Après un an et demi de travail, la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada (FCFA) a présenté mardi 5 mars sa proposition de modernisation de la Loi sur les langues officielles, trop peu efficace selon eux. Le rapport final a été remis aux trois grands partis du pays.
C’est ce que l’on appelle : prendre les devants. Ce mardi 5 mars, la FCFA a convoqué la presse à Ottawa, au château Laurier tout proche du Parlement. « La dualité linguistique canadienne a besoin d’un nouveau souffle, d’un nouvel élan », a d’abord déclaré Jean Johnson, président de l’organisme. « La loi sur les langues, sous sa forme actuelle, est le principal obstacle à sa propre mise en œuvre ». C’est pourquoi, « une loi sur les langues officielles renouvelée, modernisée, dotée des mécanismes qui en assurent enfin le respect, est une excellente manière de réaffirmer avec force que la dualité linguistique est une valeur fondamentale canadienne », ajoute-t-il.
Moderniser la loi, cela fait un an et demi que la Fédération y travaille. À l’automne 2017, la FCFA a lancé un vaste processus de consultation avec ses 18 organismes membres ainsi que plusieurs autres organismes francophones du pays. Une démarche qui leur a permis de déterminer quatre grands axes d’action.

La FCFA a ainsi élaboré un mémoire qu’elle a présenté au Comité sénatorial sur les langues officielles. Une fois fait, elle a recouru à une firme de juristes qu’elle a chargé d’étudier ligne par ligne l’actuelle loi, et de préparer une proposition de loi reflétant les changements souhaités. Des experts politiques ont également été consultés, « afin d’évaluer et de valider la faisabilité de certains changements ». Le document final, d’une centaine de pages, pourrait « être déposé en Chambre tel quel comme projet de loi du gouvernement », selon la Fédération.
Que contient le document ?
Le premier volet de ce texte vise à confier la mise en œuvre de la Loi sur les langues officielles à une agence centrale. Cette dernière serait chargée, avec l’appui d’un ministère d’Etat et d’un secrétariat de langues officielles, de coordonner la mise en œuvre de la Loi. Le secrétariat du Conseil au Trésor jouerait ce rôle dans un élargissement de ses compétences. « Cela mettra fin à des années de problèmes de coordination et de supervision de la mise en œuvre de la loi dans l’appareil fédéral. Cette agence centrale aurait réellement l’autorité d’émettre des directives à toutes les institutions fédérales et d’en exiger des résultats ».
Deuxième point important de la proposition de la loi, « s’appuyer sur le principe du “par et du pour” ». Elle créerait des moyens pour les communautés de langue officielle en situation minoritaire de participer à la mise en œuvre de la loi, notamment en mettant sur pied un conseil consultatif des minorités de langue officielle.
Le point qui fera certainement le plus jaser se trouve dans le troisième volet du document. Les communautés francophones souhaitent qu’un tribunal administratif des langues officielles voie le jour. Ce tribunal serait « chargé de répondre aux doléances de non-respect de la mise en œuvre du bilinguisme. Elle aurait les moyens d’imposer des ordonnances exécutoires ou des sanctions aux institutions fédérales. Le commissaire aux langues officielles serait ainsi mieux appuyé par cette cour. Le rôle de ce dernier serait redéfini dans l’optique qu’il puisse mieux remplir son exercice de protecteur du citoyen et de promoteur de la dualité des langues », indique un rapport présenté à la presse.
La quatrième partie de ce grimoire juridique, intitulée « élargir la portée des lois et des obligations », est la plus généreuse en propositions. Elle prévoit la création de clauses linguistiques exécutoires dans les ententes fédérales-provinciales-territoriales, la levée de l’exemption de bilinguisme aux juges de la Cour suprême, l’obligation d’offrir tous les services du gouvernement fédéral dans les deux langues officielles (en tenant compte du nombre et de la vitalité de la communauté minoritaire).
Mais ce n’est pas tout : si ce projet de modernisation est accepté, tous les fonctionnaires fédéraux auront la possibilité de travailler dans la langue de leur choix, le gouvernement devrait adopter des politiques d’immigration favorisant la dualité linguistique, et la loi sur les langues officielles devraient être modernisée tous les dix ans.
« Une toile de fond de crise »
« La légitimité du français est contestée », a déclaré Jean Johnson lors de son allocution. Ce dernier dénonce les attaques récentes des gouvernements conservateurs de l’Ontario et du Nouveau-Brunswick envers la francophonie. « Les progrès en matière de langues officielles sont menacés. Quand la FCFA a entamé une vaste réflexion sur la modernisation de la Loi sur les langues officielles, il y a un an et demi, cette toile de fond de crise linguistique n’existait pas. Elle rend cette modernisation encore plus nécessaire ».
Du côté de l’Alberta, cette initiative a été saluée par l’Association canadienne-française de l’Alberta (ACFA), qui a participé à la consultation et se dit solidaire du projet. « La proposition de projet de loi présentée est extrêmement bien étoffée et s’attarde à régler des problèmes qui ont des impacts dans le quotidien de tant de francophones en milieu minoritaire. Cinquante ans après la première Loi sur les langues officielles au Canada, le moment est bien choisi pour demander des ajustements de fond », a réagi Marie-Laure Polydore, vice-présidente de l’organisme provincial.
Le gouvernement s’apprête à moderniser la loi
Si le moment est bien choisi, c’est parce que le Sénat travaille sur la question depuis quelque temps. Le gouvernement, aussi. En juin dernier, le premier ministre Justin Trudeau avait fait l’annonce devant la chambre des Communes de vouloir moderniser la loi. Cependant, absolument rien n’assure que les parlementaires déposeront cette proposition de loi telle quelle. C’est même plutôt peu probable. Mais puisqu’elle est sur la table, le dossier sera pris en compte.
La FCFA a récemment affirmé avoir le soutien des trois grands partis, après avoir remis leur dossier à la ministre Mélanie Joly (PLC) et aux députés Alupa Clark (PCC) et François Choquette (NPD). Mélanie Joly, ministre du Tourisme, des Langues officielles et de la francophonie, a été récemment chargée d’entamer un examen en vue d’actualiser la législature. Le gouvernement a déclaré que « dans le cadre de cet examen, les Canadiens et les organismes seront invités à participer à des forums et des tables rondes lors desquels ils auront l’occasion de partager leurs points de vue ».