Legal compte une quarantaine de peintures murales. Presque toutes représentent l’histoire omniprésente des francophones dans ce village. Jeudi 12 avril, Ernest Chauvet, le coordinateur de la Société touristique de Centralta, a guidé les élèves d’une école d’immersion calgarienne à travers ces murs colorés d’histoire.
« Tu es au Canada, parle blanc »! Cette phrase, Ernest Chauvet l’a souvent entendue lorsqu’il jouait au baseball avec les jeunes de villages aux alentours.
À l’époque, en 1965, ce jeune de 13 ans vivait à Legal, dans une famille francophone. « Les francophones représentaient 80 % de la population du village », se souvient-il. Son quotidien était rythmé par l’école, le travail de la terre et le soin des moutons et autres vaches de la ferme de ses parents. Il se souvient aussi de son père, un lecteur assidu.
Cinquante-cinq ans plus tard, Ernest se tient debout devant la murale de sa famille. À ses côtés, des élèves d’une école d’immersion de Calgary l’écoutent. « Voilà mon père en train d’étudier », dit-il fièrement, montrant du doigt la peinture représentant un homme, lisant un livre sur une charrue tirée par quatre chevaux devant un ranch.

À 68 ans, Ernest se souvient que ces études par correspondance avaient permis à son père, « très engagé dans la francophonie », de participer à la création de la commission scolaire de Legal.
« Les villages aux alentours qui n’ont pas créé de commissions scolaires sont devenus totalement anglophones aujourd’hui », explique-t-il.
1300 habitants, et une quarantaine de peintures murales
L’assimilation est tout de même passée par Legal. Aujourd’hui, la majorité des habitants de la commune sont anglophones. Ils n’en restent pas, pour autant, moins fiers de leurs racines. Il suffit de traverser la bourgade pour s’en rendre compte. Une quarantaine de murales en rapport avec la francophonie tapissent les murs des maisons, bâtiments, et autres gigantesques panneaux. « Avec une population de 1 300 habitants, cela en fait la ville avec la plus forte concentration de murale au monde », explique l’enfant du pays, aujourd’hui coordinateur de la Société touristique de Centralta.
La première oeuvre a été peinte en 1997 par Marc et Daniel Michaud. Le fruit de ce travail avait mûri à l’antenne régionale de l’Association française canadienne de l’Alberta (ACFA), « pour freiner l’assimilation trop rapide des francophones ». Depuis quelques années, la société touristique de Centralta a récupéré la responsabilité de créer des peintures dans la ville. « L’ACFA se concentre sur le développement des services en français, nous on s’occupe de la visibilité de la francophonie », explique Ernest, qui est l’un des instigateurs du projet.

Désormais, la Société touristique de Centralta organise des visites guidées dans cette zone au nord d’Edmonton, principalement peuplée de francophones au 20e siècle. Il va à la rencontre des familles du village pour les inciter à acheter une peinture murale. Beaucoup acceptent et financent une peinture représentant leurs racines francophones. Parfois, c’est par des aides de l’État fédéral ou de groupements, comme les Oblats ou les Morins, que les fonds sont octroyés. Au pinceau, plusieurs artistes se sont succédé en 20 ans : Jacques Martel, Karen Blanchet, Shoko César, Doris Charest, Suzanne Baron, et bien d’autres.
L’histoire en peinture
En longeant la route principale du village, on peut voir à travers les murs l’histoire de Legal. Roger et Maria Cyr étaient fermiers. On peut deviner la ferveur de Maria par le crucifix peint entre ses mains. La passion de la famille pour le hockey est également représentée sur le haut du dessin. La peinture murale de la famille Garneau est pleine d’anecdotes. En la voyant, on peut s’imaginer les fous rires du foyer, suite à des accidents drôles liés à la vie de la ferme. La peinture de la famille Maisonneuve rappelle l’engagement des Franco-Canadiens dans les scieries albertaines. La peinture de la famille Préfontaine souligne les valeurs fondamentales de leurs parents : la foi, le plaisir, le travail, et surtout la musique.
L’histoire et les grandes luttes de la communauté franco-albertaine sont également peintes : des prêtres catholiques oblats impliqués dans les débuts de la francophonie de l’Ouest canadien, Louis Riel, qui incarna la résistance face au gouvernement fédéral, l’abbé Morin qui fit venir 650 familles francophones dans l’ouest, ou encore Georges Bugnet, ancien éditeur pour Le Franco, botaniste et créateur de la rose présente aujourd’hui sur le drapeau franco-albertain.
Ces peintures sont bien accueillies par la municipalité qui donne les accords au préalable. « Les habitants sont vraiment fiers de leur implication pour la francophonie. C’est un trésor ici » promeut Josee Cote, directrice de l’ACFA régionale de Centralta depuis quelques semaines. « En 20 ans d’existence de ces peintures, aucun vandalisme n’a été constaté », affirme Ernest Chauvet.
Les animations organisées le 12 avril pour les 50 enfants en immersion de l’École internationale française de Calgary ajoutaient une touche ludique à l’apprentissage de l’histoire. D’autant plus lors de la reconstitution amusante de la bataille de Chateauguay de 1813. Les élèves ont compris que sans la collaboration des anglophones, des francophones et des Métis, le Canada aurait été vaincu par les États-Unis.
« Quand je commente ces visites avec des anglophones, je vois qu’ils commencent à apprécier le Canada bilingue. Après les visites, ils sont fiers d’être Canadiens ». Face à la dernière peinture murale de la journée, Ernest, le regard plongé dans le passé, donne un conseil aux enfants : « Rappelez-vous que quand on est peu nombreux, mais qu’on travaille ensemble, on peut faire beaucoup ».