À l’occasion de la Journée des femmes du 8 mars, Le Franco s’est entretenu avec une professeure et écrivaine résolument féministe. Originaire du Québec, Claudine Potvin a enseigné la littérature à l’Université de l’Alberta de 1986 à 2010 et a publié quatre recueils de nouvelles, un roman et un essai. Son dernier ouvrage, Body Scan, explore les rapports entre les êtres et les corps, surtout féminins.
Body Scan est publié aux éditions Lévesque depuis le 30 janvier 2019. De quoi parle-t-il ?
Il s’agit d’un recueil de nouvelles centrées sur la thématique du corps, ou plutôt les images du corps. J’ai appelé ça Body Scan, un titre en anglais, parce que c’est une expression qu’on utilise beaucoup et c’est un terme médical, scientifique. Pour moi, c’était comme scanner des images du corps, comme un écran, comme une forme de dépistage du corps en mouvement, avec les organes, les sens, les émotions, les expériences physiques, les parties du corps, le souffle. C’était dans le sens de la lecture du corps, la détection, la révélation, la découverte, la diagnose, l’information, tout ce que le corps révèle.
Plus précisément, c’est le corps de la femme qui a capté votre attention dans ce recueil.
Oui, c’est lié à mon intérêt pour les corps féminins, la façon dont les corps se présentent, se matérialisent, envahissent le champ de la représentation, la façon dont le corps féminin occupe la page. J’étais une professeure féministe et je suis une écrivaine féministe. J’ai travaillé toute ma carrière sur des écrits de femmes. J’ai beaucoup réfléchi sur la façon dont les femmes se représentent en littérature. Il y a toujours la position d’une femme dans mes textes, car j’écris, je parle, je me place, je me situe en tant que femme dans mon univers. C’est toujours par rapport à ma relation en tant que femme au monde.

Qu’avez-vous essayé d’accomplir avec ces nouvelles ?
C’est pour moi comme un essai d’échographie langagière : à travers le langage, j’étudie des corps. Pas des corps matérialisés, mais désincarnés. Je parle par exemple d’une thérapie de désensibilisation visuelle, sans parler des yeux comme tels. Plus loin, c’est la découverte du corps d’une fillette, comme si elle trouvait son corps tout à coup sur le trottoir. Ailleurs, je parle de l’obsession de l’homme pour l’image du mannequin dans la vitrine, avec des résonances sexuelles. Ailleurs je parle de génétique, ou de l’histoire d’une femme qui a un cancer de la peau.
Pourquoi avoir choisi la forme de la nouvelle ?
J’ai commencé à aimer les textes courts quand j’étais professeure et que je n’avais pas beaucoup de temps pour l’écriture. C’est là que j’ai commencé mon exploration du genre bref. J’aime capter des moments de vie, des essences de personnages, des petits récits qui permettent de donner une idée de la vie, des sentiments, des émotions, des choses qui se produisent. Le roman demande un certain souffle, tandis que pour la nouvelle, c’est davantage des images, des vignettes.
« La mère disait souvent, en riant, n’avoir que ses seins qui lui appartiennent véritablement. Aussi se faisait-elle une gloire de les afficher. D’une grosseur désarmante, ils se promenaient tels des projectiles, toujours prêts à fendre la lumière du jour et de la nuit. La fille croyait qu’ils avaient une âme, un souffle, et craignait de les voir s’animer au moindre sursaut. Il ne fallait pas les contredire, pensait-elle, car on ne savait jamais quelles vagues ils soulèveraient. »
Extrait du livre Body Scan de Claudine Potvin
Comment définiriez-vous votre écriture ?
Mon écriture est expérimentale en partie. Je déborde toujours du côté lyrique, du côté métaphorique, du côté de l’image. Je prends des libertés du côté poétique. Mon écriture narrative n’est pas réglée, j’élimine la ponctuation, je mélange les voix narratives, je joue avec la notion de la chute.
Que pensez-vous de la représentation du corps des femmes dans la société ?
Les femmes ont été souvent oubliées. Au niveau de l’art, si on pense à la peinture surréaliste, à Magritte par exemple, on voit bien que les femmes n’ont pas des corps nécessairement entiers. Regardez la toile L’origine du monde de Gustave Courbet : la femme n’a pas de membres ni de tête. Ça nous dit que, finalement, la femme n’est pas toujours représentée comme un sujet. Ce sont aujourd’hui des clichés dont la critique féministe a discuté longuement, je ne dis rien de neuf ici. Mais il reste dans la société que les femmes doivent se positionner selon cette façon de voir les femmes. Si on pense au cinéma hollywoodien, c’est comme si la parole de la femme n’existait souvent pas. Ces aspects m’ont toujours intéressée et habitent mon écriture.
Percevez-vous une évolution dans la société ?
Il y a des progrès à certains endroits. Par exemple, c’est bien qu’on ait une quantité égale d’hommes et de femmes au gouvernement. Mais une étude il y a un an à l’Université de l’Alberta constatait que les hommes étaient encore davantage rémunérés que les femmes. C’était déjà le cas à mon époque : on nous offrait toujours moins. Il y a encore beaucoup d’inégalités.
Le combat féministe est-il toujours d’actualité selon vous ?
Dans mes dernières années d’enseignement, si on parlait de féminisme aux jeunes femmes, elles disaient que tout était réglé, mais c’est loin d’être réglé ! Quand on considère aussi la violence domestique, les agressions sexuelles… Le postféminisme est un courant qui dit qu’on n’a plus besoin de parler de ces questions, qu’il n’est plus nécessaire de lutter, qu’on peut passer à autre chose. Mais en réalité, il reste beaucoup de choses à faire dans le monde.
Quel regard portez-vous sur la célébration du 8 mars ?
Ça permet de réfléchir à nouveau sur ces questions-là. C’est bien d’avoir un moment, mais on ne peut pas parler de la femme aujourd’hui et dire que demain matin, c’est fini. On a comme une statue qu’on regarde une seule journée. Il ne faut pas oublier que la femme continue d’être là dans le monde, dans la société, à tous les niveaux : culturel, social, politique, etc. Avoir une journée, c’est bien, mais ça ne suffit pas. On est là les 365 jours de l’année !
Si vous aviez un espoir à exprimer vis-à-vis des femmes ?
D’une part, que les femmes soient davantage conscientes de leurs droits, de leur parole, de leurs capacités et possibilités. Mais aussi que la société n’arrête jamais de se préoccuper des conditions égalitaires, qu’on devrait promouvoir constamment. Car pour moi l’égalité n’est pas encore gagnée.