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le Dimanche 13 novembre 2022 9:00 Fédéral

Immigration : comment faire communauté?

Entre volonté d’intégrer et impératifs économiques, les communautés en situation minoritaire tentent de se renouveler à travers l’immigration pour construire la francophonie de demain. Mais les moyens pour y parvenir diffèrent. C’est pour cette raison que la Semaine nationale de l’immigration francophone de cette année est soulignée sous les thèmes des traditions et de l’avenir.
Immigration : comment faire communauté?
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Pour Leyla Sall, professeur agrégé de sociologie à l’Université de Moncton, les communautés francophones en situation minoritaire ont adopté le multiculturalisme comme politique d’intégration : «On demande aux immigrants de préserver leurs traditions pourvu qu’elles n’entrent pas en contradiction avec la Charte canadienne des droits et libertés et qu’elles ne violent pas les libertés d’autrui.»

Cependant, l’universitaire se montre très mesuré quant à la réussite de cette politique.

«Comme la plupart des communautés francophones sont de tradition judéo-chrétienne, les populations qui viennent d’Europe sont plus valorisées et ont une intégration plus facile que les immigrants qui arrivent de pays en voie de développement ou qui appartiennent à des minorités visibles», affirme-t-il.

Il ajoute qu’«il y a une hiérarchie informelle dans l’accueil et l’intégration des immigrants […] Les personnes blanches de tradition judéo-chrétienne sont plus valorisées.»

«Il y a une hiérarchie informelle dans l’accueil et l’intégration des immigrants […] Les personnes blanches de tradition judéo-chrétienne sont plus valorisées.» Leyla Sall

Attention à la folklorisation

Selon Leyla Sall, une meilleure intégration des immigrants passe par le renforcement des politiques d’équité déjà existantes en matière d’emploi.

«Il faut mettre en place des mesures positives. L’intégration ne va pas se faire par le respect de telle ou telle tradition. Elle va se faire par l’obtention d’un emploi. En tant que minorités, les communautés francophones ne peuvent pas tout offrir aux immigrants, mais elles maitrisent certains secteurs du marché du travail, comme l’éducation ou la santé», explique le professeur.

Celui-ci met également en garde contre une «folklorisation» de l’accueil des immigrants. «Parfois, les gens pensent à l’organisation d’évènements où on chante, on danse. D’accord, mais les immigrants ne sont pas venus pour cela; ils veulent du travail», déclare-t-il, pragmatique.

Pragmatisme par opposition à approche communautaire

Or, pour Linda Cardinal, l’immigration est trop souvent envisagée sous un angle économique.

«On ne peut pas dire qu’il faut juste combler le manque de main-d’œuvre. Dans une société, on ne fait pas que travailler. On vit, on a des interactions les uns les autres, nuance la vice-rectrice adjointe à la recherche et professeure rattachée au pôle en pluralité humaine à l’Université de l’Ontario français (UOF). On a besoin d’une vision de l’immigration qui n’est pas seulement utilitaire, mais aussi humaniste, qui s’insère dans un projet social ou économique.»

«On ne peut pas dire qu’il faut juste combler le manque de main-d’œuvre. Dans une société, on ne fait pas que travailler. On vit, on a des interactions les uns les autres, nuance la vice-rectrice adjointe à la recherche et professeure rattachée au pôle en pluralité humaine à l’Université de l’Ontario français.» Linda Cardinal

Cette vision est négligée selon elle dans le discours public, mais elle reste au cœur de la politique d’accueil en situation minoritaire. «Le rapport de la francophonie canadienne à l’immigration est un rapport communautaire, observe Linda Cardinal. On accueille des gens pour travailler, mais aussi pour vivre dans une communauté.»

Renouveler la francophonie

La Semaine nationale de l’immigration francophone doit aussi servir à discuter de «l’avenir» de la communauté francophone en situation minoritaire. Autrement dit, il faut voir «comment ces histoires interagissent entre elles pour construire une culture francophone totalement renouvelée», résume Linda Cardinal.

Affiche de la 10e édition de la Semaine nationale de l’immigration francophone. Crédit : FCFA

Affiche de la 10e édition de la Semaine nationale de l’immigration francophone. Crédit : FCFA

Selon elle, on ne peut plus parler de communauté francophone traditionnelle.

«On a toujours l’impression qu’on parle d’un bloc homogène qui se diversifie, mais on oublie qu’elle est le résultat de tricotages et de détricotages. Aujourd’hui, les communautés francophones se renouvellent à leur tour en incorporant d’autres traditions. La communauté francophone de demain sera métissée par toutes ces interactions», souligne la professeure.

La tapisserie reste donc inachevée.

La Semaine nationale de l’immigration fête ses 10 ans

Lors du lancement officiel de la Semaine nationale de l’immigration francophone, le ministre d’Immigration, Citoyenneté et Réfugiés Canada (IRCC), Sean Fraser, a rappelé l’importance de l’immigration francophone à l’extérieur du Québec pour le gouvernement. Selon lui, le Canada est sur la bonne voie pour atteindre 4,4 % d’immigration francophone.
Plus de 200 activités sont prévues partout au pays dans le cadre de l’évènement.

Parmi les activités proposées pendant la Semaine nationale de l’immigration francophone, le Collège nordique francophone de Yellowknife organise une initiation à la langue tłı̨chǫ*.

Une telle initiative est la bienvenue, souligne la chercheuse Linda Cardinal. «Les migrants qui arrivent doivent aussi être sensibilisés aux peuples autochtones. Cela fait partie de la réconciliation. On ne peut pas faire comme si cela n’existait pas.»
* La langue tłı̨chǫ est parlée par environ 2600 personnes aux Territoires du Nord-Ouest.