Juste après les résultats des élections provinciales, Jason Kenney, le chef du Parti conservateur uni, victorieux, a prononcé un discours de quatre minutes en français. Une allocution politique à l’intention des Québécois qui a aussi beaucoup fait réagir ici, dans la communauté francophone. Certains y voient même un discours historique en français.
« C’est toujours agréable de discuter avec quelqu’un qui parle le français. Mais il ne faut pas faire l’erreur de s’imaginer que quelqu’un qui parle français est automatiquement un allié », prévient Marc Arnal, le président de l’Association canadienne française de l’Alberta (ACFA), porte-parole de la francophonie dans la province.
Jason Kenney, le premier ministre albertain élu avec le Parti conservateur uni en avril, sera-t-il des alliés de la francophonie ou non ? En tout cas, le politicien manie plutôt bien la langue de Molière.
Ce natif de l’Ontario l’a prouvé dans sa première prise de parole après son élection. « Le Québec et l’Alberta ont toujours été des alliés naturels. Les Albertains admirent les Québécois, nous partageons des valeurs communes et croyons en un fédéralisme respectueux des champs de compétences provinciales ». Quatre minutes de français, en traduisant en anglais entre les paragraphes de son texte pour la foule d’anglophones présente face à lui.
La teneur de l’allocution, même s’il ne l’a pas dit explicitement, était clairement un appel au gouvernement du Québec afin de rouvrir le dossier de l’Oléoduc Energie Est, annulé en 2017 après que plusieurs municipalités se soient prononcées contre.
Au-delà, serait-ce la première fois qu’un premier ministre albertain s’adresse en français juste après son élection ? Frédéric Boily, professeur en sciences politiques au Campus Saint-Jean en a bien l’impression : « Jim Prentice parlait un peu français, mais il a perdu le soir des élections provinciales. Aurait-il un peu parlé français s’il avait été élu ? Lorsqu’il avait été élu à la tête des conservateurs, il avait prononcé quelques mots en français. Mais pas vraiment longtemps. La genèse de Jason Kenney est inédite », souligne-t-il.
Le premier chef du gouvernement albertain à parler français ?
Ce discours a marqué les esprits dans la communauté franco-albertaine. « J’ai trouvé ça impressionnant. Je préfère élire quelqu’un comme ça, qui parle ma langue, plutôt qu’une personne (NDLR : Rachel Notley), somme toute brillante, qui dit soutenir la francophonie, alors qu’elle n’est pas capable de prononcer un seul mot dans ma langue », s’emporte Claude Portier*, natif québécois vivant en Alberta depuis quatre ans.
Même ton pour Gérard Lepuy*, fervent défenseur de la francophonie. « C’est exceptionnel qu’un premier ministre puisse parler français. Pendant tout le long du discours je me suis senti fier. Il était face à des milliers d’anglophones, il a tenu avec charisme son discours en français sans que personne ne rechigne ».
D’autres ne partagent pas cet avis. « C’est uniquement hypocrite s’il a parlé français. Il ne va rien faire pour la francophonie, au contraire il va l’enfoncer », affirme quant à lui Nathan Niel*, professeur en école d’immersion.
Ce discours en français de Jason Kenney avait pour but d’exporter le débat albertain en dehors des frontières. Le lendemain, le premier ministre québécois, François Legault, a commenté « un geste élégant de Jason Kenney d’avoir parler en français aux Québécois », avant de déclarer que « pour un autre oléoduc, il n’y avait pas d’acceptabilité sociale ».
Pour Frédéric Boily, professeur en sciences politiques au Campus Saint-Jean, « ça faisait partie des promesses de campagne des conservateurs qu’ils auraient une action en dehors des frontières provinciales. C’est dans ce sens-là qu’il faut interpréter son discours. Ça montre la stratégie et la détermination de Jason Kenney de faire avancer certains dossiers. C’était osé de sa part, vraiment. Ce n’était pas deux ou trois phrases, c’était un vrai discours diplomatique », note le politologue.
Par la même occasion, on peut y voir l’ombre d’une élection fédérale qui se prépare. « C’était pour montrer ‘’Regardez, nous ne sommes pas le parti des extrémistes que certains pensent’’. Les conservateurs ne sont pas aussi pro-bilinguismes qu’on le voudrait. Mais au niveau des chefs, pour ceux qui commencent à vraiment avoir une dimension nationale, la question du français est vraiment intégrée ».
*Le nom des personnes interrogées ont été modifiés sur leur demande.