Du 4 au 6 octobre à l’Université Sainte-Anne en Nouvelle-Écosse, le colloque Les médias francophones sous toutes leurs coutures s’est penché sur l’univers en crise des journaux et radios communautaires. Le milieu en péril, les participants envisagent des solutions novatrices.
L’industrie médiatique a connu plusieurs ruptures, d’abord avec l’arrivée de la radio, puis avec celle de la télévision. Depuis les années 1980, c’est l’internet qui chamboule le jeu. « La rupture qu’on vit aujourd’hui est probablement la plus grave », diagnostique Sylvain Lafrance, professeur à HEC Montréal et président du conseil d’administration de TV5 Numérique, intervenu dans une conférence d’honneur.
La nouvelle technologie du numérique est venue bouleverser tous les fondamentaux du monde des médias. Elle a imposé de nouveaux outils de production, amené à une redéfinition du métier de journaliste, accéléré la cadence de production des nouvelles et, surtout, instauré la gratuité. Un modèle catastrophique selon le professionnel : « L’information doit avoir un prix car elle a un coût », lance-t-il.
À cela, il faut ajouter la mondialisation des communications. « L’arrivée des Netflix et Amazon a fait s’écrouler beaucoup de nos belles convictions », avance l’expert. Pendant des décennies, le système s’est voulu rassurant avec le CRTC contrôlant la diffusion, « dans une logique protectionniste face aux ondes américaines envahissantes », rappelle le professeur. Mais tout a changé subitement avec la venue de gros joueurs passant outre ces règlementations. Désormais, les usagers ont un accès illimité à du contenu de qualité produit aux quatre coins du monde.
Les médias francophones doivent en plus faire face au défi de la découvrabilité, se retrouvant noyés dans l’océan de contenus inondant la toile. Cette situation entraîne un effacement des francophones sur la scène médiatique, relève Sylvain Lafrance. La représentativité de ceux en milieu minoritaire est d’autant plus amoindrie.
Soutenir le secteur
En outre, les structures publiques de financement font défaut. « Très souvent, les ministres disent qu’il faut accepter de changer, que le monde devienne numérique. Mais les lois, les règlementations, les financements publics ne changent pas », soulève l’intervenant. En fait, les revenus publicitaires sont en chute libre, surtout ceux issus du fédéral. Le Rapport annuel sur les activités de publicité du gouvernement fédéral du Canada de 2017 à 2018 indiquait en février dernier une baisse de 85 % des publicités fédérales pour les radios et journaux francophones en milieu minoritaire. Ainsi les journaux ont reçu un maigre 19 000 dollars en 2017-2018 contre plus de 180 000 l’année précédente.
Chaque année, plusieurs journaux et radios ferment au pays. En novembre 2017, 36 journaux ont mis la clef sous la porte au Canada anglais. En banqueroute, le Groupe Capitales Médias a été sauvé in extremis par le gouvernement du Québec et cherche aujourd’hui repreneur. Plus largement, selon un rapport du Forum des politiques publiques publié en septembre 2018, le nombre d’articles d’information locale aurait chuté de 50 % depuis 10 ans au Canada.
Quels remèdes ?
Les données ont de quoi inquiéter quand on sait que les médias « jouent un rôle de surveillance sur nos institutions », comme le précise Linda Lauzon, directrice de l’Association de la presse francophone, participante à la table ronde sur le pouvoir des médias dans la francophonie canadienne. « Les pouvoirs en place observent ce qui se dit dans les médias, surtout quand on parle de revendications, de droits, d’accès aux financements », renchérit Omayra Issa, journaliste à Radio-Canada en Saskatchewan.
Pour pallier la crise, Sylvain Lafrance aimerait voir en premier lieu les citoyens mettre la main à la poche. « Les citoyens doivent accepter que l’information n’est pas gratuite et s’impliquer. La gratuité entraîne une déresponsabilisation du citoyen face aux grands enjeux démocratiques et culturels », estime-t-il.
D’un autre côté, le président de TV5 Numérique reconnaît que les médias eux-mêmes doivent changer leur façon de faire. « Il ne faut pas confondre vitesse et précipitation », avise-t-il à destination des médias adeptes de l’information en continu. Si une crise de confiance frappe le milieu médiatique, celui-ci devrait travailler sur sa crédibilité, recommande le professionnel, suggérant même la création d’un tribunal de la presse pour s’assurer du respect des normes et obligations journalistiques.
Besoin de ressources
Par ailleurs, Sylvain Lafrance attend beaucoup des autorités publiques : taxation des GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon), réformes des lois des droits d’auteur, de radiodiffusion et des langues officielles, entre autres. « Les gouvernements doivent aider à créer un environnement de financement durable », prescrit-il.
En marge du colloque, un atelier de formation en journalisme citoyen intitulé SOS Médias ! a été donné à une quinzaine de participants. Initiative de la Société acadienne de Clare, l’atelier visait à outiller des membres de communautés francophones en situation minoritaire désireux de réaliser des reportages. Ces citoyens pourraient ainsi participer eux-mêmes à la vie médiatique de leur région : « Il y a plein de choses qui se passent dans nos régions, mais il n’y a pas assez de journalistes », justifie Natalie Robichaud, directrice générale de la Société acadienne. Le formateur Simon Thibault, journaliste et auteur, a ainsi enseigné les bases d’un bon reportage aux apprentis pigistes. Ces derniers ont produit des textes et capsules radio couvrant les trois jours de colloque, publiés dans Le Courrier de la Nouvelle-Écosse. Le journalisme citoyen offrirait-il donc une voie d’avenir pour les petits médias en manque de personnel ?