De nombreux Français décident chaque année de venir tenter leur chance au Canada grâce à un permis de travail, mais sans statut de résident permanent. Aujourd’hui, beaucoup d’entre eux sont touchés par la crise sanitaire et économique déclenchée par le COVID-19. Entre vision depuis l’étranger d’une France «en guerre» et précarité nouvelle en sol Canadien, l’inquiétude est palpable.
À Paris, la Tour Eiffel ne scintille plus. Les Champs-Élysées sont déserts. Les routes du périphérique, habituellement engorgées, sont vides. Dans le reste du pays, le paysage semble dénaturé. Comme en Italie ou en Espagne, seuls policiers et militaires arpentent les rues.
Ces images sont diffusées en boucle sur BFMTV, la chaîne d’information en continu du pays. De Montréal, Cédric Chevalier regarde ces scènes tous les jours, avec inquiétude. «Ça commence à devenir dramatique», déplore-t-il. Cédric est venu au Canada avec sa femme, Mexicaine, et son fils de un an. Depuis, il ne ménage pas ses heures pour subvenir aux besoins de sa famille : cinq jours par semaine dans une société de distribution de produits alimentaires, et deux jours de fin de semaine comme chauffeur Uber avec une voiture qu’il s’est achetée à crédit.
Pris au piège
En février, il reçoit un appel de son ancien patron qui l’invite à revenir travailler dans son entreprise. «Meilleur salaire, meilleurs avantages sociaux», raconte-t-il. Convaincu, il accepte et démissionne de son travail au début du mois de mars. «Uber marchait plutôt bien jusqu’à présent. Le travail que je faisais me donnait mal au dos alors j’ai voulu reposer mon dos en travaillant avec Uber pendant un mois». Concernant le coronavirus, il suit la situation en Chine, mais rien ne l’alarme.
Depuis que l’épidémie s’est répandue en Italie et les annonces gouvernementales au Canada, son moteur tourne dans le vide. «Hier, j’ai fait 7 heures de travail pour 70 dollars. Mardi, c’était 4 heures pour 45 dollars, mais j’ai dû mettre 40 dollars d’essence», dit-il déçu. Plus que jamais, Cédric craint pour sa famille. «Avec ce travail au contact des clients, j’ai peur d’attraper le virus et de le transmettre à ma femme ou mon fils qui ne bénéficient pas de couverture sociale».

Côté facture aussi, la difficulté s’installe. «Un loyer à 1000 dollars, une voiture achetée à crédit, la nourriture, les couches de l’enfant, ça va vite». Il compte se tourner vers les services sociaux, mais ne sait pas si son statut de non résident permanent lui permettra d’obtenir de l’aide. Dans ce cas, sa seule issue possible serait un retour en France. «Mais je ne veux pas y retourner. J’ai plus de chance d’être contaminé là-bas. En plus, les vols sont chers en ce moment, nous devrions tout vendre ici, nous n’avons nulle part où vivre là-bas et comment trouver du travail avec cette situation?». Cédric ne sait pas si son futur employeur sera toujours en mesure de l’employer début avril.
Licenciement viral
Habitués aux tempêtes de neige depuis deux ans, à Edmonton, Élise et Jerôme sont désormais pris dans une tempête de doutes. Crise épidémique oblige, le télétravail se répand à travers le monde. Cela n’aurait pas changé les habitudes d’Élise qui fonctionne de cette façon depuis déjà 7 ans en tant que travailleuse autonome. Il y a quelques jours, son client principal, une entreprise, a rompu tous les contrats de ses sous-traitants. Ses journées sont désormais longues.
Titulaire d’un permis de travail fermé, son mari aussi a perdu son job. Son patron a récemment mis ses employés au chômage, par crainte d’un mois trop difficile à assumer financièrement. Au chômage depuis quelques jours, le couple vit dans une situation de stress.
«Notre plus grande crainte, c’est de n’avoir aucune entrée d’argent, et que la situation dure un ou deux mois. Les loyers et les factures, eux, ne vont pas se mettre en pause». Élise explique que son mari a fait une demande d’assurance chômage en janvier. «On lui a répondu que tous les visas fermés ne pouvaient pas toucher le chômage».
Départ anticipé
L’option de rentrer en France est sérieusement envisager par cette famille. «Si on ne peut rien toucher de l’État canadien, on va demander un rapatriement de la famille à l’État français. Mais avec une très grosse déception du Canada, car ça fait deux ans qu’on travaille ici et qu’on paie les taxes», dit Élise. Le couple se donne trois semaines pour décider.
La situation en France ne les attire guère. «Pour le moment on parle de santé publique, mais on s’inquiète aussi pour l’économie. Dans les années à venir, on se demande comment les petits commerces vont s’en sortir», dit-elle. Ils craignent notamment une augmentation des impôts et taxes dans les prochaines années. Mais pour l’heure, leur angoisse monte encore d’un cran avec la saturation du site canadien d’Assurance Emploi.
Geoffrey Gaye
Le consulat de France à Vancouver lance des appels à rentrer
Sur les réseaux sociaux, le consulat général de France à Vancouver invite «les Français de passage au Canada à revenir en France par les lignes commerciales disponibles le plus rapidement possible. Joint par téléphone, le consulat dit vouloir spécifiquement attirer l’attention des personnes «n’ayant pas les moyens financiers de rester durant une longue période», incertitude oblige. Les autorités françaises auraient négocié avec certaines compagnies aériennes afin qu’elles maintiennent un prix raisonnable aux voyageurs. Une foire aux questions est fréquemment mise à jour sur leur site du consulat général de France à Vancouver.