le Jeudi 28 mars 2024
le Lundi 20 juin 2022 9:00 Edmonton

La dépression, une maladie véritable au potentiel funeste

La dépression, une maladie véritable au potentiel funeste
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Dre Julie L. Hildebrand exerce en médecine familiale à Edmonton. Bilingue, elle est très heureuse de pouvoir répondre aux besoins de la francophonie plurielle de la capitale provinciale. Spécialiste du diabète, des dépendances et de l’utilisation du cannabis thérapeutique, elle privilégie la prévention et l’éducation.

Il n’est pas rare que les patients atteints de dépression viennent consulter tardivement, lorsqu’ils «sont arrivés au bout de leur rouleau». La raison en est bien simple. Il existe un manque de reconnaissance de cet état en tant que pathologie par les patients eux-mêmes et par la collectivité.

Aussi viendront-ils solliciter l’avis de leur médecin, se plaignant de symptômes autres qu’ils ne perçoivent pas comme associés à un état dépressif : fatigue, maux de tête, dérangements intestinaux, insomnie et maux de dos.

La dépression dépasse largement le cadre de la déprime, des blues ou du coup de cafard passager. Plusieurs la nient et la conçoivent comme un signe de faiblesse, un manque de caractère, une absence de volonté. Or, les individus qui en sont atteints éprouvent souvent de la honte et craignent de l’afficher de peur de se voir stigmatiser. Par ailleurs, l’un des traits de cette maladie veut que les patients se sentent dévalorisés et entretiennent une faible estime de soi.

La dépression est une maladie bien réelle, conférant aux personnes qui en souffrent un profond et handicapant sentiment de désespoir. Elle étend son emprise tant sur le plan physique que moral et psychologique. Elle induit une grande souffrance qui affecte les sphères de la vie professionnelle, scolaire et familiale, tout en provoquant de l’isolement social. S’en suivront des dysfonctionnements majeurs.

«La dépression est une maladie bien réelle.»

La dépression est une maladie à part entière, s’établissant à partir de critères diagnostics statistiques (DSM V), bien que nous ne disposions pas, à ce jour, de marqueurs biologiques pour l’identifier, comme c’est le cas pour l’hypercholestérolémie, l’hypertension ou le diabète. Elle est une maladie en soi, car souvent les patients se questionnent à savoir pourquoi ils s’estiment si malheureux, alors que leur vie semble bien aller sur tous les plans et qu’en principe, ils n’ont aucune raison de se sentir de la sorte. C’est qu’elle est la résultante d’un dérèglement pathologique.

La dépression est polymorphe. Elle se manifeste par la présence de symptômes caractéristiques tels que: fatigue et manque d’entrain (asthénie), ralentissement psychomoteur, perte de plaisir (anhédonie), tristesse, manque de motivation quant à la pratique d’activités, sommeil non réparateur (ou hypersomnie dans certains cas), manque d’appétit avec ou sans perte de poids (ou hyperphagie), difficulté de concentration et troubles de la mémoire, perte d’estime de soi, sentiment d’impuissance et de culpabilité, baisse de la libido et idéation suicidaire.

La dépression peut aussi être accompagnée par d’autres problèmes : anxiété, manque d’hygiène corporelle, irritabilité et abus de substances (drogues, somnifères, alcool). Elle peut de surcroît engendrer d’autres conditions comme les maladies cardiovasculaires, les accidents vasculaires cérébraux, les migraines, une plus grande vulnérabilité face aux infections (baisse de l’efficacité du système immunitaire), d’autres maladies mentales et même le diabète.

Des chiffres qui font réfléchir

Sur le plan mondial, 350 millions d’individus en seraient atteints. Selon l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), la dépression est devenue, en 2020, la deuxième plus importante cause d’invalidité en termes de coûts global, juste derrière les maladies cardiovasculaires. Il est prévu qu’en 2030, elle arrivera bonne première. Une personne sur cinq souffrira de dépression au cours de sa vie.

Bien qu’elle puisse survenir à tout âge, le groupe le plus à risque est celui des 45-54 ans, compte tenu de leur exposition à un plus grand nombre de facteurs de risque (divorce, deuil, chômage, maladie/invalidité, certains médicaments, traumatisme, solitude, stress, abus de substances, sédentarité, perturbation des cycles du sommeil, excès de temps passé devant la télévision ou les jeux vidéo, faible revenu). Comme si ces évènements allaient épuiser notre pool de mécanismes de défense, de résilience.

Dre Julie Hildebrand

Dre Julie Hildebrand

Les femmes sont deux fois plus touchées que les hommes. Les personnes âgées, les jeunes en fin d’adolescence, les gens atteints de maladies chroniques ainsi que les membres des communautés LGBTQ+ sont aussi plus vulnérables.

Il est attristant de garder ce mal sous silence, car un traitement adéquat, entrepris dans des délais raisonnables, peut arriver à contrer cette maladie dans 70% des cas. Malheureusement, la réalité est qu’elle aura tendance à se chroniciser. Le taux de récidive est de 64% après cinq ans, 80% après dix ans et 85% après quinze ans.

Dans les cas les plus graves, la dépression peut mener à l’irréparable, le geste suicidaire. De 10% à 20% des patients se suicident afin de mettre fin à leur détresse. En effet, 70% des suicidés auraient souffert de dépression. Les hommes de plus de 70 ans sont plus à même de réussir leur suicide.

Les causes de la dépression

L’étiologie de la dépression demeure incertaine quoique les spécialistes du domaine s’entendent pour reconnaître qu’elle englobe plusieurs composantes telles que l’hérédité, les débalancements hormonaux (ménopause, grossesse, fausse couche, prise de contraceptifs oraux, andropause, hypothyroïdisme), l’exposition à différents stresseurs psychosociaux et les habitudes de vie (toxicomanie, tabagisme, diète, sédentarité).

Même si les gènes responsables de l’apparition de la dépression n’ont pas été identifiés, nous savons que les individus d’une même famille, dont certains membres sont atteints de dépression, vont présenter une plus grande probabilité de la développer (quatre fois plus). Ces gènes viennent, entre autres, moduler la production ainsi que la disponibilité de la sérotonine (neurotransmetteur déficient dans la maladie dépressive).

Si l’on remonte aux premières instances de l’Homo sapiens, il semblerait que son croisement avec l’homme de Néandertal ait favorisé la transmission de gènes (brins d’ADN) responsables de l’apparition de certaines maladies, dont la dépression, d’après une étude récente menée par une équipe de chercheurs de Vanderbilt University et publiée dans la revue scientifique Science.

Sur le plan biologique, une forme particulière d’inflammation affecterait les processus neuronaux engagés dans la régularisation de l’humeur. La mastocytose en découlant diminuerait la production de sérotonine. Nos diètes malsaines (produits transformés, sucres concentrés, carence vitaminique et gras saturés) paraissent aussi au banc des accusés.

L’appauvrissement de notre microbiote intestinal dû à l’utilisation d’antibiotiques à large spectre en médecine et dans le domaine de l’élevage figure aussi parmi les hypothèses les plus récentes. Il est de plus en plus reconnu que le microbiote communique directement avec le cerveau. À ce sujet, une équipe de recherche de l’Inserm-Paris a conclu que la flore intestinale des individus atteints de dépression se voulait significativement différente des individus sains et qu’en contrepartie, la prescription d’antidépresseurs pouvait en modifier la composition.

Des solutions complémentaires pour lutter contre la dépression

Compte tenu de la multiplicité des facteurs menant à la dépression, un traitement à sens unique s’avouerait un échec. La pharmacothérapie (antidépresseurs), la psychothérapie, la luminothérapie et l’adoption d’un mode de vie sain (alimentation riche en antioxydants, vitamines, exercice, spiritualité, méditation) devraient toujours être prescrites en tandem. Dans les cas les plus récalcitrants, l’électroconvulsivothérapie et la stimulation magnétique transcrânienne peuvent s’avérer salutaires.

«Un traitement à sens unique s’avouerait un échec.»

D’autres thérapies s’appuyant sur l’utilisation de la kétamine et des cannabinoïdes s’annoncent fort prometteuses. Il s’avère essentiel de reconnaître que dans le traitement de la dépression, le «one size fits all» devrait être délaissé au profit de la personnalisation du traitement. Tous ne répondront pas de manière égale (variabilité interindividuelle) et les résultats peuvent se faire attendre (moyenne de quatre à huit semaines).

«Ignorer la dépression, ce n’est pas la combattre. Mieux la comprendre, c’est déjà la soigner.» Laboratoires Lundbeck