Delphine Pugniet, originaire de Lyon en France, est désormais maraîchère en Alberta. Installée depuis cinq ans à Canmore, ville proche des montagnes, elle raconte son chemin à travers le Canada. Un parcours qui a germé d’une idée, au Québec, et qui a poussé jusqu’à la création de son entreprise agricole florissante à Canmore en Alberta. C’est vert, c’est bio, et c’est bon!
Tout était écrit. En 2014, alors qu’elle est représentante pour l’entreprise agroalimentaire Delpeyrat à Montréal, Delphine se plonge dans la lecture d’un livre Le jardinier-maraîcher, de Jean-Martin Fortier. Dès l’introduction, c’est une révélation. Delphine se sent inspirée par les mots, comme si ce livre avait été écrit pour elle. «J’ai toujours été attirée par l’auto-suffisance. Et j’ai toujours su que j’étais faite pour travailler avec mes mains».
«Dès le début de ma lecture, j’ai eu des insomnies». Quelque temps plus tard, Delphine s’est présentée dans la ferme de Jean-Martin Fortier. Par la suite, elle reste une semaine à ses côtés et participe à une conférence sur la relève agricole à Montréal.

«Un incubateur pour la relève agricole»
Elle y rencontre Louise-Marie Beauchamp, propriétaire de terres à Saint-Basil-le-Grand qu’elle loue à de jeunes agriculteurs qui s’essaient dans ce domaine. Autrement dit, «un incubateur pour la relève agricole», qui permet de cultiver des terres sans avoir besoin d’investir dans du matériel, donc sans prise de risque. Cela lui permet également d’échanger des expériences avec d’autres agriculteurs.
Delphine s’installe sur les terres des «Jardins de Marie Bio» où elle exploite les parcelles de Jean-François Gaudrault, agriculteur à ses heures perdues, dépassé par la situation à l’époque. «C’est plus rassurant et moins décourageant quand on est plusieurs et qu’on s’entraide», dit Delphine. Elle sera la main-d’oeuvre, et partagera les bénéfices de la récolte.
Armée d’une ambition de fer, elle exploite les rangs agricoles de Jean-François et se fabrique même une charrette à vélo afin de transporter les légumes récoltés. Elle fait du porte-à-porte pour les vendre. Le projet de Delphine fonctionne. Elle suit scrupuleusement le manuel de Jean Martin Fortier afin d’obtenir un bon rendement agricole sur une petite surface cultivable. Local, biologique, solidaire!

«Mon outil de travail, c’est le livre». En moins de quelques semaines, de quelques parcelles de terre exploitées au début, le travail de Delphine s’étend désormais sur un demi-hectare et représente un tiers de la production agricole de l’entreprise. L’été touche à sa fin, la production de légumes également. Delphine décide de s’envoler vers l’Ouest canadien pour y passer l’hiver. Elle espère revenir au printemps pour faire un stage de 3 mois aux côtés de Jean-Martin Fortier. Malheureusement, son projet tombe à l’eau.
«Échanger de la terre contre des légumes»
Une idée lui vient alors à l’esprit. « Je voulais échanger de la terre contre des légumes. C’était une idée farfelue mais j’ai découvert que cela se faisait à Calgary». C’est ainsi qu’en 2016, elle prend contact avec une personne qui lui échange quelques parcelles de terre de son jardin afin qu’elle y cultive des légumes. Une partie des ventes de sa production est destinée à la livraison de paniers remplis de légumes de saison, l’autre lui sert à louer les parcelles d’exploitation.
«J’ai commencé à Vulcan, avec 1000 dollars d’investissements dans des graines et du matériel agricole. Mais ça ne s’est pas passé comme je le voulais à cause d’un manque d’eau dans cette région». Elle décide alors de s’installer à Cochrane, ville située à 20 minutes de Calgary et 30 kilomètres de Canmore. «Il faisait moins froid et il y avait plus de soleil. Je suis arrivée à Cochrane, avec tous mes bébés plantes que j’avais fait pousser à Vulcan, à la recherche d’un maximum de personnes qui pourraient m’échanger un bout de leur jardin contre un panier de légumes».

Delphine agrandit son projet sur 9 maisons différentes. Mais les parcelles sont dispersées et de tailles réduites. «Cela m’a demandé beaucoup de travail et d’efforts sans que les résultats en terme d’argent et de temps soient satisfaisants. À la fin de l’été, j’étais épuisée. Le projet fonctionnait mais c’était éreintant. Je n’avais plus de vie, j’étais vraiment déprimée mais je ne voulais pas m’arrêter là».
Jardinière personnelle pour des restaurants
«Je me suis posée beaucoup de questions pendant l’hiver pour trouver d’autres alternatives à la revente de mes légumes». À ce moment-là, Delphine cumule trois emplois différents à Banff. Intrépide et déterminée, elle cogne aux portes des restaurants afin de s’entretenir avec le chef cuisinier sur une éventuelle collaboration. Le Juniper Hôtel et Bistrot, à Canmore, est l’un des premiers restaurants à collaborer avec Delphine.

«Je leur ai proposé d’être leur jardinière personnelle et de répondre à leurs commandes», se rappelle Delphine de son premier entretien. Petit à petit, son projet prend forme. En 2018, deux restaurants collaborent avec elle. En 2020, il y en a 7. Delphine, perçoit cela comme les premières lueurs de la réussite, mais insiste sur un point. «J’ai décidé de faire de la qualité plutôt que de la quantité. Avoir un bel échange avec mes clients mais aussi m’amuser».
«Il y a pleins d’alternatives aux pesticides»
Sa production partagée entre Canmore, où elle fait pousser ses graines jusqu’à sa parcelle à Cochrane, est suffisante pour répondre à ses besoins. Delphine a réussi son pari. En plus d’être locale, elle exerce son art du jardinage en respectant les lois de la nature. «Il y a plein d’alternatives aux pesticides. Par exemple, on peut mettre de la semoule de maïs pour repousser certains insectes, associer certains légumes ensemble pour qu’ils se protègent les uns et les autres, ou bien encore, combiner les plantes maraîchères avec des fleurs».

«On guérit souvent le problème sans se demander d’où il vient et sans chercher des solutions naturelles dès la source». Son parcours a été semé d’embûches, de rebondissements et de débrouillardises. Des efforts qui s’organisent annuellement autour de 6 mois de maraîchage et 4 mois de récoltes. « C’était difficile mais cela valait la peine. En 2020, je peux vivre de mon rêve. Alors quel que soit ton projet, quand t’écoutes ton cœur et que tu suis ta passion, il n’y a pas de raison que cela ne marche pas.»