le Mardi 16 avril 2024

 

Mehdi Mehenni
IJL – Réseau.Presse – Le Franco

 

Le gouvernement de l’Alberta vient de débloquer un budget de 251 millions de dollars pour le financement de projets d’infrastructures scolaires. Une coquette somme qui ne bénéficiera, cependant, à aucune école francophone.

 

Les demandes ne sont pas pourtant en reste, comme le souligne le Conseil scolaire Centre-Est (CSCE). Il affirme «ne pas avoir obtenu d’annonce en infrastructures depuis la construction de l’école du Sommet» qui a été inaugurée en juin 2011.

 

«Bien entendu, le CSCE ne peut pas cacher sa déception face à cette annonce du gouvernement qui néglige encore une fois les priorités des francophones», martèle Réginald Roy, président du CSCE.

 

«Les conseils scolaires ont le droit d’aller en Cour.» Léo Piquette

 

Il souligne, toutefois, que «le Conseil va continuer de revendiquer ses priorités en infrastructures et rappeler au gouvernement albertain de respecter ces obligations selon l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés».

 

Une démarche que Léo Piquette, ancien député provincial et ex-président du Conseil scolaire Centre-Est, semble fortement appuyer.

 

En faisant référence à la décision de la Cour suprême du Canada qui a rétabli, en juin 2020, le Conseil scolaire francophone de la Colombie-Britannique dans ses droits, Léo Piquette estime que «les conseils scolaires ont le droit d’aller en Cour pour imposer que le gouvernement doit financer les infrastructures nécessaires à l’équivalence en Alberta».

 

Il rappelle aussi que «la Cour suprême du Canada s’est prononcée sur cette question. Les gouvernements provinciaux doivent répondre à l’équivalence des écoles francophones à la majorité dans les questions du financement de l’infrastructure des écoles et sa programmation».

«En attendant des fonds supplémentaires»

En annonçant l’octroi du nouveau budget réservé aux infrastructures scolaires, le gouvernement avait mis en avant des critères de sélection «rigoureux» et par «priorité».

 

À la question concernant si aucune demande provenant d’une école francophone n’en valait la peine, Katherine Stavropoulos, attachée de presse du ministre de l’Éducation, indique que «les conseils scolaires sont tenus de soumettre des plans d’immobilisations triennaux, qui servent à élaborer le plan provincial d’immobilisations».

 

Et que «toutes les soumissions d’immobilisations scolaires sont examinées et classées par ordre de priorité en fonction de critères d’évaluation dans les catégories suivantes : santé et sécurité, pressions d’inscription, conditions de construction, fonctionnalité et programmation et exigences légales».

 

Cela dit, souligne Katherine Stavropoulos, «le processus annuel de planification des immobilisations de la province se poursuit, comme d’habitude».

 

«Ils sont élaborés par des firmes d’experts pour s’assurer qu’ils rencontrent les critères provinciaux.» Réginald Roy

 

Et d’ajouter : «Nous continuons de reconnaître le besoin de nouveaux projets scolaires à travers l’Alberta. Les projets dont le financement n’a pas été approuvé dans le budget 2022 seront à nouveau pris en considération lorsque des fonds supplémentaires seront disponibles».

 

Katherine Stavropoulos rappelle aussi que «le gouvernement de l’Alberta s’est engagé à poursuivre la prestation de l’éducation en français dans la province et est fier d’avoir financé cinq projets d’écoles francophones au cours des trois dernières années».

 

Pourtant, le président du CSCE affirme que leurs projets d’infrastructures répondent aux exigences du gouvernement.

«Ils sont élaborés par des firmes d’experts pour s’assurer qu’ils rencontrent les critères provinciaux», assure-t-il.

 

Au sujet des projets d’écoles francophones financés au cours des dernières années par le gouvernement, Réginald Roy tient à préciser que «bien qu’il ait eu des annonces, nous sommes toujours en mode rattrapage et réparation en raison des lacunes gouvernementales du passé».

 

Il cite comme exemple «Lac La Biche (qui) est en très grand besoin et Plamondon aussi. Pour Lac La Biche, il s’agit d’un projet de modernisation pour maternelle à 6 ans. On ne peut pas bien desservir notre clientèle dans ces communautés».

«C’est une claque dans la face»

 

Le Conseil scolaire Centre-Nord (CSCN) n’a pas, lui non plus, caché sa déception.

 

«Le CSCN est extrêmement déçu qu’aucune de ses demandes immobilières, notamment celles concernant les écoles Gabrielle-Roy et Michaëlle-Jean, n’ait été incluse dans le plan d’immobilisations de la province», regrette la présidente Tanya Saumure dans un communiqué rendu public le 4 mars dernier.

 

Selon elle, «plusieurs écoles du CSCN ne sont pas en mesure d’offrir une expérience éducative véritablement équivalente à celle des écoles anglophones et d’immersion à cause d’un soutien financier insuffisant en matière d’infrastructure».

 

Surtout qu’il s’agit d’un «problème qui s’ajoute au sous-financement opérationnel chronique dont souffrent les conseils scolaires francophones depuis des décennies».

 

C’est pour cette raison, relève-t-elle, qu’un «nombre important d’enfants qui sont éligibles à fréquenter les écoles du CSCN n’est pas desservi, ou mal desservi, et ne bénéficie pas d’un accès raisonnable à une école francophone». Elle estime que «cela doit changer».

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En attendant, Léo Piquette, qui avait mené bataille et obtenu gain de cause dans les années 2000, s’agissant de «manquements similaires de la part du gouvernement provincial», considère qu’il «s’agit là d’une claque dans la face des conseils que de refuser toutes les demandes et priorités des écoles francophones».

 

«C’est bizarre qu’aucune demande n’ait été satisfaite», conclut-il

Malgré les efforts en matière d’accès à la justice en français recensés par la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta, des juristes d’expression française relèvent toujours des «manquements» et des «défaillances».  

Mehdi Mehenni
IJL – Réseau.Presse – Le Franco

Un homme accusé d’agression sexuelle vient d’être reconnu non coupable par la justice albertaine au terme d’un procès qui s’était ouvert en décembre dernier à Edmonton.

En effet, selon l’arrêt R. c. Benoit rendu par la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta et consulté par la rédaction du journal, la juge a estimé que l’accusé, un francophone, «aurait aimé consulter un avocat qui parlait français sans l’aide d’un interprète, mais qu’il ne l’a pas fait, pensant que le seul choix était celui vers lequel il a été dirigé».

La juge Anna Loparco a conclu que «l’effet de la violation sur les intérêts de l’accusé était sérieux» lors de son arrestation par la GRC, même si celle-ci s’est déroulée en français.

Cette affaire vient immanquablement remettre à l’ordre du jour la question des «lacunes en matière d’accès à la justice en français dans la province», comme le relève Me Kim Arial, vice-présidente de l’Association des juristes d’expression française de l’Alberta (AJEFA).

L’avocate, qui est membre des barreaux de l’Alberta et des Territoires du Nord-Ouest dans les domaines de la défense pénale et criminelle ainsi que des droits linguistiques et constitutionnels, situe la problématique à deux échelles.

D’abord, au niveau des procédures policières où elle «constate souvent des manquements s’agissant du service en français».

«Dans les dossiers que je traite, j’ai l’impression que les policiers ne maitrisent pas le processus. Lorsqu’un individu est en état d’arrestation, certains droits en vertu de la Charte de la liberté, notamment les articles 9 et 10, doivent être respectés. Le droit d’être informé de son droit à une assistance juridique et rendre possible l’accès à ce droit, en font partie», souligne-t-elle.

Me Kim Arial estime ainsi que «les lacunes de la police se situent au niveau de la compréhension de leurs obligations raisonnables envers la personne arrêtée lorsqu’un problème lié à la langue se présente».

«Les lacunes de la police se situent au niveau de la compréhension de leurs obligations raisonnables.» Me Kim Arial

Elle précise que l’arrêt Benoit, dans l’affaire de l’homme accusé d’agression sexuelle, l’explique clairement en cela.

«Dès que le policier se rend compte que le détenu a un problème de langue pour comprendre ses droits, il doit faire des efforts. Les individus au Canada ne comprennent pas, en général, qu’ils ont aussi le droit de bien comprendre leurs droits», ajoute-t-elle.

«Il y a un problème de formation»

Pour étayer son propos, la juriste cite un exemple en inversant la situation. «Imaginons qu’un anglophone est arrêté au Québec et que le policier lui dit : vous êtes arrêté pour “voie de fait’’. Même si l’anglophone parle un peu français, de sorte qu’il est capable de commander une bière ou demander où se trouvent les sanitaires, il ne va pas comprendre le ‘’sens juridique’’ de ce que lui dit le policier».

Ce terme, qui signifie «agression» dans le Code criminel du Canada, n’est pas, en effet, compris de tous.

Me Kim Arial se rappelle d’ailleurs avoir traité un dossier où le policier a dit à son client : «Vous êtes en état d’arrestation. Est-ce que vous comprenez ce que je vous dis?»

Son client a répondu dans un anglais approximatif et le policier lui a signifié qu’il allait «le libérer sur le champ avec une comparution prochaine devant le juge» ou alors «passer plus de temps au poste de police s’il souhaitait mieux s’informer sur ses droits». Pour l’avocate, il y avait clairement là «un manquement».

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«Ce sont des problèmes qui se situent au niveau de la ressource. C’est un manque de compréhension des droits des accusés. C’est aussi un problème de formation», constate-t-elle.

Ensuite, sur une deuxième échelle, Me Kim Arial situe le problème au niveau du traitement des dossiers en français par les cours de justice. Elle affirme avoir «toujours eu de la difficulté avec la disponibilité des juges et des procureurs dans des délais raisonnables».

«Toujours eu de la difficulté avec la disponibilité des juges et des procureurs dans des délais raisonnables.» Me Kim Arial

Elle cite comme autre exemple le cas des agents de probation. «Ce sont eux qui rédigent les rapports présentenciels. Si l’agent ne parle pas français, cela peut causer des problèmes d’incompréhension avec l’accusé.»

Elle ajoute aussi que, selon son expérience, «la Cour d’appel de l’Alberta n’offre pas des appels entièrement en français, même pour des dossiers criminels».

Des «progrès significatifs» selon la Cour 

Mais la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta ne l’entend pas ainsi. Selon Me Julie Laliberté, avocate-conseil des services en français et interprètes, «la Cour a mis en œuvre des mesures qui visent à assurer qu’il n’y ait pas de retard en raison de l’indisponibilité des ressources judiciaires bilingues».

Selon elle, «l’accès à la justice dans les deux langues officielles à la Cour du Banc de la Reine s’est amélioré de façon significative durant la dernière année».

Me Julie Laliberté affirme aussi que «la Cour a présentement une demi-douzaine de juges bilingues qui peuvent voyager à travers la province».

Me Julie Laliberté, avocate-conseil des services en français et interprètes à la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta.

Me Julie Laliberté, avocate-conseil des services en français et interprètes à la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta. Crédit : Courtoisie

De même pour les «greffiers, adjoints administratifs, avocats de résolution et avocats qui appuient la magistrature durant les procédures en Chambre familiale».

Me Julie Laliberté note, de ce fait, que «le bassin d’employés bilingues a augmenté depuis les deux dernières années» au niveau de la Cour.

«Le bassin d’employés bilingues a augmenté depuis les deux dernières années.» Me Julie Laliberté

Elle rappelle aussi que depuis l’année dernière, «la Cour a adopté une politique et des protocoles associés pour gérer les questions reliées à l’emploi du français dans les procédures».

L’avocate-conseil souligne que, dans le cadre de ce projet pilote qui a officiellement débuté en janvier 2021, «un avis d’intention de procéder en français pour tout type d’affaires se trouve sur le site web de la Cour du Banc de la Reine et est utilisé depuis l’année dernière».

En droit pénal canadien, un rapport présentenciel est un rapport préparé par un agent de probation afin d’orienter le juge sur la peine qu’il doit imposer.
Source : Gouvernement du Canada securitepublique.gc.ca

Au cours des dernières années, le milieu des affaires en Alberta a connu une offensive au féminin. Entrepreneures, femmes d’affaires, les Albertaines ont pris leur destin en main. Parfois seules, mais elles peuvent aussi compter sur un allié dans la communauté : l’organisme bilingue Femmes noires canadiennes en action (BCW in Action).

Mehdi Mehenni
IJL – Réseau.Presse – Le Franco

L’entourage de Chantal Aka se demande comment elle arrive à concilier «emploi, famille et business», alors qu’elle achèvera aussi une maîtrise en éducation au Campus Saint-Jean en septembre 2022.

Arrivée au Canada en 2012, Chantal Aka est une francophone originaire de la Côte d’Ivoire. Après trois années passées à Montréal, elle décide, avec son époux, d’explorer l’ouest du pays et c’est en Alberta que la jeune famille de trois enfants choisit de mettre le cap.

La jeune trentenaire enseigne également dans une école primaire d’Edmonton depuis quatre ans. Mais dès le début, elle avait les idées bien en place. «J’ai commencé mon business à la maison, à mon arrivée à Edmonton. À partir de décembre 2021, j’ai décidé de m’installer physiquement dans un local», raconte-t-elle.

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La boutique de vêtements pour femmes, enfants et hommes porte le nom de «Mama Ivoire». Elle abrite aussi un salon de coiffure. Des produits de beauté africains, par exemple des mèches de cheveux, y sont commercialisés.

L’appellation que Chantal Aka a donnée à son commerce n’est pas fortuite. «Mama», un mot dérivé de maman, a une sonorité francophone, mais il symbolise aussi un certain idéal pour la jeune entrepreneure. En effet, il se renvoie au mouvement de femmes leaders «Les Mamas», né dans les années 1970 au Nigéria, à l’initiative de trois femmes. Quant à la deuxième partie du nom composé, «Ivoire», c’est bien évidemment en référence à son pays d’origine, la Côte d’Ivoire.

Elle avait remarqué que la majorité des boutiques à Edmonton portaient des noms anglophones. «Je voulais alors que ça sonne francophone et africain à la fois. Histoire de dire que nous aussi sommes capables d’être des leaders et faire des choses, même si nous sommes minoritaires en Alberta», lance-t-elle, avec un soupçon de fierté dans la voix.

«Je voulais alors que ça sonne francophone et africain à la fois.» Chantal Aka

Chantal Aka, qui compte déjà deux employés, dont sa sœur qu’elle vient d’embaucher à temps plein, est reconnue dans son entourage comme un modèle de réussite.

«Nous n’avons pas besoin d’aide, mais de soutien» 

Ce succès, Chantal Aka l’avoue, n’aurait pas été évident sans l’appui de l’organisation féminine bilingue Femmes noires canadiennes en action (BCW in Action). Celle-ci fait parler d’elle depuis quelques années et joue un rôle prépondérant dans le milieu des affaires en Alberta.

«C’est grâce à leur conseil et leur accompagnement, notamment pour ce qui est du financement et du plan d’affaires, que j’ai pu sortir de l’ombre», reconnait la jeune entrepreneure.

Jeanne Lehman, présidente de BCW en Action, fait un immense travail dans ce sens. Depuis la création de son organisme, en 2018, elle a accompagné beaucoup de femmes noires pour «faire émerger leurs petits business des sous-sols de leurs maisons et les transformer en entreprises visibles et florissantes».

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«Nous avons une immigration africaine jeune en Alberta. Les femmes sont instruites. Mais les espaces d’expression manquent et l’accès à la bonne information fait défaut», relève-t-elle.

Et lorsque ces jeunes immigrantes arrivent ici, constate Jeanne Lehman, «le temps de s’intégrer, ce n’est pas facile pour elles d’évoluer dans leur domaine. En raison des barrières systémiques, bien sûr».

Selon elle, les organismes qui existent déjà sont faits pour l’accompagnement social. Or, «les femmes noires ne souhaitent pas de l’aide. Elles ont plutôt besoin de soutien de la part de l’État. Du système».

«La pandémie nous a renforcées»

C’est ainsi que le déclic a eu lieu. Lorsque Jeanne Lehman a entrepris d’organiser le premier regroupement post-fondateur de l’organisme, une liste de 30 femmes participantes avait été dressée.

«Très vite, on s’est retrouvé avec 70 femmes inscrites. En plus d’une liste d’attente. Le jour de l’évènement, je ne savais plus où les mettre », assure-t-elle.

Pendant les discussions, souligne Jeanne Lehman, «80% des participantes ont révélé ne pas être satisfaites de leurs emplois. On a alors compris qu’il y avait une forte demande, un grand besoin».

BCW en Action compte aujourd’hui environ 600 membres et sympathisantes sur sa plateforme. Pas moins de 70 d’entre elles ont déjà mis leurs projets sur pied. Pour certaines, «au plus fort de la crise sanitaire», se réjouit la présidente de l’organisme.

«C’est pendant la pandémie que nous avons travaillé le plus fort. Les femmes ont commencé à nous parler de leur santé mentale. On a donc adapté nos programmes pour apporter des solutions socio-psychologiques et développer, en même temps, des projets», poursuit-elle.

C’est dans cet esprit que Canada Homecare Group, un service de soins de santé à domicile, a été créé par une femme médecin, en pleine crise sanitaire. C’est le cas aussi de SASS Marketing Agency, une entreprise qui offre des solutions en marketing et dont la propriétaire travaillait dans la fonction publique.