le Jeudi 18 avril 2024
le Mardi 22 août 2023 18:00 Chronique «esprit critique»

Pourquoi j’aime tant la musique country?

Crédit : Blake Guidry - Unsplash.com
Crédit : Blake Guidry - Unsplash.com
Art musical majeur, indémodable, éternel, le classique nous console dans les moments difficiles. Il est aussi une communion lors de nombreux événements (mariage, deuil, élection, intronisation). Mais ce n’est pas seulement qu’une simple béquille. Loin de là. Il nous donne aussi toute l’inspiration nécessaire pour imaginer et redéfinir le monde.
Pourquoi j’aime tant la musique country?
00:00 00:00

Le choix d’Étienne Haché, chroniqueur

Récemment, je visionnais le concert offert par Johnny Cash au Manhattan Center Full Concert en 1994. Cela m’a rappelé aussitôt ma chronique publiée en juillet 2022 que je vous propose pour relecture : «Pourquoi j’aime tant la musique country?» À cette question, je persiste à penser que toute la raison d’être de la musique country, c’est d’exprimer des sentiments (l’amour, l’amitié, la générosité, le bien…) sans lesquels notre existence serait triste et dépourvue de sens. Bonne lecture. 

(Chronique parue le 7 juillet 2022, actualisée par son auteur ces derniers jours)

C’est du moins ainsi que la plume d’un génie (de la littérature), Victor Hugo, rend hommage à un autre génie (de la musique classique), Ludwig van Beethoven, dans un texte inédit découvert en 1914 : «Ce sourd entendait l’infini, dit-il. […]. Beethoven est une magnifique preuve de l’âme […]. Ah, vous doutez de l’âme? Et bien, écoutez Beethoven! […]. Ces merveilles d’harmonie, ces irradiations sonores de la note et du chant sortent d’une tête dont l’oreille est morte. Il semble qu’on voie un dieu aveugle créer des soleils». 

Question de préjugés…

Par comparaison avec le classique, plus élaboré et plus intellectuel, certains considèrent que la musique country n’a pas ce degré d’intelligibilité et d’élévation de l’esprit. N’ont-ils pas tort toutefois de se montrer aussi indifférents et parfois même hautains?

Non pas qu’il faille revendiquer de mettre absolument sur un même pied les deux registres musicaux, qui sont assez opposés par ailleurs. Seulement, un certain mépris de la country, qu’on range souvent sous le vaste vocable «commercial», «populaire» ou «traditionnel», est infondé et participe de clichés bien ancrés chez certaines élites cultivées (lire par exemple Theodor Adorno, Introduction à la sociologie de la musique, 1962). Et pour cause, les mêmes préjugés peuvent être également portés pour la plupart sur la musique classique : une musique occidentale, européenne, blanche, ethnocentrique, etc.

Dans le cas de la musique country, les idées préconçues sont non seulement infondées, mais également injustes. Puisant dans la musique traditionnelle européenne du 19e siècle, la country prend naissance dans les années 1920 tout le long de la chaîne des Appalaches, principalement dans la partie sud des États-Unis comme le Kentucky, l’Alabama et surtout le Tennessee dont la capitale, Nashville avec sa grande salle de concert, la Grand Ole Opry House, deviendra rapidement le haut lieu de la musique country. D’une certaine façon, cette musique a façonné l’âme américaine au même titre que le blues, le jazz et le gospel. 

La musique country est essentiellement américaine par ses origines, mais elle s’est aussi très bien développée au Canada, y compris au Québec et en Acadie, en Australie, au Royaume-Uni, voire en Belgique, en Nouvelle-Zélande, ainsi qu’en Irlande. Ce qui fait toute sa richesse, c’est qu’elle est un véritable réservoir de sous-genres, parfois même exotiques pour certains : hillbilly, folk, cajun, western swing, honky-tonk, bluegrass… 

Une musique porteuse de sentiments et d’émotions

Je la disais à la fois héritière et mère, mais la musique country n’entretient pas moins des relations d’influence assez étroites avec le rock’n roll, le blues, le soul, le jazz et même la musique pop. Preuve en est que de magnifiques mélodies — comme celle du grand et unique Roy Orbison, California Blues (1989), Not Alone Any More (1988), ou encore Nikita d’Elton John (1985), ainsi que In the hands of Angels de Leon Russel (2010) — sont fortement imprégnées du style country. 

Oui, contrairement au jugement porté par la haute culture, la musique country est tout le contraire d’une musique figée, refermée sur elle-même et qui évoluerait comme une sorte de rempart du conservatisme et de la pureté morale contre le changement. D’autre part, ce qui la rend encore plus importante, c’est n’est pas tant son aspect commercial — un phénomène qui hante et gangrène également de nos jours la musique classique — que le fait d’exprimer des sentiments et des émotions de la vie ordinaire. 

Or, cette dimension de la musique country, trop passée sous silence, est essentiellement philosophique, je veux dire socratique. Elle est depuis toujours un dialogue franc, sincère et direct des musiciens avec le public et les amateurs. Comment imaginer que ce ne fut pas le cas avec un Don Gibson, un Johnny Cash, Roy Orbison, Neil Young, Bob Dylan ou encore Bruce Springsteen?

Je persiste à penser en effet que, du point de vue social et politique, nous aurions tort de ne pas nous y intéresser. La question n’est pas de savoir si cette musique est orientée politiquement. Elle l’est sans doute un peu, et ce, depuis ses débuts. Cela dit, n’oublions pas que les nazis écoutaient du classique à deux pas des camps de concentration. 

Ce que les maîtres de la country ont très bien compris, me semble-t-il, sans doute mieux que d’autres — et que la jeune génération de chanteurs s’efforce encore aujourd’hui à promouvoir —, c’est que le simple fait de sous-estimer ce qu’un amateur de musique vit et ressent, dans sa vie quotidienne, mais sans pouvoir l’exprimer, souvent par crainte d’être ridiculisé ou de ne pas être suffisamment conformiste ou adapté à la mode du jour, reviendrait à donner du grain à moudre à tous ceux tentés par des choix politiques extrêmes et qui dénoncent le système des élites comme garant des intérêts de classe.

Je risque en effet la thèse suivante que les vrais spécialistes jugeront : la musique country et ses nombreux courants et dérivations offrent un temps pour se retrouver comme dans une grande famille, en toute simplicité, sans distinction de classes et d’origine sociale. J’irais même jusqu’à affirmer que sa véritable richesse, c’est qu’elle s’adresse aux gens ordinaires, mais pas plus bêtes que d’autres… Toutes choses égales par ailleurs, son développement actuel engendre certes d’énormes revenus chez la relève par comparaison aux anciens chanteurs qui ont souvent peiné pour vivre de leur métier. Mais cet aspect ne doit pas faire perdre de vue que la country est d’abord une institution, du moins aux États-Unis, et qu’elle n’est en aucun cas fondée, à l’origine, sur la standardisation, la marchandisation et l’uniformisation des goûts et des pratiques. 

Un été country très chaud au Franco

Le journal s’arrête pour une pause bien méritée. […]. En attendant, je vous souhaite d’agréables moments durant ces beaux jours de l’année, si possible avec de la belle musique country. Rappelez-vous ceci : la vie est courte, nous n’avons pas le temps malheureusement de tout faire. Alors, autant s’astreindre à l’essentiel et n’écouter que les meilleurs joyaux de la musique country (country folk, honky tong, country rock…) : Hank Williams, Don Gibson, Johnny Cash, Elvis Presley, Roy Orbison, Neil Young, The Traveling Wilburys et bien d’autres. Tout cela, entouré de celles et ceux qu’on aime par-dessus tout.

Mais, au fait, je ne vous ai pas dit vraiment pourquoi j’aime tant la musique country. Un peu parce qu’elle produit en moi les mêmes effets que le classique et surtout parce qu’elle me ramène à ma jeunesse. C’est qu’elle provoque en moi des sensations et des souvenirs, de beaux souvenirs, semblables à cette madeleine chez Proust : rapport entre soi et son environnement, questionnement sur le sens de la vie, les idéaux, volonté de freiner le temps, revenir en arrière, les délices d’une bonne bière, rester jeune… C’est tout cela que, depuis l’Europe, la musique country nord-américaine produit en moi.