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Le reflux gastro-œsophagien, un sujet corrosif!

Crédit : katemangostar / Freepik
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Dre Julie L. Hildebrand exerce en médecine familiale à Edmonton. Bilingue, elle est très heureuse de pouvoir répondre aux besoins de la francophonie plurielle de la capitale provinciale. Spécialiste du diabète, des dépendances et de l’utilisation du cannabis thérapeutique, elle privilégie la prévention et l’éducation.
Le reflux gastro-œsophagien, un sujet corrosif!
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Le reflux gastro-œsophagien (RGO) est une maladie digestive chronique qui se manifeste au quotidien ou de manière sporadique. Bien qu’elle s’observe plus couramment chez les adultes, elle peut aussi survenir chez de très jeunes patients, voire chez les nouveau-nés.

Jusqu’à 44% des individus en souffriraient occasionnellement et de 10 à 15% de manière récurrente. Il est commun d’en éprouver les symptômes après la prise d’un repas copieux et cela ne constitue pas en soi une maladie. Toutefois, s’ils se reproduisent de manière intermittente, nous les considérerons alors comme pathologiques.

«Jusqu’à 44% des individus en souffriraient occasionnellement et de 10 à 15% de manière récurrente. Il est commun d’en éprouver les symptômes après la prise d’un repas copieux et cela ne constitue pas en soi une maladie.»

Souvent la description faite par le patient de leurs symptômes est suffisante pour poser un diagnostic de RGO. Les investigations médicales (ex. : gastroscopie, repas baryté, pH-métrie, manométrie) ne seront réservées que dans les cas récalcitrants, atypiques ou sévères. Il faut savoir que malgré tout, le reflux demeure une problématique de taille. Cinq millions de Canadiens en souffrent et s’absentent du travail à raison de 16% de leur temps de travail. Cela entraîne des coûts de 21 milliards de dollars annuellement.

C’est quoi le reflux gastro-œsophagien?

Le RGO se produit lorsque le contenu acide de l’estomac remonte dans l’œsophage. En principe, une petite valve située à la jonction entre l’estomac et l’œsophage (sphincter œsophagien inférieur ou cardia) permet aux aliments d’arriver dans l’estomac tout en empêchant l’ascension des acides gastriques. Lorsqu’il est affaibli, le sphincter contribue à ce que la muqueuse de l’œsophage soit corrodée et endommagée par l’acide, ce qui induira éventuellement une inflammation douloureuse. Si pour sa part les parois de l’estomac sont bien équipées pour supporter des taux d’acidité effarants, ceux de l’œsophage en contrepartie ne le sont pas.

Cette irritation prolongée pourra provoquer un inconfort et parfois des dommages tels que l’ulcère peptique et la sténose œsophagienne (stricture). Atteintes qui quelquefois s’avèrent irréversibles comme pour ce qui est de l’œsophage de Barrett (état précancéreux de l’œsophage dont le taux de conversion vers l’adénocarcinome est d’environ 10% après plusieurs années) qui nécessitera une surveillance endoscopique étroite aux deux à trois ans.

Docteur Julie Hildebrand

Dre Julie Hildebrand

Les brûlements d’estomac (pyrosis), ou sensations de brûlure qui vont du sternum jusqu’à la gorge et qui atteignent même la bouche, sont les plus fréquents. Ceux-ci sont facilement identifiables par les patients ainsi que la régurgitation. En revanche, certains autres symptômes ne semblent pas si aisément associés au RGO et c’est pourquoi les patients ne le soupçonnent pas systématiquement. Il s’agit de nausée, éructations, gaz/ballonnements, mauvaise haleine, goût amer dans la bouche, toux sèche, voix enrouée, maux de gorge, sensation de boule dans la gorge (globus), une désagréable impression de satiété, difficulté à avaler, apnée du sommeil et aggravation de l’asthme.

Attention! La prudence est de mise toutefois, car certains autres symptômes inhabituels devraient alerter le praticien, tels qu’une perte de poids soudaine, de la douleur à la déglutition, des vomissements, la présence de sang dans les selles ou de selles noires et une anémie inexpliquée. Ceux-ci pourraient dénoncer des complications beaucoup plus graves tels qu’un cancer digestif.

Pourquoi le reflux gastro-œsophagien?

Parmi ses causes, mentionnons au premier plan l’obésité, car cette condition engendre une augmentation de la pression abdominale et conséquemment sur le sphincter inférieur œsophagien. Les autres facteurs pouvant engendrer le RGO sont le stress, l’alcool, le tabac, l’ingestion de repas copieux et de certains aliments (agrumes, sauces tomates, fritures, chocolat, café, boissons gazeuses, menthe, certaines épices), la présence d’une hernie hiatale, aller au lit moins de trois à quatre heures après les repas, la grossesse, certains médicaments (anti-inflammatoires, aspirine, inhibiteurs calciques, dérivés nitrés, progestérone, antihistaminiques, antidépresseurs, opiacés) et la présence de certaines maladies (sclérodermie, diabète, toux chronique, infection à H. pylori).

Le traitement du RGO se réalise dans un premier temps par la modification des habitudes de vie : maintenir un poids santé, cesser de fumer, élever la tête du lit de six à neuf pouces ou à 45°, s’abstenir de s’étendre tout de suite après les repas, éviter les aliments qui provoquent des reflux, favoriser les petits repas pris plus fréquemment, minimiser l’ingestion de gras, bien mâcher ses aliments et éviter de porter des vêtements trop ajustés.

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Suivront les médicaments en vente libre tels que les antiacides qui, lorsqu’ils sont ingérés, viendront neutraliser les taux d’acidité de l’estomac et les antagonistes des récepteurs H2 de l’histamine qui bloquent l’effet de l’histamine sur les cellules productrices d’acidité de l’estomac. S’ils s’avèrent inefficaces, une visite chez le médecin s’impose.

Ce dernier prescrira, si cela est indiqué, des épreuves de laboratoire ainsi que des inhibiteurs de la pompe à proton (IPP). Les IPP sont beaucoup plus efficaces et viendront véritablement modifier la chimie de l’estomac en bloquant la sécrétion des acides. Non seulement viendront-ils soulager les symptômes associés au reflux, mais ils faciliteront la réparation des tissus gastriques lésés. Les chirurgies, telles que la fundoplicature, qui visent à recréer une valve anti-reflux, ne seront réservées qu’à de très rares cas.

L’avis d’un professionnel de la santé est toujours souhaitable.

Ces traitements ne sont pas sans effets secondaires. Par exemple, les antiacides, si utilisés en trop grande quantité, peuvent engendrer de la diarrhée et, dans certains cas, des calculs rénaux. Ces dernières années, nous avons vu naître une certaine controverse quant à l’utilisation des IPP. Entre autres, des études récentes semblent incriminer les IPP dans les cas d’infections gastro-intestinales et pulmonaires via une altération de la flore bactérienne (C. difficile, pullulation intestinale bactérienne), les cas de fractures ostéoporotiques, les carences vitaminiques (B12), l’hypomagnésémie, la démence et l’insuffisance rénale.

Cependant il faut aussi rappeler que plusieurs de ces études sont contradictoires et que le niveau de preuve demeure faible.

Dans le domaine médical, il incombe au praticien de peser le pour et le contre (risques versus bénéfices) avant d’entreprendre un traitement chez son malade et de faire en sorte qu’il soit au mieux adapté (indication, durée de traitement, dose minimale efficace). Aussi, faut-il faire preuve d’une plus grande prudence avec nos patients vulnérables, frêles et hospitalisés. Les IPP demeurent bénéfiques et utiles. Ils appartiennent à une classe de médicaments parmi les plus prescrits au monde et bien tolérés depuis plus d’une trentaine d’années.