En 1907, Calgary annexe ce qui est à l’époque le village francophone de Rouleauville. Mais l’assimilation a déjà commencé bien avant cette date.
En 1872, la mission des pères Oblats nommée Notre-Dame-de-la-Paix rassemble une population francophone composée de Métis, de missionnaires et de commerçants qui parlent cette langue. Comme le rappelle Denis Perreaux, directeur de la Société historique francophone de l’Alberta (SHFA), « le premier site de la Mission ne se situait pas à Calgary même, mais à Bragg Creek, près de la rivière Elbow ».
La Mission est déplacée à Calgary dès 1875. En effet, le père Doucet, qui la dirige, accompagne le commandant Brisebois, à la tête de la troupe de la police à cheval du Nord-Ouest, jusqu’au confluent des rivières Bow et Elbow. La troupe y construit le fort Brisebois, qui sera renommé Calgary l’année suivante.
Alors que le père Lacombe avait obtenu d’Ottawa en 1883 la concession de terres à son nom et au nom du père Leduc pour étendre la mission, la paroisse prend le nom de Saint-Mary’s parish en 1889. À cette date, la bâtisse relève désormais de prêtres irlandais.
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L’évêque McNally, un personnage « anti francophone »
Selon un article de Sheila Ross datant de 2003, l’anglicisation du diocèse de Calgary, en 1912, marque davantage les tensions ethniques et culturelles dans la province, qui prévalaient déjà dans l’Est canadien. En tant qu’évêque de Calgary, Mgr McNally est chargé dès 1913 d’assurer la fidélité de milliers de catholiques de l’Ontario, des Maritimes, de la Grande-Bretagne et l’Irlande, de l’Europe centrale et méridionale et des États-Unis qui avaient des propriétés dans le sud de l’Alberta. Il est placé à Calgary pour mettre en œuvre une politique de langue anglaise pour le compte de l’Occident, qui avait été approuvée par le Vatican.
Mgr McNally a notamment utilisé la question de l’éducation pour se débarrasser de la grande influence française à Calgary, au sein du système scolaire séparé.

« C’était un antifrancophone notoire, observe Suzanne de Courville Nicol, créatrice du Bureau de visibilité de Calgary et engagée pour la francophonie à Calgary. Il a aboli la paroisse. Il a retiré les prêtres francophones alors qu’ils ont établi la mission. Un archevêque nommé Langevin a tout fait pour l’arrêter, en vain. »
Denis Perreaux abonde : « Jusqu’en 1940 environ, il y a un mouvement continu généralisé, une volonté de réduire l’influence francophone. Les francophones étaient considérés comme un obstacle à l’unité canadienne. C’était tout à fait assumé par Ottawa et toute la politique qui en découlait. »
L’historien soupçonne que le mouvement de l’Ordre d’Orange, mené par des immigrants irlandais et protestants, n’y est pas pour rien. Il explique « avoir vu des procès-verbaux dans lesquels les membres orangistes se vantaient d’avoir bloqué la création d’un hôpital francophone catholique ou exprimaient le souhait de bloquer la création de la radio française en Alberta ». Dans cette lutte anti francophones, protestants et catholiques britanniques s’unissent.

Accroissement de la population
En parallèle à ce contexte de tensions avant l’annexion de Rouleauville par Calgary en 1907, qui a par la suite perduré, la population augmente de manière fulgurante. En 1899, lorsque le village Rouleauville prend ce nom, 500 habitants sont recensés. On en dénombre 4000 à Calgary. En 1907, la population est d’environ 15 000 habitants à Calgary, en grande majorité anglophone.
Selon Denis Perreaux, la forte croissance de la ville est la raison principale de l’absorption de Rouleauville. Le quartier annexé prend le nom de Mission et perd de plus en plus son caractère français. Les noms de rues francophones disparaissent au profit d’identification numérique des avenues que l’on connait aujourd’hui.

Pour autant, Denis Perreaux ne mentionne pas de résistance violente de la part des francophones au moment de l’annexion de Rouleauville. Suzanne de Courville Nicol se montre plus sur ses gardes quant à cette affirmation, même si elle ne note pas d’émeute ou autre événement de ce type. Elle met en avant les tensions linguistiques qui prédominaient à l’époque.
« En fait, malgré les tensions, les francophones se voyaient gagnants, soutient Denis Perreaux. Ils étaient depuis longtemps fortement ancrés à Rouleauville, établis et installés avec leurs familles. Inscrits dans les milieux politiques et économiques, ils voyaient dans l’annexion une possibilité de croissance et de prospérité que de menace directe à leurs activités. Je pense qu’ils auraient été davantage inquiets si l’Église francophone avait été en jeu. Ce n’est pas une annexion municipale qui allait mettre ni leur communauté ni leur lieu de vie en danger. »
Il conclut : « Le quartier historique de Mission (anciennement Rouleauville) aujourd’hui témoigne de la présence francophone de l’époque, c’est indéniable. Mais il est certain que le caractère francophone s’est peu à peu effacé. On sait aujourd’hui que les francophones vivent aux quatre coins de Calgary et non plus dans cette partie historique. Les francophones ne s’y regroupent plus naturellement. »