Ce mercredi 18 septembre, l’ACFAS organisait à Ottawa un débat entre cinq candidats aux postes de députés fédéraux. Les invités devaient répondre à des questions sur leur projet politique pour la science et la recherche. Au Campus Saint-Jean d’Edmonton, des professeurs en sciences politiques ont décortiqué les prestations de ces candidats jugés « déconnectés ».
« Profitez-en, parce que les sciences et la recherche, on n’en parle pas nécessairement beaucoup pendant les élections. Donc c’est une occasion rare et unique de le faire ! », valorise Benjamin Vachet, journaliste pour le groupe ONFR. Un coup pour fêter ça ! Au bar, bien sûr. Le Bar des Sciences 2019, organisé par l’ACFAS*, se tenait ce mercredi après-midi dans l’enseigne Les 3 Brasseurs, à Ottawa.
Pierre-Yves Mocquais, doyen du Campus Saint-Jean à Edmonton, et coprésident de l’ACUFC**, était présent pour s’adresser aux candidats juste avant le débat. « Je ne sais pas si vous le savez, mais aujourd’hui, Greta Thunberg vient de faire une présentation devant le Congrès américain, déclare-t-il. Elle a 16 ans cette jeune Suédoise. Normalement la coutume au Congrès américain, c’est de commencer par présenter un papier qui résume ce que l’on va dire. Elle ne l’a pas fait. Ce qu’elle a déposé, c’est le rapport du panel intergouvernemental sur le changement climatique. Ce qui est vraiment extrêmement important. Et ce qu’elle a dit en particulier, c’est que les hommes politiques doivent écouter les scientifiques ». Pierre-Yves Mocquais se tourne vers les candidats des cinq différents partis et ajoute : « Alors, c’est un appel à tout le monde, bien entendu ».
La science pour tous, tous pour la science !
L’appel est lancé, le débat commence. Première question : « Pour vous, les sciences et la politique sont-elles conciliables ? », demande le journaliste. Éric Chaurette, candidat pour le Nouveau parti démocratique (NPD) à Gatineau, répond en premier. « Au NPD, nous croyons qu’il faut non seulement écouter la science, mais aussi agir. Il y a une urgence climatique, la science nous le dit. Il faut absolument avoir le courage d’écouter nos scientifiques et de repousser le lobby des grandes multinationales qui influencent beaucoup sur le politique ».
Il n’oublie pas quelques attaques en règle. « Sous les conservateurs, les scientifiques ont été muselés et malmenés. On peut dire que leur bilan a été désastreux. Ils ont congédié plus de 4 000 chercheurs et ont sabré environ 1,1 milliard de dollars de financements scientifiques et technologiques. Quant aux libéraux, eux, ils n’en ont pas fait assez pour rattraper ce que les conservateurs ont fait. »
En tête des sondages, ex aequo avec le Parti libéral, le Parti conservateur était représenté par Dave Blackburn ce mercredi. Ses réponses étaient bien moins mordantes que celles d’Éric Chaurette. Il commence son discours par passer en revue sa carrière professionnelle en rapport avec la science. Il donne ensuite deux exemples dont il a été témoin, à l’armée et dans le civil, de dysfonctionnements entre le gouvernement fédéral et le milieu scientifique. Il annonce s’être présenté comme candidat pour « améliorer les choses de ce côté-là ».
« La science disparaît des journaux, des médias. »
Au tour de Claude Bertrand de répondre. « La science devrait être dans la plupart des décisions politiques. » Le candidat du Parti vert déplore la situation actuelle : « La science disparaît. Elle disparaît des journaux, des médias. Ramenons-la sur la place publique. Une grande portion de la population n’a vraiment aucune idée de ce qu’est la science. »
Enfin, Mona Fortier, députée sortante du Parti libéral au pouvoir ces quatre dernières années, prend la parole. « Depuis des années, nous avons travaillé fort pour redonner aux scientifiques la place qui leur revient. Nous avons rétabli le poste de conseiller scientifique en chef. Nous avons investi 10 milliards de dollars, dont 4 milliards en 2018, pour les scientifiques et innovateurs. Ce n’est pas fini, le plus important c’est de continuer et poursuivre les progrès qui ont été fait depuis quatre ans. »
« Ils n’évoquent même pas les plateformes »
Les questions se succèdent, les belles réponses des candidats aussi. Au bout d’une heure trente, à Edmonton, on stoppe le rétroprojecteur. Dans le salon des étudiants du Campus Saint-Jean, quatre élèves et cinq professeurs suivaient le débat retransmis par Facebook live. L’heure est désormais à l’analyse.
Devant les quelques élèves présents à cet atelier, Frédéric Boily, professeur en sciences politiques spécialisé dans le conservatisme, prend la parole. « Nous pouvions voir que la science et la recherche ne sont pas des sujets principaux de la campagne. La science est souvent un enjeu secondaire, même tertiaire durant les élections », perçoit-il.
La plupart des professeurs présents ont pris des notes durant le débat. Certains en ont même attribué aux candidats. C’est le cas de Charlie Mballa, chercheur spécialisé en sciences politiques. Il livre sa critique : « On est dans la langue de bois. On n’est pas éclairé par la position des candidats. On n’a pas parlé des problèmes. Les candidats sont tous déconnectés. Déconnectés de la base et déconnectés de l’élite. Il n’y avait pas de proposition concrète, on n’a pas vu d’argument. Ils n’évoquent même pas les plateformes. »
Sur l’aspect communication, il analyse : « Il n’y a que le NPD qui s’est risqué à donner des statistiques. Madame Fortier (ndlr: Parti libéral) a manqué quelques points dans sa communication, il n’y avait souvent pas de statistique ». Pour lui, les candidats gagnants de cette heure et demie de débat sont « ceux du NPD et du Parti libéral, à égalité ».
Avant d’assister à cette retransmission, Pascal Dupien, professeur adjoint en sciences politiques au Campus, avait consulté les plateformes de chaque parti. «Sauf celle du Parti libéral, pas encore mise à jour », précise-t-il. « C’est la plateforme du Parti vert qui va le plus loin pour la science et la recherche », affirme-t-il.
À l’inverse, par simple curiosité : quel parti a la plateforme la plus inquiétante pour la science ? « Le Parti conservateur » était alors sur toutes les lèvres.
* ACFAS : Association canadienne-française pour l’avancement des sciences
**ACUFC : L’Association des collèges et universités de la francophonie canadienne