Au lendemain des élections fédérales, un mouvement indépendantiste a surgi du fin fond des réseaux sociaux. L’Alberta se sent aliénée et compte bien le revendiquer. Entre désir de considérations du fédéral, craintes économiques et instrumentalisation politique, le Wexit est né et doit être pris en considération selon certains.
Samedi dernier à Calgary, plus de 700 personnes se sont réunies lors d’un rassemblement pour soutenir le groupe montant de la politique albertaine. Deux semaines plus tôt, le même nombre de personnes, selon les organisateurs, s’étaient réunies à Edmonton pour les mêmes raisons. Depuis les résultats des élections fédérales, le désir d’indépendance de l’Alberta se manifeste.
Le 21 octobre, lors de la soirée électorale, les résultats ont été fortement désapprouvés par les Albertains. La province pétrolière, fortement ancrée dans un vote conservateur depuis 50 ans, s’estime lésée par la victoire du Parti libéral de Justin Trudeau, certes minoritaire. En effet, après que Justin Trudeau a été reconduit, le groupe Facebook VoteWexit a décuplé en quelques jours son nombre d’abonnés.
Ce n’était que le début. Depuis, les groupes Facebook se multiplient et les discussions politiques de rue tournent autour de ce sujet. Le mouvement a fait la démarche pour se transformer en parti et prendre part aux prochaines élections. Les médias de l’est à l’ouest du pays se sont emparés du sujet.
La Western hostilité
Comment est né le Wexit ? Frédéric Boily, professeur de sciences politiques au Campus Saint-Jean, parle de frustrations apparues en 2018. « Il est né de ces préoccupations liées au projet d’agrandissement de l’oléoduc TransMountain, des difficultés économiques, de l’idée que le gouvernement fédéral libéral a mal géré tous ces dossiers, et qu’on n’est pas assez à l’écoute de l’Ouest.»
La volonté de quelques personnes aura permis le lancement de ce mouvement. « Je pense que ça s’est développé à l’extérieur des partis conservateurs traditionnels », ajoute Frédéric Boily qui pense que ce mouvement pourrait un jour se retourner contre les partis établis.
« La Western alienation, c’est une très forte perception, idée, que le gouvernement fédéral n’est pas à l’écoute de l’Ouest et qu’il s’en sert comme un réservoir de matières premières, de richesses, transférées dans l’Est du pays sans tenir compte des intérêts de l’Ouest ».
Frédéric Boily, professeur de sciences politiques au Campus Saint-Jean.
Le concept de « Western alienation » est un facteur important dans la compréhension du sujet. « La Western alienation, c’est une très forte perception, idée, que le gouvernement fédéral n’est pas à l’écoute de l’Ouest et qu’il s’en sert comme un réservoir de matières premières, de richesses, transférées dans l’Est du pays sans tenir compte des intérêts de l’Ouest ». Ce sentiment est apparu en Alberta aux débuts des années 1980 avec le programme national d’énergies.
À l’époque, ce programme avait été lancé par un gouvernement libéral avec à sa tête : Pierre Elliott Trudeau, père de Justin Trudeau. La rancoeur semble s’être reportée sur le fils. « C’est un sentiment anti-Trudeau, ça c’est clair. Depuis les années 80, l’idée que les Trudeau ne comprennent pas l’Ouest est très forte. Mais pas simplement les Trudeau, les libéraux également. La dernière élection fédérale en 2015, on pensait que les Libéraux étaient capables de reprendre pied dans l’Ouest mais c’était quand même assez timide », analyse l’expert.
Trump, Mélania et l’Alberta
Pour l’heure, ce parti est loin d’être majoritaire en Alberta. C’est un mouvement neuf, en plein développement. « Mais ce mouvement doit être pris au sérieux. On ne peut pas, de mon avis, simplement l’écarter, avise le professeur. Ça a besoin du long terme pour créer des perturbations politiques et créer des tensions dans ces régions. Avant de savoir si c’est majoritaire, on pourrait savoir jusqu’à quel point il pourrait se développer pour perturber l’espace politique. »
Nous en sommes loin. « Le scénario d’une Alberta indépendante pour le moment ne me semble pas faisable parce que il y a trop d’obstacles. Il faudrait un référendum, et pour cela il faudrait prendre le contrôle quelque part, avoir des députés à Ottawa ou au Parlement d’Edmonton, or là on est très loin de tout ça », tempère le politologue.
Et le cas échéant, les problèmes seraient loin d’être réglés pour l’Alberta. « Le problème serait intact, il serait même probablement plus compliqué. À partir du moment où il y a des frontières, ça devient encore plus complexe que ça ne l’est maintenant. »
Sur YouTube, une vidéo circule depuis le 22 novembre. Elle présente un comédien déguisé en Donald Trump, en pleine conférence de presse. « Je suis excité d’annoncer que je vais faire en sorte que l’Alberta soit le 51e État (…) Je voudrais féliciter les Albertains pour leur décision de se séparer du Canada. Les meilleurs jours du Canada sont finis. Prenez exemple sur moi : j’ai divorcé deux fois. L’Alberta pourrait même ressembler à une de mes femmes : Ivana, Marla, Melania, et Alberta. Super sexy. »
Québec-Alberta, de l’amour dans la division
Il est vrai que la province rime bien avec les prénoms des ex-femmes de Donald Trump. Mais le scénario est loin d’être réalisable. « Les États-Unis n’ont aucun intérêt à avoir l’Alberta dans leur pattes. Ils ont accès au marché du pétrole, ici, sans problème. Donc, je ne vois pas de bénéfice, sauf pour aller vers le nord. Mais pour aller vers le nord, il faudrait qu’il y ait d’autres provinces qui embarquent aussi. Ce scénario me paraît improbable », estime Frédéric Boily.
Qu’en est-il de ce sentiment anti-québec qui revient fréquemment dans les arguments des adhérents aux pages des groupes prônant le Wexit ? Il est clair que l’échec des négociations il y a deux ans visant la construction d’un oléoduc acheminant du pétrole à l’Est a laissé des marques. Frédéric Boily voit aussi dans ce phénomène une forme de jalousie. « Depuis la fin des années 90, le Québec obtient des gains en jouant la menace sur la ligne séparatiste, indépendantiste, et que quelque part il faut être capable de jouer un peu le jeu du Québec. Le Québec a bien joué ses cartes, l’Alberta voudrait faire la même chose. »