Ces pages sont les vôtres. Le Franco permet à ses lecteurs de prendre la parole pour exprimer leurs opinions. Paul Dubé, ancien professeur au Campus Saint-Jean et auteur, et Marc Arnal publiaient la semaine dernière dans nos pages un appel à des états généraux sur l’éducation en français dans la province. Aujourd’hui, ils clarifient leur projet d’éducation francophone, tourné vers la transculturalité.
Le transculturalité peut fournir le cadre d’un projet de société et un projet éducatif, ce dernier devant nourrir le premier et préparer sa réalisation. On s’explique pour définir le concept et imaginer le processus qui nous permettra d’y parvenir, en supposant évidemment que ce soit une option dans le contexte d’une réflexion collective.
Dans la situation démographique actuelle de la francophonie telle que nous l’avons définie la semaine dernière, il n’y a pas que le volume d’une francophonie multipliée qui vient renforcer notre présence dans la grande communauté canadienne. Il y a surtout la richesse de personnes de différentes nationalités, cultures, expériences du monde qui s’y sentent incluses et qui viennent l’enrichir. Il suffit de les côtoyer, de travailler avec elles, de s’en faire des amies, pour apprécier la richesse de l’échange qui se produit, fondée sur des expériences et perspectives diverses des choses et du monde : un autre sens de l’humour, une langue française utilisée/parlée différemment, enrichie par les expressions d’autres univers. Ainsi apparaît dans la communauté une langue française parlée sans complexe, enhardie et valorisée par l’étendue de son usage dans l’espace public.
Les insuffisances des autres modèles dits d’intégration (multiculturalisme canadien et interculturalisme québécois : les deux sont sans projet défini, soumis aux aléas du hasard et de la conjoncture) doivent nous amener à l’inclusion que la transculturalité revendique grâce à la structuration du dialogue interculturel dans les appareils et les réseaux qui organisent le social, soit les institutions dont les écoles et les universités en sont la pierre angulaire.
Ainsi, à quoi pourrait ressembler une structuration institutionnelle de la transculturalité à l’école : plus précisément, comment enseigner l’histoire, par exemple, dans un contexte de diversité ? D’abord, la structuration suppose que le dialogue imprègne la programmation scolaire (et universitaire) dans les contenus disciplinaires, le curriculum, mais surtout, pourrait-on dire, dans les modalités et les structures d’enseignement, de façon à développer entre les partenaires sociaux de la communauté des connaissances et des mémoires collectives conjuguées devant faire partie de notre dépôt d’histoires collectif et motivant notre projet d’avenir.
Précisons ce qu’est le « dialogue » curriculaire et pédagogique : il ne s’agit pas de dialogue spontané entre deux personnes ou groupes, ou même organisé à partir d’une conjoncture particulière qui le motive. Il est inscrit dans le curriculum par des sources multiples présentées dialectiquement, c’est-à-dire qui s’entrechoquent, se heurtent, se contredisent, et se complètent, parce qu’elles représentent divers aspects d’une réalité. Ainsi, ces sources viennent par comparaison relativiser une réalité isolée dans son contexte — excluant ainsi l’idée d’un centre destiné à représenter le tout. De plus, comme il a été mentionné ci-dessus, l’enseignement se fait davantage au niveau des modalités d’apprentissage, des stratégies d’interrogation et de compréhension des problèmes et des difficultés que le réel multiple et pluriel porte en lui.
Imaginons donc l’enseignement de l’histoire (disons les années 1960) à un groupe d’élèves issus des quatre coins de la planète, qui se retrouvent dans une même classe, et qui font partie depuis peu, dans plusieurs cas, d’une communauté scolaire agrandie. Il faudrait d’abord élargir la thématique à la francophonie mondiale des années 1960, faire dialoguer les décolonisations qui se manifestent dans les différents contextes politiques et sociaux : la Révolution tranquille du Québec et des francophonies canadiennes, celles plus violentes des pays (nord — ) africains, et ainsi de suite, dans le cadre d’un mouvement global de contre-culture, de manifestations mondiales contre les systèmes en place, les impérialismes de tout acabit – Vietnam, mai-68, les Flower Children (hippies), et ainsi de suite.
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L’école est ainsi appelée à insérer dans toute sa programmation une démarche critique et compréhensive, imprégnée de diversité. Tous les sujets s’y prêtent, certains plus que d’autres, notamment l’histoire, les sciences humaines et sociales, mais aussi la lecture, la littérature, les religions, les arts, la musique, la santé, les mathématiques, le sport, etc. La haute technologie dont sont outillées les salles de classe aujourd’hui permet un accès facile et rapide au voyage planétaire, qu’il soit inspiré par la géographie d’un poème du Sénégalais David Diop, par la dénonciation de l’exploitation d’enfants-soldats dans l’œuvre de l’Ivoirien Kourouma, par un récit anticolonialiste de l’écrivain antillais Chamoiseau, ou par cette Rue Deschambault de Gabrielle Roy, déjà peuplée d’immigrants. C’est le monde entier que l’on rejoint dans ce parcours, et c’est le Canada lui-même qui est situé dans la mouvance internationale.
Le but serait de définir une vision et des valeurs qui nous permettraient d’établir ENSEMBLE, de façon démocratique, un avenir collectif où tous et toutes puissent y retrouver appartenance et identité en raison de leur reconnaissance due par leur participation au dialogue interculturel, et à partir de l’existence au départ d’espaces et d’histoires de convergences langagières, politiques et culturelles entre les différentes communautés. Il faudrait établir un rapport direct avec l’écologie humaine, soit la compréhension de notre milieu dans ses multiples complexités où rien n’est exclu, y compris le devoir motivé par le désir d’inclure et de comprendre les Premières nations ainsi que l’écologie dans son acception récente liée à l’environnement.
On pourrait ainsi arriver à développer une société peuplée d’imaginaires de la diversité, créer une communauté de personnes dont les identités multiples et diverses soient à la fois reconnues et maintenues (pour l’enrichissement collectif), mais passent inaperçues (dans la pratique et le vécu quotidiens), où le préjugé typique de nos sociétés hiérarchisées et racialistes disparaît à toutes fins pratiques sur le plan du logement, de l’emploi, du droit, de la citoyenneté, de la justice, pour ne rien dire de l’égalité et de la dignité.
La transculturalité établit les paramètres à partir desquels se construit ce projet de société en tant qu’elle oriente l’action vers le dialogue interculturel structuré dans tous les réseaux institutionnels : son but ultime est de faire société.
Marc Arnal
Paul Dubé