Le campement de sans-abris du Vieux Strathcona, l’un des deux apparus cet été à Edmonton, reste dans un état d’incertitude. Lundi 28 septembre, les personnes y vivant ont contourné un ordre d’expulsion de la Ville d’Edmonton en se déplaçant deux pâtés de maisons vers le nord, du parc Wilbert Mcintyre au parc Light Horse. Sur place, bénévoles et itinérants, francophones ou non, appellent à l’aide et dénoncent la politique provinciale.
Le campement compte présentement une centaine de résidents. Selon les bénévoles sur le site, la population du campement demeure essentiellement stable depuis plus d’un mois, avec un nombre plus ou moins égal entre les départs et les arrivées.

« Nous sommes une centaine ici. La majorité a été expulsée de la vallée de la rivière et ailleurs », dit Kevin Bell, un bénévole qui travaille au campement depuis le début de l’été. Cet éducateur francophone a fait une longue carrière dans le système pénitentiaire. Également ancien directeur par interim de l’ACFA ( de janvier à mars 2020), il s’exprime passionnément à propos du sort des moins fortunés d’Edmonton.
« Ici, il y a une population très diverse. Pas plus de la moitié sont des gens chroniquement sans abri avec des problèmes de dépendance et des maladies mentales. L’autre moitié est composée de gens qui ont travaillé toute leur vie et qui se sont retrouvés récemment au chômage et sans option. »

Un problème de santé, et c’est la rue
Peter, âgé de 52 ans, est parmi ce groupe. D’origine portugaise, ayant vécu à Montréal, il est trilingue, mécanicien de métier. Il exprime avec éloquence sa frustration sur les circonstances qui l’ont mené à vivre dans un camp d’itinérants. « J’ai travaillé toute ma vie, et puis j’ai subi un accident vasculaire cérébrale », explique-t-il.
« Depuis ce temps, je reçois du soutien financier d’Alberta Works, mais ceci couvre à peine un coût de la vie qui continue à monter. En fin de compte, j’avais le choix entre un logement social mal entretenu et plein de cafards, un refuge pour sans-abris où ils vous traitent comme des animaux, ou cette tente. Ceci était le moins mauvais choix. »

Peter ajoute qu’il se sent davantage en sécurité dans le campement que dans un des refuges pour sans-abris. « Personne ne me cause de problèmes ici. Dans les refuges, les gens volent vos affaires et personne ne s’en soucie. »
Peter n’est pas l’unique francophone du campement, et loin d’être le seul individu prêt et désireux de travailler. Selon lui, les deux campements de la ville sont remplis de gens bien éduqués, anciennement employés. Il dit que cette situation serait alimentée par une économie moribonde et un coût de la vie en constante augmentation.
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La province montrée du doigt
Cette situation risque de s’aggraver si le gouvernement provincial donne suite aux coupes sur le programme de Revenu assuré pour les personnes gravement handicapées (AISH) prévues pour l’année prochaine. Celles-ci pourraient toucher près de 70 000 Albertains handicapés.
Kevin Bell n’hésite pas à s’exprimer franchement en pointant du doigt le gouvernement Kenney. « Le problème c’est la province. Les fédéraux possèdent les fonds, et les municipaux ont les meilleures intentions. C’est le gouvernement provincial qui fait du mal à ces gens et la situation ne fait qu’empirer. Heureusement, le quartier qui nous entoure n’a fait que nous soutenir. Nous recevons des donations tous les jours, et la plupart des gens sont très sympathiques. Néanmoins, cette situation n’est pas viable, et nos dirigeants provinciaux ne font qu’exacerber le problème. »

En attendant, Peter se lève tôt les matin pour se rendre à la bibliothèque du Vieux Strathcona de l’autre côté de la rue où se trouve le campement. Il envoie CV après CV par courriel afin de trouver un nouvel emploi. « J’espère bien trouver bientôt quelque chose qui paie assez pour que je puisse louer un appartement », dit-il.

« L’économie ne va pas s’améliorer dans l’avenir proche. Mais dans l’intervalle, il faut vraiment que la ville fasse quelque chose pour combattre le coût de la vie. Je suis revenu ici de Toronto il y a quelques années, et je dirais que le coût de la vie est devenu aussi haut, sinon plus haut, malgré une économie qui ne peut pas le soutenir. Il faut qu’il se passe quelque chose », conclut-il.
Vendredi 11 septembre, un reportage du groupe Postmedia indiquait que le gouvernement étudiait la possibilité de couper dans le programme Revenu assuré pour les personnes gravement handicapées (AISH). La ministre des Services sociaux et communautaires de l’Alberta (CSS), Rajan Sawhney, avait réagi sur Facebook le lendemain indiquant « qu’il n’y aura pas de réduction des prestations financières de l’AISH ». Cependant, mardi 15 septembre, le premier ministre Jason Kenney a confirmé que ce programme pourrait être réduit, par une révision des critères d’éligibilité. Il a ajouté que les ministères cherchent des moyens de réaliser des économies en mettant en œuvre les programmes de manière plus efficace.