Une fois par mois, le Centre national de la musique à Calgary célèbre des artistes albertains. Dans le cadre du Mois de l’histoire des Noirs, Ashanti Marshall, alias Karimah, artiste francophone ayant participé à The Voice Canada l’an dernier, a été choisie ce samedi 9 février pour faire la première partie du concert. Dans cette entrevue, l’artiste donne son point de vue concernant ce mois de célébration et raconte sa vie de Canadienne noire dans une société à majorité blanche.
Quel regard portes-tu sur cette célébration annuelle de la diaspora noire ?
« Je trouve ça bien. C’est une reconnaissance, une avancée. C’est un évènement international mais j’ai l’impression que c’est tout nouveau en Alberta. Ça se développe depuis seulement trois ou quatre ans, peut-être grâce à l’élection du Nouveau parti démocrate et notamment du député noir David Shepherd au parlement provincial de l’Alberta. Quoi qu’il en soit, je constate la multiplication d’évènements musicaux sur le thème de la diversité. Il y a tellement de bons artistes noirs ici, je suis contente que l’on montre leur talent, leur culture, que l’on parle de façon ouverte de l’histoire des personnes noires en Amérique.
Peux-tu nous raconter l’histoire de ta famille ?
Mes parents viennent des Caraïbes. Ma mère est née en Jamaïque, mon père en Guyane. Les deux se sont rencontrés en Angleterre où ils ont grandi. Ils ont ensuite immigré au Canada. Ma sœur et moi avons été conçues ici dans les années 80. Je me sens concernée parce que je suis une personne de couleur noire ayant grandi en Alberta dans un environnement où l’identité noire est très confuse. Sommes-nous canadiens ou immigrants ? Étant jeune, la plupart des enfants autour de moi étaient blancs et ne comprenaient pas la culture noire. Alors ça cause des problèmes. Ça entraîne des moqueries, des humiliations.
« Quand j’étais à l’école, les jeunes se moquaient de la couleur de ma peau, de mes cheveux »
Karimah
Peux-tu préciser ?
Ce sont des choses subtiles, mais par exemple quand j’étais à l’école, les jeunes se moquaient de la couleur de ma peau, de mes cheveux, faisaient des comparaisons dégueulasses. Ces petites choses arrivent encore. Au travail, il y a des gens qui peuvent dire « oh, la couleur de peau de cette personne est trop foncée». Il n’y a pas longtemps, des amis ont croisé des gens dans un camion qui leur ont crié des insultes racistes et qui ont fait semblant de venir les frapper. Heureusement, ça reste rare au Canada. Dans certains pays, c’est pire. Par exemple dans le sud des États-Unis où des groupes s’affirment ouvertement comme racistes.
Que faire pour lutter contre ça ?
On doit en discuter et particulièrement pendant ce mois. C’est un vrai sujet. Ici, on a une communauté qui a juste besoin de plus en plus de soutien, de supports. Les organismes de l’État commencent juste ces dernières années à prendre officiellement conscience du besoin de promouvoir la diversité en finançant des programmes d’art notamment.

Te considères-tu comme une activiste pour la cause des personnes de couleur noire ?
Je ne suis pas une activiste en tant que telle. Je ne manifeste pas devant les bâtiments du gouvernement. Je signe des pétitions Amnesty International et j’appelle mon public à le faire également. Parfois, j’utilise ma voix pour commenter des évènements sur Twitter. Mais juste le fait d’être une femme noire et de monter sur scène fait de moi une activiste aux yeux de certains. Quand tu refuses d’être diminuée, c’est une forme de résistance qui inspire les gens. J’ai déjà vu des femmes afro-américaines venir me voir à la fin d’un concert pour me dire leur admiration parce que je portais mes cheveux au naturel et que j’avais confiance en moi sur scène.
« Si tu es noir et que tu parles français en Alberta, c’est la double peine »
Karimah
Les cheveux laissés au naturel comme acte de résistance ?
Oui, même les cheveux c’est politique. Il y a encore des gens qui pensent que les cheveux naturels et crépus des Noires, ce n’est pas normal, ce n’est pas propre. Des gens me racontent qu’ils perdent leur travail parce qu’ils n’ont pas les cheveux assez propres comme une personne blanche. La norme c’est de mettre des perruques, lisser ses cheveux ou faire des permanentes. C’est encore rare de voir la culture noire telle qu’elle est. Quand tu regardes des séries ou des films, en général, les actrices noires portent des perruques ou ont les cheveux lissés. Ça veut bien dire que garder ses cheveux frisés n’est pas encore vu comme quelque chose de normal, de beau, de naturel. J’ai vécu tout ça. Aujourd’hui, c’est juste une option pour moi. Je peux mettre une perruque ou me lisser les cheveux mais si je peux célébrer le naturel, les cheveux bouclés, je le fais. Il faut continuer de passer des messages de diversité.
Aujourd’hui, la majorité de la population francophone en Alberta est de couleur noire. Dans un milieu anglophone, l’intégration doit être d’autant plus difficile pour eux. Que faire ?
C’est vrai que si tu es noir et que tu parles français en Alberta, c’est la double peine. Le Canada est officiellement bilingue mais en réalité ça ne se passe pas comme ça. Il y a des anglophones qui sont racistes contre les francophones. J’ai une amie qui a reçu des paroles d’une personne lui disant « on ne parle pas français ici !». Moi j’ai appris le français dans une école francophone parce que mes parents voulaient que je m’intègre correctement au Canada. Mais aujourd’hui, la majorité des gens qui parlent français ce n’est pas par volonté mais parce qu’ils arrivent d’un pays francophone. Je suis similaire avec ces gens par la couleur de peau mais notre culture, elle, est complètement différente. Je fais tout de même partie de la communauté francophone par ma musique. Ce serait cool de juste voir plus de ressources pour les francophones noires spécifiquement. Ce serait bien de voir une sorte d’Afrofest francophone ! Je suis pour tout ce qui permet davantage de diversité.