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le Vendredi 7 mai 2021 18:07 Éducation PR

Nouveau curriculum : le gouvernement Kenney ignore les questions posées par les francophones

Nouveau curriculum : le gouvernement Kenney ignore les questions posées par les francophones
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« La parole est à vous », promettait le site Web du gouvernement albertain. Et pourtant, ce 6 mai en soirée, lors de la séance virtuelle de consultation publique sur le nouveau programme d’étude primaire (curriculum), nous n’avons entendu ni la voix des parents, ni celle des enseignants, ni celle des chefs de file de la communauté.

Tous les francophones de la province étaient invité.es à poser leurs questions aux élus sur ce dossier chaud. Pendant les 53 premières minutes, les trois quarts du temps dédié à notre communauté, deux fonctionnaires francophones se sont succédé, sans interruption, dans la lecture d’une présentation Powerpoint adulant les changements proposés par le gouvernement Kenney.

Rachelle Bruneau, directrice de la division Early Middle Years du ministère de l’Éducation de l’Alberta, a ainsi vanté l’inclusion au programme des écoles primaires de nouvelles notions dont celle du consentement, de l’histoire des Noir.es, des traités autochtones ou la littératie financière.

« N’appelle pas ça une consultation si ça n’en est pas une », a réagi à chaud Cindie LeBlanc, présente virtuellement. Ancienne directrice générale du Secrétariat francophone de l’Alberta, elle éprouvait une certaine empathie pour les deux fonctionnaires francophones qui ont dû ce soir « jouer le jeu ».

« Des élus ou la haute direction du ministère auraient dû être là, devant la caméra, pour répondre aux questions, défendre ce produit », croit cette mère dont les enfants sont inscrits dans une école francophone.

Rejeter la prémisse de nos questions

Il reste 23 minutes au compteur, lorsque la période des questions est lancée. « Pouvez-vous parler de la pertinence du programme pour le développement mental ? », lance Shawn, le sympathique modérateur de la séance, sans toutefois préciser l’auteur de la question.

Impossible donc pour les membres du public de lire eux-mêmes ce qui était demandé par leurs pairs. Forum secret. Questions imprécises. Anonymat. Les intervenantes gouvernementales nous ont lu sans subtilité des réponses sur un ton neutre, trahissant leur préparation et leur subordination.

« Pouvez-vous expliquer comment le programme aborde la diversité, nous avons plusieurs questions à ce sujet », lance à nouveau le modérateur.

Ce qu’on lit en simultané sur les réseaux sociaux est en complète dissonance avec ce que relaie méticuleusement le modérateur. Car oui, la résistance au renouveau pédagogique albertain s’organise. Des groupes Facebook, notamment Albertans Reject Curriculum Draft fort de ses 40 000 membres, commandent pancartes, t-shirts, pétitions et autres actions politiques.

Du côté francophone, c’est un groupe consacré à l’équivalence en éducation qui bouillonnait. Les questions que l’on pouvait y lire ont été complètement éclipsées. Des questions raisonnées démontrant l’implication des parents. « Ils ont pris le temps de réfléchir profondément à l’avenir scolaire de leurs enfants », a observé sur Twitter Annie McKitrick, ancienne élue néo-démocrate.

Les interrogations fusent

Pourquoi utiliser un poème en anglais pour enseigner le Grand dérangement des Acadiens ? Pourquoi parler d’identité américaine aussi souvent, avec autant de détails, alors qu’on ne mentionne nulle part de réfléchir sur sa propre identité franco-albertaine ?

Le document-cadre de l’éducation francophone en Alberta, produit par le gouvernement en 2000, a-t-il été considéré ? Qu’avez-vous fait des recommandations des experts francophones du Campus Saint-Jean ?

Denise Lavallée a demandé si le gouvernement avait évalué l’impact sur la construction identitaire des élèves francophones de chaque aspect de la programmation.

Denis Perreaux a souligné quant à lui que le programme scolaire proposé « célèbre des figures odieuses comme Frederick Haultain à titre égal à Confucius et Napoléon », rappelant que Haultain, Premier Ministre des Territoires du Nord-Ouest au 19e siècle, « a aboli les droits linguistiques des francophones en Alberta et a agi explicitement contre eux dans les Prairies ». 

Quant à Pierre Asselin, juriste et parent, il a tenu à souligner le rôle fondamental de l’article 23 de la Charte des droits et libertés pour la vitalité de la communauté francophone en Alberta. Le curriculum mentionne les droits linguistiques au Manitoba, mais l’histoire des luttes d’ici, difficile de voir comment nos enfants vont les apprendre.

Au-dessus du programme, les lois. Au-dessus des lois, le droit.

Au lieu de simplement proposer l’ajout de ce contenu, l’avocat a posé, en vain, la question suivante : « le ministère de l’Éducation du gouvernement de l’Alberta va-t-il accepter ou empêcher que les conseils scolaires francophones puissent élaborer leur propre programme d’études sociales pour respecter leurs obligations constitutionnelles ? »

Ignorée, comme les autres, cette dernière question rejoint un avis que partage Cindie Leblanc. « Le jugement Mahé, confirmé dernièrement en Colombie-Britannique, nous donne le droit, comme francophone, d’avoir un curriculum qui reflète nos besoins, soutient-elle. Ce qu’on a devant nous ne reflète pas nos besoins. Qu’est-ce qu’on est prêt à faire ? Est-ce qu’on développe notre propre curriculum ? On ne peut pas attendre à l’automne pour avoir un plan de match ! »

L’ancienne fonctionnaire provinciale prédit que le ministère de l’Éducation qui nage  « en complet déficit de légitimité » risque ultimement de forcer la main des conseils scolaires. Or, selon elle, les conseils scolaires francophones auront dans cette situation hypothétique un levier juridique solide, une cause raisonnable, pour refuser complètement un nouveau programme qui contribue à sa propre assimilation.

« Moi, comme parent, je suis à bout, confie Cindie. La Covid est déjà immense à gérer dans nos vies. Si, en plus, il faut utiliser le peu d’énergie qu’on a pour essayer de se faire comprendre, essayer d’ouvrir les yeux et les oreilles de nos élus gouvernementaux, sans être écouté, je trouve ça épuisant ». 

On notera durant l’évènement l’absence remarquée de la secrétaire parlementaire à la francophonie, Laila Goodridge, ainsi que le refus des organisateurs de la séance d’accorder une entrevue à notre rédaction.Le ministère de l’Éducation de l’Alberta jongle dernièrement avec un dossier qui sème le mécontentement partout dans la province. 50 des 61 conseils scolaires refusent de tester son nouveau programme d’éducation primaire sur les bancs d’école. Tous les conseils scolaires francophones le rejettent aussi à l’unisson.