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Evelyne Kemajou, un message d’espoir pour les générations multiculturelles

Evelyne Kemajou, un message d’espoir pour les générations multiculturelles
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Evelyne Kemajou, fondatrice et directrice du Portail de l’Immigrant Association (PIA) installé à Calgary, revient sur son aventure canadienne. Un message à la fois réaliste et optimiste sur la situation des personnes issues de l’immigration multiculturelle francophone.

Titulaire d’une Maîtrise en gestion d’entreprise de l’Université de Yaoundé (Cameroun), Evelyne Kemajou arrive à Calgary à l’hiver 2008, après un bref passage en France. « J’étais déjà venue ici rendre visite à ma famille pour les vacances. Je pensais peut-être rester en France, mais rien ne bougeait et je suis du genre impatiente », explique-t-elle.

Il faut dire qu’Evelyne Kemajou n’en est pas à son premier défi. À la sortie de l’université, elle était déjà partie étudier au Centre d’études financières, économiques et bancaires à Paris. « J’étais jeune, j’avais des rêves de responsabilités au sein de grandes institutions financières », raconte-t-elle. De retour au pays, elle entre finalement dans la fonction publique. Un tremplin pour embrasser une carrière dans la coopération entre deux pays, le Canada et le Cameroun.

Si bien sûr les causes pour lesquelles elle s’investit sont importantes, elle insiste sur ces opportunités de s’éloigner de la monotonie administrative gouvernementale. « J’ai pu travailler sur des projets incroyables comme l’autonomisation de la femme au pays grâce au développement de microcrédits (Micro-projets Productifs en Faveur des Femmes du Cameroun-MPPF-Cam) ».

Quatre ans plus tard, le contrat rempli, elle joint l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN), qui lutte contre la désertification et pour la protection de la diversité. « “Une tâche ingrate”, disait notre responsable. Vous travaillez au quotidien, mais le résultat apparaît après un long processus, surtout lorsqu’il s’agit de planter des arbres », sourit l’ancienne responsable du Bureau régional pour l’Afrique Centrale. Un dernier défi avant l’autre aventure.

La Francophonie plurielle a des ratés

Visionnaire, l’arrivée en Alberta ne l’effraie pas. Elle arrive sans emploi, accompagné de son plus jeune fils Tony, 11 ans. L’aîné de deux ans, Yann, la rejoindra plus tard. « Arriver en Alberta, au niveau de la langue, c’est comme vivre au Cameroun, le pays est bilingue », se rassure-t-elle. Avec son anglais approximatif, elle décide de se tourner vers la Francophonie pour y trouver un emploi. « L’enthousiasme a laissé très vite place à la déception », se souvient-elle.

En effet, un grand nombre d’organismes francophones ne retiennent pas sa candidature « faute d’expérience professionnelle canadienne ». Elle laisse entrevoir la déception, « c’était le premier choc ! C’est comme si vous alliez voir la famille et qu’elle vous ferme la porte au nez. » Elle aurait pu facilement comprendre la réticence des anglophones par rapport à la langue et pourtant : faute d’avoir un poste disponible, le Calgary Immigrant Women’s Association lui offre l’opportunité de faire du bénévolat. Une possibilité jamais évoquée dans la francophonie.

Le PIA, un organisme pour les générations futures

Trois mois plus tard et forte de son expérience, elle réalise que ce qui lui est arrivé n’est qu’un exemple parmi d’autres. Résignée, elle développe : « beaucoup d’immigrants francophones de la diversité culturelle avaient le même ressenti. Ils se sont du coup complètement intégrés à la communauté anglophone ». Ayant finalement identifié les besoins, elle décide avec quelques autres de mettre en place sa propre organisation. Le Portail de l’Immigrant Association ouvre le 16 juin 2008.

Evelyne Kemajou a créé Le Portail de l’Immigrant Association en 2008. Crédit: courtoisie.

Frileuses, elle et son équipe identifient les organismes francophones, et partent en croisade pour expliquer leur concept. À Edmonton, second choc ! « Après quatre heures de route, notre interlocuteur se désiste au dernier moment, il est remplacé par une personne qui se reconnaîtra sans doute puisqu’elle est toujours actrice de la francophonie albertaine. Celle-ci lui annonce très clairement qu’elle mettra la clé sous la porte d’ici deux ans… »

Forte heureusement, elle ne s’arrête pas là. Obstinée, elle se rappelle les bons mots de Lundja Okuka, directeur de l’ancienne Association multiculturelle francophone de l’Alberta (AMFA), aujourd’hui disparue. Sa table de concertation en place, le Secrétariat francophone et la Mairie de Calgary la suivent dans ce projet. Aujourd’hui le PIA, c’est notamment le 1er festival francophone de Calgary, un programme parascolaire et d’accompagnement des jeunes et leurs parents, des ateliers thématiques pour les femmes, et bien plus encore.

« Depuis mars 2020, notre équipe a accompagné 1117 personnes », clame-t-elle avec une certaine fierté. Autant dire qu’il est facile de reconnaître l’utilité d’un tel organisme après douze ans d’existence. Elle évoque discrètement vouloir peut-être un jour céder les rênes et redonner ce qu’elle a appris au Canada à son petit village, Bamena, dans la province de l’Ouest, au Cameroun. D’ici là, elle continue à encourager son équipe tout en signalant leur appartenance à la diversité.

Réveiller et éduquer les consciences

À l’évocation du mouvement Black Lives Matter, la directrice du PIA consent à dire qu’il a réveillé les consciences. « Les gens étaient peut-être aveugles, ou ne vivaient pas directement cette discrimination. C’est une prise de conscience collective et positive qui ouvre des horizons, un dialogue sincère. Nous n’avons plus besoin d’habiller le langage de peur de froisser », explique-t-elle. Elle estime d’ailleurs qu’aujourd’hui tout le monde veut poser un geste pour changer les choses. Réaliste, elle sait que cela prendra plusieurs générations car « cela ne se fera pas d’un coup de baguette magique ! »

Elle revient sur cette francophonie multiculturelle à laquelle elle est très attachée. « Aujourd’hui, elle existe, plus ou moins en fonction des décideurs, des êtres humains qui la dirigent ». Elle évoque aussi ce Mois de l’histoire des Noirs, salue cette volonté de sensibiliser la population et d’éduquer les jeunes, l’autre priorité. « Lorsque je vais dans une école et que la seule personne adulte noire est le concierge ou le préposé au nettoyage, quel message envoie-t-on aux élèves ? Les étudiants doivent savoir qu’ils peuvent aussi devenir premier ministre du Canada ! »