Le meurtre de Georges Floyd sous le genou d’un policier, ce 25 mai aux États-Unis a soulevé une vague d’indignation et de rassemblements à travers le monde. D’Edmonton à Calgary, où se sont tenues des manifestations, les personnes touchées par le racisme témoignent.
« J’ai pleuré », répond Michèle Katuku, immigrée en provenance de Zambie il y a sept ans, questionnée sur sa réaction à la vidéo de la mort de Georges Floyd. Elle trouve choquant de voir comment des humains traitent d’autres humains. « C’était le traiter comme un cafard », juge-t-elle.

C’est pour cette raison qu’elle admire la vague de mobilisations à travers le monde. Très vite, elle insiste que « ce mouvement ne défend pas seulement la vie des Noirs. On soutient la vie de tout humain. Ce n’est pas que la vie des Noirs qui est en danger, je vous le dis ! »
Les proches de cette Calgarienne francophone en font parfois les frais. « Vous ne pouvez pas venir jouer ici parce que vous êtes noires et mes parents disent que les noirs sentent mauvais ». Cette phrase, deux enfants qui jouaient dans l’espace dédié du McDonald l’ont jetée en pleine face des deux jeunes filles de Michèle Katuku. La mère de famille a alors encouragé ses protégées à retourner y jouer. La bêtise paraît sans fin. Quelques minutes plus tard, les parents ont récupéré leurs enfants. « C’était du pur racisme », juge Michèle Katuku.

Le racisme s’exprime la plupart du temps de façon plus sournoise. Dicky Dikamba, fondateur et directeur du CANAVUA à Edmonton, a toujours la volonté de ne pas tomber dans les jugements hâtifs. « Quand il y a des situations ambiguës, je préfère me dire que ce n’est pas du racisme », avance-t-il, se décrivant comme quelqu’un de positif.
Pourtant, « il faut savoir se poser des questions quand on se rend compte que les mêmes personnes ont les mêmes problèmes ». Il cite les contrôles de police « jusqu’à 4 à 5 fois par mois » lorsqu’il habitait en France. « Je me suis toujours dit que c’était normal, que les policiers faisaient leur métier ». Mais depuis son arrivée au Canada, il y a 11 ans, Dicky Dikamba n’a subi qu’un seul contrôle d’identité.
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Le Canada, et « l’espoir d’une société inclusive »
Si pour lui le racisme est moins marqué au Canada, il rapporte le contexte dans lequel évoluent certains de ses amis à Fort McMurray. « Les personnes de couleur se retrouvent souvent entre elles à travailler la nuit, qui sont les horaires les plus pénibles ». Il n’oublie pas non plus que la population carcérale au Canada est majoritairement noire ou autochtone. « La chose doit être prise au sérieux ».

Toujours à la Cité francophone d’Edmonton, Alphonse Ahola, directeur de Francophonie Alberta plurielle (FRAP), dit n’avoir jamais personnellement vécu d’acte raciste au Canada. Mais selon lui, le racisme systémique existe bel et bien. En 2014, alors que l’organisme qu’il dirige dénonce le problème du manque d’enseignants d’origine africaine dans les écoles, il affirme que « certains n’avaient pas hésité à nous faire savoir que les enseignants d’origine africaine ne pouvaient pas enseigner à cause de leur culture. Une culture de violence, une culture dans laquelle on ne respecterait pas les enfants », dit-il.

Il indique que la situation s’est améliorée depuis grâce à l’opinion publique canadienne. « Il y a une très grande différence avec les États-Unis. Le Canada crée l’espoir d’une société inclusive dans laquelle les gens comme moi peuvent s’épanouir. Aujourd’hui, nous avons de la chance, mais les choses sont volatiles. Il faut continuer à filtrer notre leadership, pour qu’on ne retrouve pas à la tête de notre pays quelqu’un qui méprise les minorités. »
Des préjugés défavorables

Le regard perçant, la posture droite, d’une voix apaisée, Alphonse Ahola met sur la table le problème des idées préconçues. « Les Noirs souffrent beaucoup de préjugés très défavorables ». Il en a fait l’expérience lorsqu’il étudiait en Norvège : des étudiants avaient créé un boycottage social autour de lui « parce que c’est dangereux de parler à une personne noire, venant d’Afrique », se souvient-il, dépité.
Alphonse Ahola collectionne dans sa mémoire ces scènes de vidéos postées sur les réseaux sociaux où des policiers américains usent une force démesurée face à des hommes Noirs non armés. La méconnaissance et la peur seraient-elles responsables des actes racistes ? Selon le directeur de la FRAP, oui.
Ces préjugés ont la vie dure. Les filles de Michèle Katuku le savent elles aussi. Après leur premier jour d’école au Canada, elles racontent à leur mère que leurs camarades de classe sont surpris d’apprendre qu’en Afrique, la famille vivait dans une maison avec un confort et une voiture. « Selon eux, en Afrique, on vit dans la forêt », déplore-t-elle.