionner la «myopie du désastre». Cette tendance semble être devenue l’une des vraies caractéristiques de l’homme contemporain dès lors que l’on prend en compte son fort potentiel d’aveuglement.

Qu’est-ce que la zoonose?

Qu’en est-il du vivant? Certains parlent d’extinction, d’autres évoquent l’effondrement du nombre des populations sauvages, et ce, toutes espèces confondues : champignons, plantes, arbres, animaux. À cette crise s’ajoute en parallèle une explosion de la domestication du monde animal. En effet, la planète compterait notamment 23 milliards de poulets pour l’élevage, 3 milliards de cochons et 1,3 milliard de vaches. Ce sont là des chiffres nettement supérieurs à la biomasse des 10 000 espèces d’oiseaux existants aujourd’hui sur la Terre. C’est peu dire de notre démesure; une démesure qui explique pour une bonne part la situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui.

Crédit : Freepik

Ce que les spécialistes du vivant appellent zoonose (saut d’espèces), cette maladie infectieuse d’animaux transmissible aux humains — la première de la sorte fut celle du H1N1 survenue aux États-Unis, il y a exactement un siècle à partir d’élevages de canards —, explique pourquoi nous sommes sans arrêt, depuis vingt ans environ, confrontés à des maladies humaines issues de virus, de bactéries et de protistes. À titre d’exemple, sur 300 nouvelles maladies répertoriées en France depuis 1940, presque les trois quarts d’entre elles sont des zoonoses.

Une explication de ces maladies vient de ce que nous sommes de plus en plus nombreux sur la terre, qui plus est majoritairement regroupés dans de grands centres urbains. À cela s’ajoute comme je le disais l’agriculture intensive ainsi que l’accélération du changement climatique et, conséquence de cette accélération, l’effondrement du vivant dans lequel nous sommes entrés. Tous ces éléments interfèrent avec notre santé et notre bien-être.

Une seule santé…

Les Nations Unies ont bien compris l’enjeu derrière la destruction en cours en mettant sur pied, en 2000, un mouvement appelé One Health. Sont concernés non seulement le vivant, mais tous les écosystèmes. Preuve en est : l’origine du coronavirus. Ce virus est connu par les chercheurs et les biologistes depuis vingt ans. Il nous vient de chauves-souris vivant dans les grottes du Cambodge, du Laos et surtout de l’est de la Chine. Étudié et suivi de près, ce virus a pourtant trouvé le moyen, en partie grâce à l’homme, de faire le tour du monde depuis décembre 2019, date à laquelle Taïwan a pris conscience de la propagation du virus et intercepta, dès le lendemain, les premiers avions en provenance de Chine.

J’ai bien dit tous les écosystèmes, et ce, à tous les niveaux : de la biocénose au biotope. En effet, nos océans regorgent également de virus. Une seule goutte d’eau de mer contient à elle seule des virus par milliards, des bactéries par millions et des protistes par centaines de milliers. Parmi les protistes, le phytoplancton est composé de toutes petites algues qui nous procurent l’oxygène dont nous avons besoin. Nous avons souvent tendance à les oublier, croyant qu’il n’y a que les forêts capables de nous procurer de l’oxygène pour respirer. Phytoplancton, bactéries et virus dans les océans équivalent à 98% de la biomasse par comparaison avec les baleines et les poissons (2%), les sols (2,5 tonnes de bactéries à l’hectare) et les micro-champignons (3,5 tonnes).

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Mais il y a davantage que cette richesse. Protistes, bactéries, tardigrades, vers de terre, nématodes, collemboles, acariens constituent une partie essentielle de la vie de nos sols. Or, ceux-ci se meurent depuis l’après-guerre : d’une part, à cause de la mécanisation et de machineries lourdes et d’autre part, en raison de puissants biocides tels que les pesticides et les herbicides qui rendent impossible l’existence des éléments naturels et par suite la qualité des cultures.

Indéniablement, cette destruction entraîne aussi des répercussions sur l’être humain. Il suffit de prendre l’enfant à la naissance. Son tube digestif est pratiquement axénique. Il a très peu de bactéries. Avec la rupture de la poche des eaux, c’est le moment où les microorganismes présents dans le corps de la maman vont se précipiter pour l’ensemencer. Nous savons maintenant que cette fraction de la vie (3/4 d’eau + bactéries + 1000 premiers jours) est déterminante pour le développement de l’être humain et sa constitution.

S’agissant du coronavirus, celui-ci a trouvé sa place dans l’humain (davantage chez le garçon) et tout particulièrement chez les ainés et les personnes aux prises avec des problèmes de santé. Curieux paradoxe tout de même si l’on considère que l’objectif de la médecine est de nous permettre de vivre plus longtemps et dans de bonnes conditions. Ceci nous rappelle au moins notre fragilité, ainsi que nos devoirs et nos obligations à l’égard de la nature.

La nature nous parle, il faut l’écouter

Faut-il rappeler ce que nous avons en commun avec une mouche (2/3 d’ADN), avec les microalgues du phytoplancton (1/3), avec les acariens qui nous nettoient le matin dans notre lit? Est-il besoin de souligner davantage l’importance de la biodiversité en termes de coopération et d’échanges entre les différents éléments (nature, microorganismes, animaux, humains)?

«Arrêtez de me malmener, laissez-moi tranquille !»

Le mot d’ordre de la nature, c’est : «Arrêtez de me malmener, laissez-moi tranquille! Le commerce et le trafic de mon réservoir : non! L’expérimentation scientifique, oui, mais sous certaines conditions! Vous ne comprenez toujours pas? Alors, observez bien comment le vivant innove, avec une énorme parcimonie d’énergie. Observez tout particulièrement la puissance de la libellule : elle vole à cent kilomètres avec seulement deux watts. Comment parvient-elle à cette prouesse? Mystère que moi seule je détiens. Alors, poursuivez vos interrogations et fichez-moi la paix! Au lieu de détruire mon réservoir, qui est aussi votre lieu de vie et de reproduction, vous, humains, faites preuve d’inventivité et coopérez avec moi. Pas qu’avec la libellule, mais avec tout ce qui vous permet de respirer, de manger, de vivre et, sans doute, de mener une existence authentique».

Cette chronique est comme une lettre solidaire. Partagez-la à l’infini et vous serez heureux, en santé et comblés de la grâce divine de la nature.