À Edmonton, le quartier Bonnie Doon est le coeur de vie francophone de l’Alberta. Et ici, francophonie rime avec économie. Le déménagement du Campus Saint-Jean aurait de lourdes conséquences économiques.
« Le Campus est de loin la plus importante entité à l’interieur de notre quartier d’affaire», a déclaré Martin Van Keimpema, le président de Quartier francophone lors de la conférence de presse organisait par l’Association canadienne française de l’Alberta. «Pour le mieux, le déménagement aura de sérieuses conséquences économiques pour nos membres que nous estimons à 4,5 millions de dollars par an».
Il y a plus de 700 étudiants au Campus Saint-Jean. La plupart se logent dans le quartier, près de leur lieu d’études. « Chacun paie environ 800 dollars par mois à un propriétaire », dit Joris Desmares-Decaux, vice-président de cette Zone de revitalisation des entreprises (ZRE). Selon lui, les propriétaires du quartier seraient donc lourdement affectés.

Un deuxième aspect, celui de la consommation. « Les étudiants vont consommer au Café bicyclette, ou vont prendre une poutine à Frencheese. Ils vont faire leurs courses à l’épicerie, passent par le Seven Eleven… S’ils venaient à déménager, il y aurait une perte sèche qui se chiffrerait en millions de dollars par an », continue d’argumenter l’expert de l’économie de ce quartier.
Beaucoup de commerçants ne survivraient pas
« D’abord le COVID, ensuite le Campus, c’est certain que beaucoup de commerçants ne survivraient pas », ajoute-t-il. Quartier francophone regroupe tous les commerces du quartier. Cette ZRE compte 158 entreprises membres (anglophones et francophones), indique le directeur Jean Johnson. Ces derniers mois, « au moins 18 » ont fermé.

À l’angle de l’avenue Whyte et de la rue 89, la propriétaire de la poutinerie Frencheese a déjà estimé les répercussions d’un déménagement du Campus. COVID-19 oblige, elle n’a pas pu compter sur les étudiants ces derniers mois. « On a vu une grosse différence. Au moins 20 % de notre chiffre d’affaires provient des étudiants », dit Suzie Tremblay.
Elle l’assume, Bonnie Doon était l’endroit parfait pour ouvrir une poutinerie. Elle ne pense pas qu’elle se serait lancée dans cette aventure entrepreneuriale sans la thématique francophone du quartier. Et pour elle aussi, il n’y a pas de doute que le déménagement du Campus Saint-Jean nuirait à la vie en français du quartier.
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Vous êtes-vous déjà baladés à Bonnie Doon ? En descendant la célèbre avenue Whyte vers l’est, le pont Mill Creek est arboré des drapeaux des pays membres de l’Organisation internationale de la francophonie. « Stop, arrêt ». Ici, les panneaux de signalisation sont bilingues. Des bannières au slogan « la joie de vivre », marquées d’une Fleur de Lys, ornent les réverbères.

Le joyau francophone de l’Alberta
Bonnie Doon, « c’est un Joyau de l’Alberta », décrit Joris. Dans une province qui ne dénombre pas plus de 2 % de francophones, « ici, 35 % de la population a le français comme langue maternelle », avance le directeur du développement économique au CDÉA. Cette effervescence francophone s’appuie sur deux piliers : la Cité francophone et le Campus Saint-Jean. Si l’un s’effondre, tout l’édifice risque bien de s’écrouler.
Tout cela est l’œuvre de Quartier francophone, mandatée en 2013 par le conseil municipal de la ville pour valoriser le milieu économique du quartier. Les entrepreneurs paient une taxe chaque année. L’argent qui en découle est réinjecté dans des initiatives. « Il y a une vision du quartier. C’est vraiment de faire que quand on y rentre, on se sente ailleurs, et que le français prédomine. De ce fait, les visiteurs viennent chez les commerçants », dit Joris Desmares-Decaux, vice-président de Quartier francophone.

Le Campus Saint-Jean ? « C’est le poumon… Non ! C’est même le cœur du quartier ! La Cité francophone en est le poumon, mais sans le Campus elle perdrait de ces plumes. On retomberait à un pourcentage de francophones comme ailleurs à Edmonton », clame-t-il. Pour lui, le risque est clair : son déménagement pourrait entraîner la disparition de la spécificité francophone de Bonnie Doon.
La francophonie coupée à la racine?
La spécificité francophone de Bonnie Doon s’est bâtie autour d’une forteresse centenaire. En 1911, le Juniorat Saint-Jean déménage du sud de la province (Pincher Creek) pour s’installer à l’endroit où il se trouve aujourd’hui sous l’appellation de Campus. Bien plus tard, en 1986, un groupe d’investisseurs francophones achète le Centre 82 à l’intersection de la Whyte avenue et de la 89e rue.
« Le Centre 82 a joué un rôle important, doucement les associations ont déménagé du quartier Grandin au nord de la rivière pour s’installer au sud », explique Adam Ziel, membre du CA de Quartier francophone et trésorier à l’entreprise Bergeron & Co. En 1992, quand le pavillon 1 de la Cité a été construit, ils y ont déménagé.

« Sans campus, il n’y aurait pas de Cité, indique quant à lui Daniel Cournoyer, directeur des bâtiments regroupant la grande majorité des organismes francophones de la ville. Si la Cité francophone est située où elle est aujourd’hui, c’est à cause du Campus ».
«Ça va juste nous renforcer»
Aujourd’hui plus que jamais, « il y a beaucoup d’élèves et de professeurs qui viennent à la Cité », dit-il. Une disparition aurait également des conséquences sur les organismes qui ont l’habitude de recruter chez eux. Sa position est claire, le Campus Saint-Jean doit être maintenu.
Mais ce « Franco-Albertain de souche », comme il se décrit, semble en avoir vu d’autres. « Si ça devait arriver, la francophonie va continuer. Depuis le début de la présence européenne, les francophones sont là, et ils vont continuer à exister. Ça va juste nous renforcer. We are not going away soon. »