Ces pages sont les vôtres. Le Franco permet de prendre la parole pour exprimer des opinions. Benjamin Freeland, écrivain, professeur d’anglais et journaliste pigiste pour Le Franco, présente sa perspective pour redorer les langues autochtones au Canada.
En septembre 2019, le conseil municipal de la ville de Lethbridge a annoncé l’adoption du mot « Oki » comme salutation officielle. L’annonce, faite à l’occasion de la troisième Semaine annuelle de la réconciliation de la ville, est un premier pas vers la reconnaissance officielle de langues autochtones par une municipalité albertaine.
Cette consécration officielle de la salutation la plus commune de la langue siksika (pied-noir), bien que ça soit un geste admirable, n’est guère comparable aux efforts entrepris ailleurs au monde afin de préserver et promouvoir l’utilisation des langues autochtones en voie de disparition. En avril 2019 la ville d’Auckland en Nouvelle-Zélande a entamé la deuxième phase de la bilinguisation de son système de transport public en introduisant les annonces dans la langue maorie, une décision qui est la plus récente initiative de la part des gouvernements municipaux, régionaux, et fédéraux afin de revitaliser la langue véhiculaire de la Nouvelle-Zélande précoloniale.
En comparaison, le Canada a jusqu’ici fait très peu pour la cause de la revitalisation des langues autochtones. Hormis les exceptions notables du Nunavut et les Territoires du Nord-Ouest (qui compte onze langues officielles), aucune juridiction canadienne n’accorde un statut officiel à une langue précoloniale. Bien que la société canadienne, dont ses institutions publiques, a fait des pas admirables dans la direction de la réconciliation avec les Premières Nations au cours des dernières années, la conversation envers la situation critique des langues indigènes du Canada est plus lente à se développer.
Ceci dit, les revitalisations linguistiques autochtones sont des affaires bien plus compliquées au Canada que dans un pays tel que la Nouvelle-Zélande, où la langue maorie a bénéficié de statut officiel depuis 1987. Contrairement au peuple maori qui, avant la colonisation, était uni par une langue polynésienne commune, le Canada compte plus que 65 langues et dialectes autochtones, appartenant à douze familles de langues distinctes. De plus, les territoires traditionnels liés à ces langues se chevauchent souvent, ce qui présente un défi même pour les municipalités. Par exemple, Calgary se trouve sur le territoire traditionnel de trois peuples autochtones : les Pieds-noirs, les Tsuut’ina, et les Stoneys (Nakoda), chacun avec sa propre langue.
À lire aussi :
L’ACFA S’ORGANISE POUR PRÉSERVER L’HISTOIRE DE SAINT-PAUL
FRANCOTHON 2020 : L’ALBERTA FRANCOPHONE MÊME CONFINÉE RESTE GÉNÉREUSE
Edmonton pourrait être l’exemple
Edmonton n’est pas confrontée à de tels défis, et est peut-être la mieux placée parmi toutes les villes majeures au Canada pour s’engager dans la cause de la revitalisation linguistique. Contrairement à Calgary ou Vancouver, la ville connue par sa population autochtone comme Amiskwacîwâskahikan se trouve au beau milieu de territoire cri (nêhiyaw), ce qui ferait son choix de langue autochtone officielle tout à fait simple. De plus, la langue crie serait relativement facile à mettre en œuvre comme deuxième langue officielle municipale, étant la langue autochtone la plus répandue au Canada, avec presque 100 000 locuteurs qui s’étendent de l’Alberta au Labrador, ce qui en fait une langue véritablement canadienne.
La langue crie tient d’autres avantages comme candidate pour devenir une langue officielle. En contraste avec les complexités tonales des langues athapascanes telles que Dogrib et Chipewyan ou des agglomérations consonantes des langues salish de la côte ouest qui défient le concept même de syllabes, la phonétique du cri présente très peu de difficultés pour les locuteurs de langues européennes. De plus, la langue possède un système d’écriture qui est parmi les plus faciles à apprendre au monde. Un fait historique peu connu est que vers la fin du XIXe siècle, grâce à l’invention du syllabaire cri, la population criophone du Canada avait atteint un taux d’alphabétisation plus ou moins universel dans leur propre langue. Mais cette réalisation fut catégoriquement détruite par le système des pensionnats autochtones peu de temps après.
Des initiatives comme celle-ci ne transformeront pas Edmonton en une ville bilingue du jour au lendemain, mais elles contribueraient à instaurer une nouvelle relation avec la langue traditionnelle de la région. Une véritable revitalisation de la langue nécessitera l’adhésion de toute la société et ne peut pas dépendre uniquement d’initiatives fragmentaires d’organisations autochtones. L’exemple de la Nouvelle-Zélande est particulièrement utile. Depuis les années 1990, le gouvernement néo-zélandais a encouragé la propagation des écoles kura kaupapa māori (immersion maorie), non seulement pour les élèves d’origine polynésienne, mais aussi pour les pakeha (les Néo-zélandais d’origine européenne).
Certes, la population qui parle couramment le maori constitue toujours une minorité, mais l’adoption généralisée de la revitalisation linguistique dans ce pays a forcément transformé les relations entre sa population autochtone et la population colonisatrice.
La ville d’Edmonton pourrait adopter la langue crie comme langue cérémoniale. La ville de Lethbridge a fait un premier pas dans cette direction avec l’adoption du mot « oki » comme salutation officielle, un acte qui fait penser à l’ubiquité de la salutation « aloha » chez l’État d’Hawaii. La vraie réconciliation entre les communautés autochtones et colonisatrices du Canada nécessitera une véritable étreinte de l’héritage indigène du pays que nous partageons. Pourquoi ne pas commencer d’une façon locale, avec la langue crie ? D’ailleurs, ce serait une source de fierté municipale si Edmonton, une des villes les plus autochtones du Canada, prenait l’initiative là-dessus. Nous, les Edmontoniens, continuons à lutter pour trouver une identité commune dans un monde post-Gretzky et post-pic pétrolier. Cela pourrait être une réalité.
Quelques exemples
Où donc pourrait-on commencer à bilinguiser la ville d’Edmonton ? Pourquoi ne pas commencer avec le système de transport public, et plus spécifiquement les noms des stations du LRT, dont la plupart se traduisent facilement en cri ? Imaginez si chaque jour les milliers de banlieusards edmontoniens se trouvaient face aux noms de stations suivants :
• Bay/Enterprise Square : mâcipaýihcikêwin (entreprise)
• Belvedere : âsô-nakîw (en transit)
• Central : tâwihtak (place centrale)
• Century Park: mitâtahtomitanaw-askiy (siècle)
• Churchill : okimâwiw (grand chef)
• Clareview: kîwêtinohk (vers le nord)
• Coliseum : mâmawâyâwin (lieu de rassemblement)
• Corona : okimâwastotin (couronne, coiffe amérindienne)
• Grandin/Government Centre : kihcapiwin (siège du gouvernement)
• Health Sciences/Jubilee: miýomahcihowin (bonne santé, bien-être)
• Kingsway/Royal Alex : âhkosîwikamik (hôpital)
• MacEwan: kiskinwahamâtowin (apprentissage)
• McKernan/Belgravia : askihtakoskâw (verdure abondante)
• NAIT : nakacihtâwin (aptitudes, savoir-faire)
• South Campus/Fort Edmonton Park : amiskwaciy-wâskahikan (Fort Edmonton)
• Southgate: kîsapwênohk (vers le sud)
• Stadium: sôniskwâtahikêwikamik (arène)
• University: kihci-kiskinwahamâtowikamik (université)