Ce samedi 12 octobre, l’organisme Francophonie albertaine plurielle (FRAP) a organisé une journée d’échange interculturel « à la découverte de la Tunisie ». Au Bonnie Doon Community League, environ 250 personnes sont venues célébrer la culture et l’histoire de ce pays « ouvert sur le monde ». Dans le même temps, des élections majeures se déroulaient à des milliers de kilomètres de là.
Un bon tajine et d’autres mets pimentés agrémentés par de la musique raï. Nous voici en Tunisie, ou presque. À plus de 16 heures d’avion de Carthage, ancienne « capitale de la province d’Afrique proconsulaire » établie par l’Empire romain il y a 2 000 ans, des Tunisiens expatriés font découvrir leur culture.
Une certaine fierté règne dans la salle du Bonnie Doon Community League. « Les Tunisiens sont obsédés par rentrer chaque année. On travaille seulement pour faire des économies et y retourner en vacances », plaisante Rhida Atioui, président de la communauté des Tunisiens de l’Ouest du Canada.
Cet évènement est organisé par la FRAP. Après la présentation du Niger le 21 septembre, cette deuxième journée d’échange interculturel met en avant la Tunisie. Ce samedi 19 octobre, ce sera à l’association de l’Éthiopie de présenter son pays. Ces journées permettent « aux communautés de montrer leur richesse et la valeur de leur pays, à travers leur histoire économique et sociale, mais aussi artistique et culturelle », explique Giscard Kodiane, agent de liaison communautaire dans l’organisme.
Une population majoritairement francophone
Au total ce samedi, la FRAP dénombre la présence d’environ 250 personnes. Quelques membres d’autres communautés sont là, ainsi que des Franco-albertains. «On est venu découvrir cette communauté de nouvels arrivants. Ce n’est pas facile de faire le premier pas vers l’autre mais il faut le faire, donc nous l’a fait aujourd’hui», explique Gilles Cadrin.
La majorité des personnes présentes sont des Tunisiens, un bon ratio par rapport au nombre de Tunisiens expatriés dans la capitale de l’Alberta. « Environ 500 familles tunisiennes vivent à Edmonton, soit entre 1 000 et 1 500 personnes », présume le président de la communauté.
L’Alberta n’est pas la province qui attire le plus de Tunisiens. « 90 % des Tunisiens qui immigrent au Canada vont au Québec. Mais la deuxième destination, c’est ici en Alberta. Quand il y a eu le boom économique, beaucoup sont venus ici », ajoute-t-il.
« Tous les gens qui sont lettrés et qui vont à l’école parlent français. Il y a beaucoup de french lexique dans notre dialecte. Ceux qui parlent le français sont fiers car c’est souvent un signe d’appartenance à un bon niveau social »
Rhida
Ce n’est pas un hasard si le Québec est la destination privilégiée de ces expatriés. La population de la Tunisie (11,3 millions d’habitants) est à 65 % francophone. Une langue apprivoisée lorsque la Tunisie était un protectorat français, de 1881 à 1956. À l’indépendance de la nation, un dialecte arabe tunisien est devenu la langue officielle du pays.
Pourtant, le français y demeure. « Tous les gens qui sont lettrés et qui vont à l’école parlent français. Il y a beaucoup de french lexique dans notre dialecte. Ceux qui parlent le français sont fiers car c’est souvent un signe d’appartenance à un bon niveau social », explique Rhida, également professeur d’anglais à l’Université de l’Alberta et employé par l’organisme Accès Emploi.
Signes de l’importance de la langue dans ce bout de terre à l’est du Maghreb, les billets de banque sont écrits en arabe d’un côté, en français de l’autre. L’encyclopédie en ligne Wikipédia livre également la statistique que ses pages sont plus consultés en français depuis la Tunisie (47,6 %), (contre 27,9 pour la langue arabe et 17,6 % en anglais).
Un « carrefour des civilisations », ouvert sur le monde
Évidemment, la plupart des échanges sont en français ce samedi. Sur les coups de 17 h 30, la soirée commence par une présentation de la Tunisie faite par Ilyes Ben Khadda, membre de l’association et professeur d’une classe de 7e année à l’école La Prairie de Red Deer. Aidé d’un rétroprojecteur, il présente les différents monuments historiques de son pays, « carrefour des civilisations » : le Colisée El Jam, la mosquée Zitouna, ou encore le musée national du Bardo.

Comme écrit dans sa constitution, la Tunisie est musulmane : 99 % de sa population pratique cette religion. Ce pays du Maghreb est pourtant davantage tourné vers l’Europe que vers le monde arabe, indique Rhida Atioui. « Du fait qu’il y ait des millions de Tunisiens européens, le Tunisien se sent très proche de l’Europe. Dans notre culture, on regarde l’Europe et non pas les pays du Moyen-Orient, car ce sont eux que l’on veut imiter. On se sent beaucoup plus proches d’un pays occidental que arabe. On est sensibilisés par notre emplacement géographique et l’ouverture culturelle que possèdent les Tunisiens ».
Le chaos évité après la révolution
En 2011, « le Printemps arabe » touche le pays du Jasmin. La révolte avait débuté le 17 décembre 2010, après l’immolation par le feu d’un jeune vendeur ambulant de fruits et légumes, Mohamed Bouazizi, dont la marchandise avait été confisquée par les autorités. Un mois plus tard, après des manifestations de grande ampleur, « la révolution du Jasmin » a abouti au refus de l’armée d’obtempérer aux ordres de l’ancien président Mohammed Ben Ali, au pouvoir depuis 24 ans. Cette prise de position avait contraint ce dernier à fuir le pays. Le peuple a ainsi obtenu le gain d’élire un nouveau président.
Beaucoup de Tunisiens présents ce samedi sont fiers que leur pays soit l’un des seuls ayant participé au « Printemps arabe » à avoir conservé une stabilité. « La Libye, le Yémen, l’Égypte, la Syrie ont sombré dans la guerre. Malgré tout ce qui s’est passé, on demeure heureux, on n’est pas tombés dans la violence et la guerre civile », explique le président de la communauté. « Pourquoi ? Je pense que c’est parce que le pays avait des structures qui ne se sont pas effondrées après la révolution. Mais aussi car la culture des Tunisiens était à un bon niveau », ajoute-t-il.
Le système d’éducation des années 1970 fait encore la fierté du pays. « C’était le meilleur d’Afrique et du monde arabe », explique Rhida. Ce n’est plus le cas, mais encore beaucoup d’Africains viennent étudier à Tunis, la capitale. Le pays possède une économie principalement tournée vers l’agriculture et le tourisme, qu’il soit culturel ou balnéaire. Les côtes méditerranéennes y sont bondées d’hôtels de luxe et de stations thermales où les touristes européens affluent durant l’été.
Un nouveau président source d’espoirs
Vêtus d’un Djebba et coiffés d’un Chéchia tunisien, les musiciens du groupe Chawacheen font danser les participants jusqu’à 20 h 30, ce samedi soir dans le quartier francophone d’Edmonton. Quelques heures plus tard, à plus de 20 000 kilomètres de là, les citoyens se rendent aux urnes pour la troisième fois post-révolution. Une élection qui représente beaucoup d’espoirs dans ce pays encore entaché de corruptions et d’un taux de chômage à 15 %.
Le deuxième tour de l’élection opposait Kaïs Saïed, universitaire et juriste de 61 ans sans parti politique, à Nabil Karoui, homme d’affaires poursuivi pour blanchiment d’argent et évasion fiscale, libéré de prison seulement ce 9 octobre. Logiquement, Kaïs Saïed, que la presse locale décrit comme « intègre, honnête, indépendant, instruit et ayant des principes », l’a emporté. Un source d’espoir pour tout une communauté, d’un bout à l’autre du globe.