Il coulait des rivières de sang. Elle avançait vers la rivière écarlate, les bras le long du corps, lorsqu’elle sentit la pluie tomber. La pluie comme la rivière avait quelque chose d’inquiétant, elle regarda ses mains attentivement et ce n’était pas de l’eau qui tombait du ciel, mais bel et bien du sang.
Sylvia se redressa de son lit en sueur, le souffle court. C’était la troisième fois en une semaine qu’elle faisait ce rêve. Reprenant peu à peu ses esprits, dans l’obscurité, elle se glissa hors du lit. Elle saisit un verre dans la cuisine sans allumer d’ampoule puis se servit de quoi boire dans la lumière blafarde du réfrigérateur. Rafraîchie elle revint dans la chambre pour faire le point.
Tu as encore fait un mauvais rêve.
Le réveil parlant, sur la table de chevet, indiquait 5:00. Elle n’avait plus fait de rêve aussi violent depuis son enfance. Sylvia tâtonna les draps et s’assura que le tazer dissimulé sous son coussin était bien à sa place. Une vibration provenait de la penderie, elle fouilla dans les poches de son manteau et en ressortit son cellulaire.
La voix au bout du fil ne faisait aucun doute.
– Andrew ?
– Bonjour lieutenant.
Le lieutenant Sylvia Cortes était responsable des affaires de la criminelle. Un appel aussi matinal ne pouvait signifier que deux choses, un homicide ou un suicide.
– La police scientifique est déjà sur place… Ils ont trouvé un autre corps.
– Quand peux-tu être ici ?
– D’ici vingt minutes, j’ai anticipé, je suis sur la voie rapide.
– Où va-t-on ?
– Une pépinière agricole, à Shenondoah.
Sylvia estima le temps pour s’y rendre à une quarantaine de minutes. Elle profita de la fraîcheur d’une douche avant d’avaler une tartine beurrée et de rassembler ses affaires. De mémoire elle n’avait plus eu d’enquête dans la vallée depuis les frères Colson, des incendiaires notoires. La vallée de Shenondoah était une région rurale d’ordinaire calme.
Le comté sommeillait encore lorsque la Volvo d’Andrew se gara devant la maison du lieutenant Cortes. Le jeune photographe de scènes de crime à tout juste vingt-trois ans venait de décrocher son premier contrat à la VSP, la police américaine de l’État de Virginie. Andrew, la démarche mal assurée, laissa les clés sur le contact et aida Sylvia à franchir le seuil de sa porte. Tout deux entrèrent dans le véhicule, et Sylvia installée sur le siège passager posa sa canne sur ses jambes.
Le lieutenant Cortes était aveugle.
La Volvo 240 filait sur l’asphalte.
Andrew s’engagea dans un chemin de terre et accéléra à la sortie de Mildred street. Les arbres profilaient leurs ombres difformes sur la Volvo. Ils s’enfoncèrent dans le sous-bois, la pépinière n’était plus très loin. Sur leur droite entre les feuillages apparaissaient les premières lueurs de l’aube. Andrew apercevait au loin un barrage de police, il ralentit à l’approche d’un officier. L’homme de la cinquantaine les deux pouces calés dans sa ceinture se pencha sur la vitre, côté conducteur.
– C’est une enquête policière petit. Interdis de passer…
– Laisse le gamin, il est avec moi Ronald, intervint Sylvia qui avait reconnu la voix de l’officier.
– Lieutenant Cortes ! Je ne vous avais pas reconnu avec ce manque de lumière… veuillez m’excuser.
– Bon tu nous laisses passer ou je dois dire a Mercy que tu fais des misères à une pauvre aveugle ? demanda Sylvia sur le ton de la plaisanterie, parlant de la femme de Ronald.
– Oh sûrement pas, Mercy me tuerait !
– Et comment va-t-elle ?
– Oh des problèmes de dos, vous savez avec l’âge, on doit voir le médecin mercredi.
– Envoie-lui le bonjour de ma part, veux-tu ? Et dis-lui que son gâteau de crabe est un régal.
– J’y manquerais pas lieutenant.
L’officier se décala pour laisser passer la Volvo.
– Vieux comique à la con…murmura entre ses dents Andrew, resté silencieux jusqu’alors.
Comme la plupart des policiers de la criminelle, Ronald Townsend ne manquait pas une occasion de bizuter le petit nouveau.
La voiture se gara sur le bas-côté et Andrew lut distinctement la pancarte d’entrée de la pépinière.
Delano Farm.
Des fleurs annuelles et des serres s’étendaient à perte de vue.
« C’est par ici. »
Le propriétaire de la pépinière conduisit Sylvia et Andrew à l’arrière de la propriété, dans la pommeraie. Ils passèrent au milieu d’une rangée de pommiers et s’arrêtèrent au pied d’un arbre fleuri. Andrew qui avait pris son appareil professionnel dans la voiture n’eut la force d’en retirer le cache pour photographier la chose abjecte qu’il vit.
« Nous l’avons trouvée comme ça. » Affirma le propriétaire la voix empreinte d’empathie et de désolation.
Le corps sans vie d’une fille nue reposait sur l’herbe. Ses longs cheveux blonds mêlés de terre et de sang contrastaient avec la blancheur du corps.
« Décris-moi ce que tu vois, Andrew. »
Sylvia venait de s’adresser au jeune photographe. Andrew, révulsé, le visage perlant de sueur se fit violence pour décrire au lieutenant la scène avec exactitude.
Ne tenant plus le jeune homme partit se réfugier derrière un arbre et y vomit.
Le propriétaire se sentit gêné.
« Il est nouveau. » souffla Sylvia qui ne pouvait le voir, mais entendait les changements de sa respiration.
– Lieutenant Cortes ?
Ils furent interrompus par un nouveau venu, une nouvelle voix.
– Oui, et vous êtes ?
– Officier Koppelaar, du FBI.
L’officier s’était fait indiquer par les hommes de la VSP où trouver le lieutenant Cortes.
Sylvia qui ne connaissait que trop bien le jeu l’interrompit, le sourire sarcastique.
– Épargnez-vous les longs discours, laissez-moi deviner, vous nous retirez l’enquête, elle appartient désormais au FBI.
– Pas exactement, dit Koppelaar à Sylvia, surprise de sa réponse, je désire travailler avec vous.