Lundi 3 septembre, le gouvernement fédéral a annoncé une aide financière pour aider l’Alberta à une transition “juste et équitable” de l’industrie du charbon (ICTC). Un financement qui contraste avec l’obstination du gouvernement provincial conservateur à mener une véritable guerre à l’écologie. Dernier acte en date, la fermeture du Bureau sur les changements climatiques.
Qu’adviendra-t-il de l’autre belle province ? Du côté du fédéral, les intentions sont orientées vers la diversification d’une économie basée depuis des décennies sur la production d’énergies polluantes. « Notre gouvernement reconnaît l’importance d’une transition juste et équitable pour soutenir les travailleurs et les collectivités de l’Alberta », a déclaré Amarjeet Sohi, ministre des Ressources naturelles et député fédéral.
Ces paroles lui ont été attribuées dans un communiqué de presse envoyé lundi 3 septembre par l’organisme fédéral Diversification de l’économie de l’Ouest canadien. Un document conçu pour annoncer une aide financière destinée à réduire les émissions de carbone en Alberta. Environ 3 millions de dollars répartis dans deux collectivités et un syndicat serviront à financer une transition énergétique concernant la production d’électricité par le charbon.
Vers une transition économique ?
Cette annonce s’inscrit dans la continuité d’une politique établie. En novembre 2018, 250 000 dollars ont déjà été distribués par le fédéral. En juin 2019, c’est un chèque de 4,5 millions de dollars que le gouvernement a remis à des organismes de l’Alberta et de la Saskatchewan. Tout cet argent est tiré des 35 millions sur cinq ans, promis et inscrits au budget 2018 par le gouvernement de Justin Trudeau pour la mise en œuvre de l’Initiative canadienne de transition pour l’industrie du charbon (ICTC).
Une raison, au moins, à cela : « En 2016, le charbon produisait environ 9 % de l’électricité au Canada, mais était responsable de 72 % des émissions de gaz à effet de serre dans le secteur de l’électricité. Le Cadre pancanadien sur la croissance propre et les changements climatiques du gouvernement du Canada avait cerné la nécessité de réduire les émissions de l’électricité produite à partir du charbon d’ici 2030 », explique Narmin Hassam-Clark, travaillant pour la communication du gouvernement.
À quelques semaines des élections fédérales, le Parti libéral à la tête du Canada assume son positionnement en matière de protection de la planète. Et ce, malgré les 1 800 travailleurs du secteur et l’impopularité omniprésente de la politique écologique dans la province pétrolière.
Conscience écologique ou stratégie électorale ? La politique du gouvernement fédéral est à prendre avec des pincettes. Après plusieurs mois de suspense, Ottawa a donné son feu vert au projet d’expansion de l’oléoduc Trans Mountain, au coût de 7,4 milliards de dollars, tant attendu dans la province pétrolière.
Une province en guerre face aux écologistes
Historiquement, le contexte politique n’est de toute façon pas propice aux partis libéraux ici. Lors des dernières élections locales, en avril 2019, le Parti conservateur mené par Jason Kenney a raflé les sièges du Parlement (60 contre 24 pour l’opposition). Une majorité écrasante.
À travers la campagne électorale, les Albertains se sont massivement ligués contre l’ennemi numéro un : le lobby écologiste. Celui dicté par des associations financées par de milliardaires américains voulant mettre des bâtons dans les roues de l’économie albertaine, selon le discours désormais officiel. Quelques documents et chiffres à l’appui pour étayer, et ça marche auprès des électeurs. De toute façon, le contexte économique a fait le plus gros de l’argumentaire. La crise de 2014 a fait baisser le prix du baril de 100 dollars US et entraîné 100 000 pertes d’emploi.

Depuis son arrivée au pouvoir, Jason Kenney honore son mandat. Sa grande volonté ? Défendre coûte que coûte l’économie face à l’écologie. Son grand chantier ? Relancer l’industrie du pétrole extrait des sables bitumineux, parmi les plus polluants au monde, sous exploité, mais qui a fait la richesse de la province. « Remettre l’Alberta au travail », comme l’annonce sa description Twitter.
La riposte est lancée, comme le montre ce projet à 30 millions de dollars pour la création d’une cellule de guerre (« war room »). L’objectif est de lutter contre les « mythes et mensonges » des associations défendant l’écologie. Ces dernières montrées du doigt publiquement pour être financées par des milliardaires américains souhaitant voir le prix du pétrole albertain rester bas. Jason Kenney a d’ailleurs commandé une enquête publique sur le financement étranger des campagnes environnementales. La taxe carbone, instaurée par le Nouveau parti démocratique, au pouvoir de 2014 à cette année, a été la première mesure du gouvernement conservateur.
Kenney, Sheer, même combat ?
Jason Kenney s’oppose également aux fermetures des centrales à charbon. « Tant qu’au moins le gouvernement Trudeau sera au pouvoir, nos centrales au charbon seront encore touchées par l’échéance fédérale de 2030 », avait-il déclaré lors d’une conférence de presse pendant sa campagne.
Dernière bataille menée dans cette guerre, ce 10 septembre, le ministère provincial de l’environnement a annoncé la fermeture des bureaux travaillant sur les changements climatiques et la surveillance de l’environnement. Une simple « décision bureaucratique », justifie le ministère.
Pendant ce temps, les élections fédérales approchent. Chaque parti joue ses cartes. Selon les sondages, et comme toujours au Canada, le futur gouvernement sera composé par le Parti libéral ou le Parti conservateur. Justin Trudeau comme candidat du premier, Andrew Sheer, ami de Jason Kenney, candidat du second.
En déplacement à Calgary ce lundi 16 septembre, le chef conservateur a annoncé que sa priorité s’il était élu sera d’abolir la taxe carbone fédérale et la loi C-69 qui régit les procédures d’évaluation de projets à impact environnemental. « Les Canadiens et les Albertains méritent un gouvernement et un premier ministre fiers de notre secteur pétrolier et gazier », a-t-il également dit. La campagne est lancée, les débats entre citoyens aussi.
Que faire de ce gros morceau de planète, le Canada, deuxième plus grand pays au monde, et des humains qui y vivent ? Les Albertains semblent acquis à une doctrine. Mais comment passer outre la science concernant le réchauffement climatique ou la qualité de l’air ? Au moment d’échanger leurs arguments, les habitants de la province encore proches d’une nature immense, sauvage et paradisiaque (les Rocheuses) tenteront de ne pas sombrer dans la schizophrénie. Une question entre les lignes : doit-on vraiment choisir entre bien respirer et bien manger ?