Lundi 21 octobre, le Bloc québécois est devenu le troisième parti du Canada, s’assurant de jouer un rôle important dans une chambre des communes où le gouvernement est minoritaire. Ce parti fondé sur le désir d’indépendance d’une partie de la population québécoise pourrait faire avancer les droits des francophones dans tout le pays. Mais attention au retour de flamme, il contribue à insécuriser ces derniers.
Cette fois-ci, ça sera surement la bonne. C’est du moins ce que pensent un certain nombre d’experts concernant la modernisation de la loi sur les langues officielles. En juin 2018, le premier ministre Justin Trudeau avait annoncé devant la Chambre des communes vouloir moderniser la loi. Mais depuis, aucun projet de loi sur la question n’a été déposé. Le dossier devrait avancer dans les mois à venir.
Tout d’abord parce que tous les partis disposant d’au moins un député au Parlement se sont engagés à le faire dans leurs promesses de campagne. Ensuite, car le gouvernement libéral réélu est minoritaire, avec 157 députés sur 338. Il devra donc négocier avec les partis de l’opposition pour faire adopter leurs lois. Parmi eux, le Bloc Québécois, troisième parti au pouvoir avec 32 députés. Le gouvernement devra s’appuyer sur lui, en cas de blocage des 121 députés du Parti conservateur du Canada. « Je pense que le Bloc québécois sera un allié des Franco-Albertains », explique d’ailleurs Valérie Lapointe Gagnon, professeure au campus Saint-Jean spécialisée dans l’Histoire de la francophonie au Canada.
« Un véhicule plus francophone à la Chambre des communes»
Pour justifier sa position, elle s’appuie sur le discours du Bloc québécois. Ce parti indépendantiste fondé en 1991 n’a présenté aucun candidat hors Québec lors de ces dernières élections. Mais le 24 septembre, le chef du parti Yves-François Blanchet, en campagne, s’est arrêté dans l’est de l’Ontario pour adresser un message à tous les francophones et Acadiens du Canada: poursuivre la souveraineté ne signifie pas renoncer aux communautés francophones et acadiennes hors Québec. Un discours aligné sur sa plateforme : « Le Bloc Québécois continuera de défendre les Acadiens et les francophones hors Québec, en faisant en sorte qu’ils aient les mêmes droits et les mêmes services dans leur langue que ceux dont bénéficie la communauté anglo-québécoise», peut-on y lire.
Sheila Risbud, élue récemment présidente de l’Association canadienne-française de l’Alberta (ACFA) voit le parti comme un potentiel allié, mais elle préfère compter sur tous les députés. «Ce que l’on a élu c’est un parlement, ce n’est pas juste un parti. Oui, il y a plus de députés du Bloc québécois. Ça va être intéressant dans le sens qu’il va y avoir un véhicule plus francophone à la Chambre des communes, mais moi je crois vraiment qu’on va pouvoir aller chercher des alliés dans tous les partis. Un gouvernement comme cela (ndlr: minoritaire) ce n’est pas négatif, ça peut même être très positif car ça nous permet d’aller chercher des alliés qui ont différents points de vue et ça peut être important pour faire avancer les dossiers».
La souveraineté du Québec, « une menace directe à nos communautés»
Le lobbying a déjà commencé. Du moins, pour la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada (FCFA). Elle avait déposé sur la table du gouvernement un projet de modernisation de la loi sur les langues officielles en mars dernier. Son président espère désormais qu’un projet de loi sera déposé avant fin mai 2020, car Justin Trudeau « est pleinement engagé dans la modernisation de cette loi ». Jean Johnson souhaite tout de même parler avec tous les partis car il espère que le débat sur cette loi «ne soit pas partisan mais pro-canada, ça pourrait être un débat public négatif qui divise nos citoyens sur des questions de langues». «Il faut avoir des conversations avec monsieur Blanchet, monsieur Singh, monsieur Sheer, monsieur Trudeau, madame May. Les lettres sont parties cette semaine, félicitant et demandant une rencontre dans les plus brefs délais», affirme-t-il.
« Quand nous avons vu les résultats des élections, c’était à la fois de la crainte et de l’espoir, des bonnes et mauvaises nouvelles», développe Jean Johnson. Pour lui, le parti est à double tranchant. Yves-François Blanchet «est une personne qui pourrait avoir une influence sur l’avancement de la loi sur les langues officielles», précise le président de la FCFA. Mais une facette du parti pourrait desservir la cause francophone au Canada. Concernant la souveraineté, «on ne se cache pas de dire que sur ce sujet-là, c’est une menace directe à nos communautés. C’est un élément à prendre en considération. L’agenda de séparation du Québec n’a rien apporté pour nos communautés. Ça n’a fait que marginaliser, insécuriser nos communautés partout à travers le pays. J’aimerais que les citoyens canadiens du Québec réalisent que leur appel à l’indépendance c’est un appel à la disparition de nos communautés, point. On ne peut pas se le permettre. Il faut avoir de vraies conversations entre Québécois et le reste des francophones».
Les revendications québécoises ont contribué à la première loi sur le bilinguisme
Par le passé, le désir d’indépendance d’une partie de la population québécoise a fait avancer les droits des francophones dans tout le pays. Dans les années 1960, « il y a une montée du militantisme. On disait ‘’on doit faire attention à la langue française, car il y avait de plus en plus d’anglicismes et d’enseignes anglophones», explique Elsy Gagné, membre du Conseil d’Administration de l’Association des juristes en français de l’Alberta. L’Office de la langue française est alors créé, «avec la mission de s’assurer que le français soit parlé au Québec», ajoute-t-elle.
« La première loi sur les langues officielles débouche de certaines tensions au Québec», analyse, elle aussi, Valérie Lapointe-Gagnon, professeure au campus Saint-Jean, spécialisée dans l’histoire de la francophonie canadienne. Fin des années 60, le contexte est tendu : « les années 1960 au Québec sont les années de la Révolution tranquille marquées par un nouveau nationalisme et une montée de l’État québécois. Le gouvernement libéral de Lester Bowles Pearson convoque une commission». L’auteure du livre Panser le Canada, fait référence à la Commission royale d’enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme instaurée le 19 juillet 1963. Cette dernière émet un rapport de 6 livres, ainsi que des recommandations. Une des recommandations a été suivie par Pierre Elliott Trudeau: la création d’une loi sur les langues officielles au Canada, instaurée le 7 septembre 1969. Une année auparavant « Le Parti québécois, un parti provincial du Québec qui revendique l’indépendance, avait été créé», remarque-t-elle.