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le Jeudi 1 avril 2021 0:28 Justice PR

La justice en français progresse en Alberta

La justice en français progresse en Alberta
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C’est une première en Alberta. Ce vendredi 22 janvier, les juges de la Cour du Banc de la Reine et les membres du barreau ont été invités à une assemblée pour présenter les améliorations d’accès à la justice en français. Depuis trois ans, sous l’impulsion de Mary Moreau, nommée juge en chef en 2017, de nombreux progrès ont été réalisés à ce chapitre dans la province.

 

« Il y a un aspect historique. C’était encourageant » réagit Justin Kingston, président de l’Association des Juristes francophones de l’Alberta (AJEFA). « Il y a certainement du progrès qui se fait comparativement à il y a 5 ou 10 ans », ajoute celui qui a assisté à l’assemblée vendredi midi. 

 

La juge en chef Mary Moreau en poste depuis 2017 fait progresser le français à la Cour du Banc de la Reine. Crédit : courtoisie, Cour du Banc de la Reine

 

Plus de 70 juges et avocats étaient présents à cette assemblée à huis clos qui se tiendra désormais chaque année. « Ça démontre qu’il y a un intérêt à pouvoir pratiquer en français devant les tribunaux ou même de donner l’accès à nos clients à la justice en français », dit Kim Arial, avocate francophone en droit criminel, elle aussi présente à la rencontre. Car oui, « c’est une chose d’avoir un droit, et c’en est une autre d’avoir accès à un droit », ajoute-t-elle. 

 

 

Des avancées notables

 

« L’article 530 du Code criminel indique que tout accusé a le droit d’obtenir un procès dans sa langue, qu’elle soit l’anglais ou le français. Cet article possède un sous-alinéa qui dit aussi que le tribunal doit informer l’accusé de ce droit ». C’est précisément sur ce point que certaines incohérences existent. 

 

En atteste l’affaire Vaillancourt, de 2019. Originaire du Québec, Vincent Vaillancourt était accusé de plusieurs chefs d’accusation. Il n’avait été informé de la possibilité d’un procès en français qu’après un an de procédure et les conseils de quatre avocats différents. La Cour du Banc de la Reine avait alors mis plus d’un an à organiser un nouveau procès. Le délai raisonnable avant un procès avait été dépassé et l’homme fût acquitté. 

 

C’est notamment pour éviter ce genre de dysfonctionnements que la Cour a pris des mesures. « C’est l’une des principales causes », commente Gérard Lévesque, qui ne néglige pas pour autant l’influence de Mary Moreau, francophone nommée juge en chef de la province en 2017.

 

Julie Laliberte, conseillère juridique de la Cour du Banc de la Reine et conseillère pour le français et les services d’interprétation. Crédit photo : Courtoisie Cour du Banc de la Reine

 

Peu après son entrée en poste, la Cour du Banc de la Reine a créé un Comité directeur sur l’emploi du français et des services d’interprète, puis a rendu disponibles plusieurs informations en français sur son site internet. D’autres mesures s’en sont suivies.

 

Selon Justin Kingston, la juge en chef a dit pendant l’assemblée que les mesures prises ont fait augmenter le nombre de procès en français dans la province. Mary Moreau affirme que 12 procès en français ont eu lieu en 2020 (8 juges sont capables de tenir des procès en français à la Cour du Banc de la Reine).

 

 

Jurisprudences défaillantes

 

« C’est une bouffée d’air frais, ça fait une grande différence par rapport à ce qui était fait avant », indique Gérard Lévesque, avocat qui a passé de nombreuses années à tenter de rendre la justice égalitaire pour les francophones de la province. Des exemples de défaillances, il dit en avoir constaté de nombreuses tout au long de sa carrière. 

 

Il se rappelle notamment d’une affaire datant de 2011. À l’époque, son client habite Red Deer, mais est accusé à Calgary. « Il devait signer un formulaire de désignation d’un avocat prévue par le Code criminel (art. 650.01) afin que je puisse le représenter pour de courtes rencontres de quelques minutes seulement ». Gérard demande le formulaire en français au comptoir de la Cour. « Ils m’ont dit non, on n’a pas ça ici ». Son client et lui ont dû renoncer, « à contrecœur, à notre droit à une version française ou bilingue du formulaire ». Dans la même affaire, lorsque Gérard Lévesque a indiqué au juge que son client souhaitait un procès en français, la Couronne a informé le juge qu’elle retirait l’accusation… 

 

Depuis le mois de décembre, la juge Loparco préside le Comité sur l’emploi du français et services d’interprètes. Crédit: Courtoisie Cour du Banc de la Reine

 

Maître Lévesque est du genre tenace. Pour éviter que cette situation se reproduise, il a communiqué avec le ministère : « Pour leur dire que cette attitude de ne pas reconnaître le français doit changer ». Le ministère lui a confirmé que les formulaires gratuits en français ne sont pas disponibles. « Faites vous-même la formule si vous tenez à l’avoir en français », lui aurait-on répondu. 

 

L’avocat se prend au jeu, produit son propre formulaire en français. Alors qu’il se présente au tribunal de Fort McMurray pour une nouvelle affaire, « au comptoir, ils m’ont dit : “on n’a jamais vu cette formule-là. D’où vient-elle ? Non, on n’accepte pas” », affirme Gérard. Ce dernier a dû multiplier les démarches administratives pour que son formulaire en français soit accepté. « Ça montre que le ministère, les hauts fonctionnaires n’étaient pas du tout intéressés aux services en français et à les promouvoir ».

 

 

Des défis à relever

 

Aujourd’hui, ce formulaire gratuit en français est bien disponible. Il fait partie des mesures mises en place ces deux dernières années. Cependant, d’autres défis attendent encore les juristes albertains pour faire avancer la justice en français. Prochainement, l’instauration d’une nouvelle loi sur les divorces permettra des procédures en français, ce qui est toujours impossible en Alberta à ce jour.

 

Pour Justin Kingston, président de l’AJEFA, le plus important réside dans la sensibilisation des avocats et des juges anglophones aux droits linguistiques. Pour répondre à ce besoin, la Cour du Banc de la Reine offre présentement des formations en français à 38 juges.

 

Des mesures concrètes

Peu après l’entrée en fonction de la juge en chef, un Comité sur l’emploi du français et services d’interprètes a été créé. Ce comité a pour rôle de conseiller le Comité exécutif de la Cour du Banc de la Reine sur des questions touchant les droits linguistiques. 

Le 1er juin 2018, une nouvelle procédure a été établie afin d’assurer que tout accusé soit systématiquement informé des droits. Cette procédure prévoit notamment des avis écrits et affichés, des questions posées oralement lors des procédures et un enregistrement sonore bilingue qui annonce le droit à un procès en français.

La formule (CC2) a été modifiée pour inclure la mention : « Je comprends que je peux faire une demande d’un procès en anglais ou en français, ou d’un procès bilingue. »

Dans ce contexte du coronavirus, les ordonnances directrices de la Cour ont été émises par la Cour du Banc de la Reine dans les deux langues officielles. Du contenu web en français a été ajouté sur le site de la Cour qui dit travailler présentement sur plusieurs autres idées de contenu web en français. 

La Cour a récemment adopté une politique et des protocoles associés pour gérer les questions reliées à l’emploi du français dans les procédures. Ce projet pilote d’un an a pour objectif de simplifier les procédures en français et bilingues. Un avocat bilingue interne sera responsable de la coordination et de la mise en œuvre des mesures adoptées. Une partie importante de ce projet est l’introduction d’un nouvel avis pour les demandes d’audience en français.