Verlaine rime avec migraine, un blasphème me direz-vous ! Peut-être, sûrement d’ailleurs. Mais Nahida, 17 ans, aime Verlaine. Une question de génération, de façon de l’étudier aussi, sûrement. Victorieuse des Voix de la poésie en 2019, demi-finaliste en 2020, elle nous invite dans un autre monde, celui de la prosodie envoûtante.

« Depuis toute petite, c’est inné d’être sur scène ! J’aime le théâtre, la chanson, la danse. Alors, lorsque l’on m’a proposé ce nouveau défi, j’ai accepté », raconte-t-elle avec engouement. De son langage corporel énergique, elle ne doit garder que son port de tête, un regard perçant, une respiration contrôlée, une voix et un timbre riches dans sa palette d’émotions.
Les Voix de la Poésie, c’est un peu comme les Jeux du Canada. Une compétition unique où les meilleurs jeunes du pays se retrouvent pour évoquer les poètes d’hier et d’aujourd’hui. Alors Nahida se prépare, jour et nuit. Ismaïla, sa maman et « sa plus grande “fan” », témoigne : « lorsqu’elle préparait son concours, je suis moi aussi devenue passionnée. On allait au parc et je l’écoutais sans modération ! J’étais d’ailleurs la seule maman à suivre sa fille à Winnipeg en 2019 ! », ajoute-t-elle avec une grande fierté.
Virtuel et bilinguisme
Cette année, COVID-19 oblige, la compétition virtuelle a montré certaines limites. « La compétition virtuelle, c’était beaucoup moins drôle ! », explique Nahida. En effet, aux soubresauts de l’audience, elle rebondit, crée un lien avec ceux qui l’écoutent. Une situation qui lui a sûrement joué des tours pour l’édition 2020. « J’ai besoin de la réaction du public. L’année dernière, je vibrais avec la salle. Si le public semble inerte, je le réveille ! », résume Nahida avec humour.

Gagnante de l’édition 2019 dans la catégorie francophone et contrainte au règlement, elle n’a d’autre choix que de participer, cette année, à la catégorie bilingue. Un autre défi. « C’était plus compliqué pour moi de réciter en anglais surtout au niveau de la prononciation. Je passais plus de temps à réfléchir à celle-ci qu’au poème en lui-même. Les téléspectateurs et le jury le ressentent sans aucun doute », explique-t-elle d’une moue empathique. Bien qu’elle se soit arrêtée aux portes de la finale, elle est très heureuse d’avoir aussi toucher des lèvres la poésie anglaise du 17e siècle.
Un répertoire pluriel et politique
Lorsqu’elle choisit de réciter To the Ladies de Lady Mary Chudleigh, ce n’est pas par hasard. Notre époque, à ses yeux, est paradoxale. D’un côté, le féminisme prend une grande place, mais, de l’autre, les féminicides augmentent. Il était important pour elle de donner à cette auteure une « voix de la poésie ». « Lady Mary Chudleigh, à l’époque, dénonce le statut de la femme qui devient servante après le mariage ! » Une juste façon pour Nahida, de par son interprétation, d’inviter les femmes à se relever vers une parité essentielle alors que l’auteure, à l’époque, les encourage à ne pas craindre leur mari « comme un Dieu ».
Lorsque l’on évoque Je ne sais pourquoi de Verlaine, les yeux de Nahida s’écarquillent. « Je l’ai choisi en 2019 pour me lancer dans le concours ; le titre représentait exactement ce que j’ai ressenti durant cette première aventure, “Je ne sais pourquoi cet amour pour la poésie” ». Elle donne ainsi un sens symbolique à ce poème qui lui évoque aussi un questionnement. « À la fin, on peut lire, “pourquoi, pourquoi”. Pourquoi je venais juste d’arriver au Canada parmi tant d’autres ? » La victoire, simplement.
Nahida, d’origine camerounaise, est fière de cette francophonie plurielle dont elle fait partie. « Le français est l’une des dix langues les plus parlées au monde […]. Dans ce concours, j’ai représenté l’Alberta. Grâce à ces poèmes de la francophonie plurielle, j’ai pu montrer qu’elle a aussi de l’avenir dans cette province ! » Aujourd’hui, j’ai vu de Nadine Ltaif (Libanaise, immigrée à Montréal), Avant que tout éclate en morceaux, de Diane Léger (Acadienne), ou Faims cachées de Lucia Julia (Guadeloupéenne), nous emmènent dans l’univers de ce qu’il y a de plus beau dans la langue française : sa diversité.
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