Après plus d’un an de procédure, personne n’avait informé Michel Vaillancourt de la possibilité d’obtenir un procès en français. Sa quatrième avocate l’a finalement fait. La Cour du Banc de la Reine a alors mis plus d’un an à organiser ce nouveau procès.
« Les obligations et droits linguistiques en milieu minoritaire demeurent-ils trop peu connus ou pris à la légère?» écrit le juge, Justice Ouellette, dans le compte-rendu de la décision de cette affaire.
L’enquête contre Michel Vaillancourt débute en 2012 pour des faits commis en 2011. L’homme est accusé de « possession de biens criminellement obtenus », « emploi, possession ou trafic d’un document contrefait » et « complot pour commettre des infractions; et infraction au profit d’une organisation criminelle ». Ce n’est pas une petite affaire. « On parle de millions de dollars», confie l’avocate qui a fait annuler la procédure : Shannon Gunn Emery. Le procès devait d’ailleurs durer 28 jours.
Les policiers mènent l’enquête entre Québec, où vivent plusieurs des accusés, dont Michel Vaillant, et l’Alberta où les faits se seraient déroulés. Le 16 novembre 2015, la Couronne dépose un acte de mise en accusation directe, qui marque le début de la procédure judiciaire. L’homme comparaît pour la première fois en Cour du Banc de la Reine de l’Alberta, sans avocat, le 22 janvier 2016, devant la juge Read. « Rien n’a été dit concernant le droit de M. Vaillancourt à subir son procès dans la langue officielle de son choix. Dès lors, toutes les procédures judiciaires se sont déroulées en anglais avec un interprète français à la disposition de M. Vaillancourt », indique la décision de Justice.
Plusieurs reports demandés par la défense
S’en est suivi une série de comparutions, mais aussi, de reports pour différentes raisons demandées par Maître Lee, l’avocate de l’époque de M. Vaillancourt : vice de procédure, demande de délai pour un interprète, demande pour passer d’un procès avec jury à un procès devant un juge siégeant seul, report pour impossibilité de l’accusé de se rendre en Alberta. Puis finalement, le 23 janvier 2017, Maître Lee, demande la permission de se retirer du dossier. « La communication entre lui et son client s’était détériorée et M. Vaillancourt avait suggéré qu’il ne voulait plus plaider coupable », précise le document de justice.
C’est alors que l’avocate bilingue, Shannon Gunn Emery, entre en scène. Lors d’une comparution en janvier 2017, elle indique au juge qu’elle ne sera pas disponible aux dates où le procès a été fixé, à partir de 10 avril 2017. Elle porte également la demande d’un procès en français, faisant valoir que personne n’avait informé son client de cette possibilité jusqu’alors. Pourtant, avant elle, l’accusé avait requis les services de trois avocats, dont deux bilingues concernant cette affaire ( Maître Lee pour le procès, les autres pour des procédures parallèles concernant notamment la récupération des objets saisis par la justice).
Un procès en français… un an plus tard
« Ni Me Lee, ni son agente Me Balanga-Santos, n’avait informé M. Vaillancourt qu’il pouvait avoir son procès en français, au lieu de l’avoir en anglais avec un interprète. Aucun juge ne l’a informé de ce droit non plus. À l’époque où les parties ont présenté leurs plaidoiries orales, elles s’entendaient sur le fait que normalement, à la première comparution en Alberta, ni les juges de la Cour provinciale ni les juges de la Cour du Banc de la Reine ne demandaient à l’accusé dans quelle langue il voulait subir son procès. M. Vaillancourt ne savait pas qu’il avait ce droit avant qu’il rencontre Maître Emery. S’il l’avait su, il aurait opté pour que tout se passe en français, puisque sa connaissance de l’anglais est limitée », indique le compte-rendu de décision du juge Ouellette.
Un coup gagnant pour la défense. Les deux procureurs de la Couronne chargés du dossier sont unilingues, incapables de participer à un procès en français. «Il leur faudrait du temps pour trouver un procureur de la Couronne francophone qui serait obligé de se familiariser rapidement avec la cause», écrit le juge Ouellette. La date du procès est alors retardée d’un an, du 10 avril 2017 au 23 avril 2018 !
L’ère Jordan
Entre-temps, le 8 juillet 2016, la Cour suprême a rendu un arrêt, l’arrêt Jordan, concernant une affaire jugée initialement en Colombie-Britannique. Elle estimait que cette affaire avait duré trop longtemps entre les faits et le jugement, et fixa aux tribunaux un délai de 30 mois pour juger les affaires de cours supérieurs.
La défense de Michel Vaillancourt a profité de ce nouveau règlement. Maître Emery a mis en avant l’Arrêt Jordan pour dénoncer les délais déraisonnables de procédure. Après analyse du dossier, le juge a donné raison à la défense, estimant que la cour « a initialement failli à ses obligations contrevenant ainsi à l’article 530, et que la Couronne n’avait pas les ressources bilingues nécessaires, résultant en un non-respect de l’esprit de l’article 16 de la Charte ». La procédure judiciaire a été annulée.
Les juges auraient changé d’attitudes depuis 2017
Justin Kingston, le président de l’Association des Juristes francophones de l’Alberta a réagi à cette affaire en indiquant que les accusés francophones sont trop souvent mal informés de leurs droits linguistiques. « Nous allons faire de ce dossier une priorité. Nous allons demander à rencontrer des groupes d’avocats de la défense pour les informer. Nous voulons également faire plus de sensibilisation auprès du public ».
L’avocate de Michel Vaillancourt a, elle aussi, souligné l’importance que les francophones soient informés de leur droit en Alberta. « On voit souvent l’Alberta comme une province anglophone, mais le Canada est un pays bilingue ! Il y a une grande différence entre avoir un procès en français et disposer d’un interprète dans un procès en anglais. Les mots peuvent varier selon l’interprète».
Dans les Territoires du Nord-Ouest, les juges territoriaux demandent toujours lors de la première comparution si le choix des droits linguistiques de l’accusé a été vérifié. Shannon G. Emery affirme que depuis 2017, les juges de la Cour du Banc de la Reine en Alberta « vérifient désormais systématiquement si les accusés ont été informés du droit d’un procès en français lors des premières comparutions ».