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Identité ethnique et linguistique au Festival international du film d’Edmonton

«Regarde-les avant qu'ils soient grands», encourage Sydney Moule, directrice générale du Festival international du film d’Edmonton (EIFF) en évoquant les œuvres qui y sont présentées. Rosie, le film d’ouverture, en est un bel exemple. Ce long métrage nous invite, sur grand écran, dans un monde encore méconnu, celui de la rafle des années 1960, des enjeux autochtones et de l’identité ethnique et linguistique.
Identité ethnique et linguistique au Festival international du film d’Edmonton
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Entre le 22 septembre et le 1er octobre dernier, la 36e édition du EIFF a présenté 42 longs métrages et 78 courts métrages. Connu auparavant sous le nom Local Heroes Film Festival, le festival a pris de l’importance sur la scène nationale et internationale. Rebaptisé Edmonton International Film Festival en 2003, il est aujourd’hui reconnu et permet aux courts métrages de se qualifier aux Oscars dans les catégories «animation» et «prise de vues réelles».

«Au cours des cinq dernières années, nous avons cherché à obtenir l’accréditation Oscar», explique la directrice générale. Le processus prend un certain temps, «on doit prouver que nous avons des courts métrages intéressants que l’Académie ne voit pas tout le temps et qui représentent des réalisateurs du monde entier».

Mélanie Bray et Gail Maurice lors de la session de questions après la projection du film d'ouverture du festival. Crédit : Vienna Doell

Mélanie Bray et Gail Maurice lors de la session de questions après la projection du film d’ouverture du festival. Crédit : Vienna Doell

En dehors des normes relatives aux Oscars, la nouvelle directrice générale revendique ses choix pour la programmation. En effet, les membres du festival ne choisissent pas les films en compétition en fonction de critères particuliers. «Nous ne voulons pas choisir des films justes parce qu’ils correspondent à un quota», explique Sydney Moule.

«Nous sommes toujours à la recherche de films qui n’ont pas été projetés à Edmonton, c’est à peu près notre seule exigence.» Elle ajoute que le festival «veut faire entendre de nouvelles voix à notre public». D’ailleurs, des réalisateurs du monde entier sont présents aux projections, «tu ne sais jamais avec qui tu t’assois au EIFF», dit Sydney avec humour.

Et entendre de nouvelles voix ne semble pas être un combat. Pour l’ouverture du festival, le public a pu visionner Rosie. Un long métrage où les langues ont une place importante puisque les acteurs s’expriment en français, en anglais et en cri. Un film intense sur l’amour, la famille et le monde des marginaux.

Un hommage à ces enfants volés

En discutant avec la réalisatrice et scénariste métisse Gail Maurice et avec l’actrice principale et coproductrice Mélanie Bray, il est clair que ce film vient du cœur et est inspiré d’expériences personnelles. Rosie prend place dans les années 1980 et aborde des sujets difficiles, comme la rafle des années 1960 (Sixties Scoop), l’identité autochtone et les enjeux 2SLGBTQ+, avec humour.

(De gauche à droite) Mélanie Bray et Gail Maurice, respectivement actrice principale et réalisatrice du film Rosie. Crédit : Vienna Doell

(De gauche à droite) Mélanie Bray et Gail Maurice, respectivement actrice principale et réalisatrice du film Rosie. Crédit : Vienna Doell

«C’est vraiment personnel pour moi parce que j’ai deux frères et sœurs qui ont été enlevés à ma mère à la naissance», raconte Gail avec une grande émotion. «Donc, je voulais faire un film qui rende hommage à ces enfants volés.»

Provenant de Beauval, une petite communauté autochtone au nord de la Saskatchewan, la réalisatrice «ne savait pas que des films étaient tournés au Canada». Elle a «grandi sans télévision». Faute de petit écran, «on n’avait que Radio-Canada à écouter.»

«C’est vraiment personnel pour moi parce que j’ai deux frères et sœurs qui ont été enlevés à ma mère à la naissance.» Gail Maurice

Choquée de réaliser l’existence d’équipes de tournage dans les rues de Vancouver dans les années 1990, Gail s’est promis qu’elle «voulait faire du cinéma».

Devenue actrice, Gail ne s’est jamais vue représentée en tant que femme autochtone dans les films pour lesquels elle passait des auditions. En raison de cette sous-représentation, Gail «a commencé à écrire mes propres projets et à les réaliser». Le premier long métrage de Gail raconte sa propre expérience en tant que femme autochtone et homosexuelle. Des tranches de vie qu’elle n’a jamais pu interpréter elle-même puisqu’inexistantes dans le registre cinématographique canadien.

L’amour : transcende toutes les langues

Le film s’articule autour de Rosie (jouée par Keris Hope Hill), une jeune fille autochtone âgée de six ans qui se débat avec la perte de sa mère et son acceptation d’un nouvel environnement non autochtone. Loin de ses racines.

«Le point de vue de Rosie est mon point de vue parce que lorsque j’ai déménagé à Saskatoon […], j’étais entourée de tous ces visages blancs que je n’avais jamais vus auparavant dans mon village, qui parlaient différemment de moi», décrit Gail Maurice.

Affiche du film Rosie avec les acteurs (de droite à gauche) Bernard Constant, Alex Trahan, Keris Hope Hill et Mélanie Bray. Crédit : Vienna Doell

Affiche du film Rosie avec les acteurs (de droite à gauche) Bernard Constant, Alex Trahan, Keris Hope Hill et Mélanie Bray. Crédit : Vienna Doell

Rosie, qui ne parle pas français, est placée chez sa tante Frédérique, une francophone (jouée par Mélanie Bray). Et comme son personnage Rosie, sa créatrice ne parle ni n’écrit la langue française. Sa partenaire Mélanie Bray, actrice principale et coproductrice, est, quant à elle, bilingue. «J’ai grandi à Montréal […] avec une maman francophone et un papa anglophone.»

Mélanie et Gail ont d’abord travaillé sur une version courte de Rosie (2017- 2018) pour finalement décider d’en faire un long métrage. C’est «un peu par accident» qu’elles ont travaillé ensemble sur ce premier long métrage, s’amuse Mélanie. Elle «allait juste l’aider un peu», mais finalement «Gail est une scénariste vraiment incroyable, donc c’est très facile d’adopter sa vision».

«Gail est une scénariste vraiment incroyable, donc c’est très facile d’adopter sa vision.» Mélanie Bray

En dehors de son jeu d’actrice et de coproductrice du film, Mélanie a joué un autre rôle très important pour le film. En effet, elle s’est assuré que les dialogues, la narration et la trame de l’œuvre étaient traduits de manière à préserver «le sens et l’essence» de l’histoire, tout en assurant une compréhension complète du public. Même les subtilités anglophones ont été soigneusement choisies afin de transcender l’essence de la parole québécoise prononcée par les acteurs.

Même sans parler français, Gail n’a pas eu de difficulté à être une réalisatrice anglophone et michif sur une scène francophone. «Nous avons arrêté la production pendant un an à cause de la COVID […], donc j’ai pu passer un an avec le script», explique-t-elle. À connaître le script sur le bout des doigts, elle n’a eu aucune difficulté à aller chercher les émotions désirées lors du tournage.

Alors que le film a été écrit et diffusé en plusieurs langues, Gail et Mélanie insistent sur «l’amour, la gentillesse et la famille choisie, ça transcende toutes ces choses», peu importe la langue. Et si ce film a été très bien accueilli par les nombreux festivaliers, Georgina Lightning, présente à la projection, en est ressortie émue. «C’est une histoire incroyablement bien écrite» et même si Rosie évoque «des sujets très lourds, mais ce n’est pas un film à sensation, c’est tellement organique et authentique».

Êtes-vous un amateur de courts métrages?

Au EIFF, certains courts métrages ont été diffusés en série à l’heure du lunch afin que les gens puissent participer au festival pendant leur semaine de travail. De plus, des séries de courts métrages un peu plus longs ont été projetées les weekends. Les thèmes abordés dans ces séries ont pu susciter de nombreuses émotions.Le samedi 24 septembre, le SHORT STOP 2.0 a présenté des films sur le thème de l’environnement. Il y avait des courts métrages animés comme Manō qui traite de questions relatives à la pollution de l’eau et aux pratiques de pêche ayant des impacts considérables sur les requins et le corail.Le court métrage Big Water Summer: A Creation Story est, quant à lui, un documentaire consacré à l’histoire de Cherilyn Yazzie, une agricultrice et cheffe d’entreprise navajo. L’histoire de Cherilyn Yazzie, qui a dû faire face à la sécheresse, aux défis de l’alimentation dans sa communauté et à la perte de ses proches, a fait rire, pleurer et réfléchir sur le monde qui nous entoure.

Au Canada, la rafle des années 1960 correspond à une politique gouvernementale responsable de l’enlèvement de milliers d’enfants autochtones à leurs familles (plus de 20 000) afin de les rendre disponibles à l’adoption par des familles de type caucasien, partout au pays. Une rafle qui a duré une vingtaine d’années, entre 1960 et 1980. En octobre 2017, le gouvernement du Canada a manifesté son désir de dédommager les victimes de cette rafle.