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Des leaders de la francophonie ne garderont pas un bon souvenir de l’ère Kenney

Si l’électorat francophone avait été séduit lors de la campagne électorale du premier ministre démissionnaire de l'Alberta, Jason Kenney, celui-ci est très vite tombé en désamour. À l’heure du bilan, des acteurs de la francophonie albertaine partagent leur déception.
Des leaders de la francophonie ne garderont pas un bon souvenir de l’ère Kenney
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L’ère Jason Kenney à la tête de l’Alberta tire à sa fin. Le premier ministre a démissionné juste après avoir obtenu 51,4 % des voix des membres de son parti lors d’un vote de confiance. La décision du caucus de le maintenir en poste en attendant de désigner son successeur ne semble pas changer grand-chose à la donne puisque, pour les francophones de la province, l’heure est déjà au bilan. Certains évoquent un bilan mitigé, alors que d’autres parlent d’un legs peu reluisant.

Sheila Risbud, la présidente de l’Association canadienne-française de l’Alberta (ACFA), fait partie de ces leaders de la francophonie qui garderont un souvenir amer du mandat de Jason Kenney. Elle dénonce ces espoirs vains que le premier ministre démissionnaire a nourris après son élection en avril 2019.

«Au début, on avait des aspirations de pouvoir travailler avec lui comme il parlait français. On voyait en lui un allié. Au final, on n’avait pas percé avec lui», regrette-t-elle.

Sheila Risbud, présidente de l'Association canadienne-française de l'Alberta (ACFA). Crédit Courtoisie

Sheila Risbud, présidente de l’Association canadienne-française de l’Alberta (ACFA). Crédit Courtoisie

Elle rappelle que l’ACFA a toujours eu des rencontres avec les précédents premiers ministres de la province, mais jamais avec Jason Kenney. «Nous avons rencontré quelques-uns de ses ministres, mais pas lui. Sa porte nous était fermée malgré les nombreuses demandes d’audience», note Sheila Risbud.

En conséquence, l’ACFA a dû envisager, en dernier recours, l’option judiciaire dans le dossier du Campus Saint-Jean. La présidente affirme pourtant avoir longtemps privilégié la «solution politique». «On a trouvé que la province était très fermée aux solutions», estime-t-elle.

Ainsi, Sheila Risbud considère qu’avec Jason Kenney, la communauté francophone «n’a pas enregistré d’avancées dans l’enseignement postsecondaire». Elle mentionne même une «grande déception chez la communauté» avec, notamment, le très controversé curriculum initialement rejeté par les écoles francophones.

Cependant, la présidente de l’ACFA ne nie pas le fait qu’il y ait eu des avancées dans certains dossiers économiques. Elle cite aussi, à titre d’exemple, la santé, l’immigration francophone et l’accès à la justice en français. «Il y a eu certaines ouvertures, mais globalement on s’attendait à mieux. Je retiendrai un bilan très mitigé», conclut-elle.

«Il y a eu certaines ouvertures, mais globalement on s’attendait à mieux. Je retiendrai un bilan très mitigé.» Sheila Risbud

Ce qui n’est pas tout à fait le cas chez Françoise Sigur-Cloutier, membre de l’Ordre des francophones d’Amérique et militante avec plusieurs organismes francophones.

«Je savais qu’il n’allait pas tenir ses promesses»

Cette grande figure de la francophonie, qui préfère plutôt se présenter comme une «citoyenne engagée», ne retient «absolument rien de bon» de l’ère Kenney.

S’agissant d’abord du personnage lui-même, il représente pour elle «tout ce qu’elle n’aime pas chez le politicien typique». Elle affiche d’ailleurs une certaine satisfaction de savoir qu’elle ne s’est pas «laissée berner» par son discours de campagne.

Françoise Sigur-Cloutier, membre de l'Ordre des francophones d'Amérique et militante dans plusieurs organisations francophones. Crédit Courtoisie.

Françoise Sigur-Cloutier, membre de l’Ordre des francophones d’Amérique et militante dans plusieurs organisations francophones. Crédit Courtoisie.

«Je voyais ses mensonges. Je savais qu’il n’allait pas tenir ses promesses envers la communauté francophone. Peut-être que j’avais un troisième œil», dit-elle avec un rire franc.

Françoise Sigur-Cloutier considère d’ailleurs que «démissionner, c’était la meilleure chose à faire» dans son cas. «Il a peut-être des gens qui l’ont bien conseillé. C’est la position la plus honorable qu’il pouvait prendre», lance-t-elle avec un brin de sarcasme.

«C’est la position la plus honorable qu’il pouvait prendre.» Françoise Sigur-Cloutier

La liste des griefs que l’infatigable militante pour la francophonie reproche à Jason Kenney semble inépuisable. Elle cite, entre autres, les coupes budgétaires dans les secteurs de l’éducation et de l’enseignement postsecondaire, ainsi que le blocage de la subvention du fédéral destinée aux garderies.

Mais le pire souvenir qu’elle dit garder du premier ministre sortant, c’est de le voir «prêt à dépenser plus d’argent en cour, alors qu’il pouvait faire un geste assez pragmatique envers le Campus Saint-Jean».

Sur ce chapitre, Valérie Lapointe-Gagnon, professeure agrégée en histoire et droits linguistiques au Campus Saint-Jean, estime aussi que le «1,5 million de dollars que le premier ministre a mis dans une firme d’avocats aurait pu sauver plusieurs cours au Campus».

«On a reculé»

Valérie Lapointe-Gagnon, qui est également vice-présidente de l’Acfas-Alberta, souligne que «mis à part le fait que Jason Kenney parle lui-même français, il n’a rien fait pour l’épanouissement de la langue française en Alberta».

«Comme ses prédécesseurs, il ne s’est pas distingué. Son mandat a été plutôt marqué par une rigueur budgétaire et ce sont les francophones et les communautés minoritaires qui en ont souffert le plus», retient-elle.

«Comme ses prédécesseurs, il ne s’est pas distingué.» Valérie Lapoint-Gagnon

Ce pourquoi Léo Piquette, ancien député provincial et ex-président du Conseil scolaire Centre-Est, fait le parallèle, à son tour, avec les prédécesseurs de Jason Kenney.

«Il faut dire que depuis 1988, la relation était plus ou moins bonne avec les premiers ministres de l’Alberta. On a réalisé des choses dans le cadre scolaire. Mais avec Kenney, on a reculé», relève-t-il.

«On a réalisé des choses dans le cadre scolaire. Mais avec Kenney, on a reculé.» Léo Piquette

Pour Léo Piquette, l’ère Jason Kenney se résume surtout à «un manque de consultation avec la communauté francophone» et «la volonté d’écarter l’ACFA» des dossiers francophones de la province.

L’Acfas-Alberta fait la promotion de la recherche en français dans la province à travers diverses activités établies depuis des décennies. (Source : acfas.ca)