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le Dimanche 5 Décembre 2021 22:03 Arts et culture PR

Le photographe Robin Gislain Shumbusho trace sa route au Canada

«Je continuerai à voyager, mais à la fin de la journée, je rentrerai toujours ici. C’est un bon endroit pour avoir une maison et fonder une famille», assure Robin Gislain Shumbusho, alias Gessy, arrivé il y a trois ans à l’Île-du-Prince-Édouard. Crédit : Marine Ernoult – Francopresse
«Je continuerai à voyager, mais à la fin de la journée, je rentrerai toujours ici. C’est un bon endroit pour avoir une maison et fonder une famille», assure Robin Gislain Shumbusho, alias Gessy, arrivé il y a trois ans à l’Île-du-Prince-Édouard. Crédit : Marine Ernoult – Francopresse
Le photographe Robin Gislain Shumbusho trace sa route au Canada
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De Kigali à Charlottetown, Robin Gislain Shumbusho, alias Gessy, balade son objectif, à l’affût d’un regard à capturer ou d’un moment à immortaliser. Passionné de photographie, cet étudiant international rwandais, arrivé il y a trois ans à l’Île-du-Prince-Édouard, a récemment intégré le prestigieux programme de mentorat Canon Futures. En dépit du racisme dont il a pu être victime, il rêve désormais de devenir citoyen canadien.

Francopresse 

Son cours à peine terminé, Gislain nous attend dans les sous-sols du Département de photographie et de vidéo du Collège Holland. Bonnet jaune sur la tête, l’air avenant, il nous invite à le suivre dans l’atelier d’encadrement de photos. 

Le visage du photographe de 22 ans s’éclaire d’un grand sourire quand il commence à raconter son histoire. Originaire de Kigali au Rwanda, il est arrivé il y a trois ans à l’Île-du-Prince-Édouard (Î.-P.-É.). 

Gessy est originaire du Rwanda, étudie la photographie et la vidéo au Collège Holland à Charlottetown. Crédit : Marine Ernoult – Francopresse

«À la maison, quand tu vas à l’étranger, c’est un petit prestige ; c’est que tu as réussi ta vie», partage Gislain. Pourtant, ses parents ont dû le convaincre de partir : «Au départ je n’étais pas trop excité, car je sais que ça coute très cher à ma famille.» 

Il s’amuse encore de sa première vision de l’Île, à travers les hublots de l’avion en provenance de Montréal : Charlottetown, capitale provinciale, plongée dans un noir d’encre ; le froid et la neige sur le tarmac de l’aéroport «si petit». 

«J’étais choqué, je me suis dit “houla, mais où sont les lumières?” J’ai compris que je m’étais embarqué dans le vrai Canada»», plaisante le jeune homme. 

Une vocation née à l’adolescence 

D’abord inscrit en commerce à l’Université de l’Î.-P.-É., Gislain se rend vite compte que cette filière, choisie «pour satisfaire ses parents», ne lui convient pas. Passionné de documentaire, il se tourne alors vers le journalisme. Là encore, cette orientation lui déplait. 

La véritable passion de Gislain, c’est la photo, un domaine qu’il expérimente depuis l’adolescence. Les boites noires ont toujours été ses complices dans les réunions de famille, dans les rues de Kigali qu’il arpentait en quête de regards à capturer, d’humanités à révéler. 

«Ma mère m’a poussé à m’investir dans cette voie, elle me disait que j’avais un bon œil. Chez nous, c’est très important d’avoir des talents artistiques», raconte-t-il. Avec une mère chanteuse amatrice et un père ancien musicien professionnel, Gislain a toujours baigné dans un milieu culturel très riche.

Presque chaque soir, le jeune homme regardait des émissions de télévision avec ses deux frères et ses parents : «La façon de raconter des histoires en images me fascinait. C’est à ce moment-là que ç’a cliqué dans ma tête.» Une vocation était née.

«Au Rwanda, le racisme était quelque chose de distant, je ne pensais pas que ça existait réellement, confie Robin Gislain Shumbusho. Maintenant, c’est ma réalité, je dois apprendre à vivre avec et trouver mon chemin.» Crédit : Marine Ernoult – Francopresse

Il se souvient encore du premier téléphone cellulaire avec appareil photo que son père lui a donné, du premier Canon que l’une de ses tantes lui a mis entre les mains. «Je me suis tellement amusé avec que je l’ai suppliée en vain de me le laisser», se rappelle Gislain. Ce n’est qu’à son arrivée au Canada qu’il achètera son premier objectif.

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«Un portrait, cest comme un lieu de rencontre» 

En septembre 2021, Gislain finit par sauter le pas et s’inscrit aux cours de photographie du Collège Holland. Simultanément, il expose pour la première fois un de ses projets — des portraits de personnes racisées — dans un café de Charlottetown. Principalement intéressé par les genres du portrait et du documentaire, l’artiste tente de déchiffrer le mystère de l’être.

«Un portrait, c’est comme un lieu de rencontre, explique Gislain. Quand on regarde une personne dans les yeux, il y a une partie de sa vie qu’on ne peut pas connaitre. Le portrait donne une foule de petits détails — ses rides, son rire, sa façon d’ouvrir les yeux — qui nous permettent d’imaginer sa vie, de la rêver.»

Avant même d’intégrer le collège universitaire de Charlottetown, Gislain a lancé sa petite entreprise de photographie en 2020. Les commandes d’agences de mannequins et d’artistes, mais aussi de particuliers et d’entreprises lui permettent désormais de vivre de sa passion. 

La photo «Beauty Like a Sunflower» de Gessy a notamment été exposée au café Receiver de Charlottetown. Crédit : Courtoisie Robin Gislain Shumbusho

L’étudiant-entrepreneur commence à se faire un nom, à un point tel que Canon l’a choisi parmi plus de 200 candidats pour faire partie du programme de mentorat Canon Futures, d’une durée de douze mois. 

Aux côtés de 20 autres photographes en devenir, il apprend des plus grands professionnels nord-américains. Depuis septembre, il est déjà allé à Toronto pour rencontrer les équipes de la société et en Alberta pour participer à une série d’ateliers. 

Touche-à-tout, Gislain s’intéresse également à la vidéo. Dans la foulée du mouvement Black Live Matters, il a réalisé un premier documentaire en deux parties, posté sur Instagram. Face à la caméra, dix personnes noires, vivant à l’Île depuis au moins trois ans, témoignent du racisme dont elles ont été victimes et partagent leurs émotions. 

«Il a reconnu mon accent et ma traité de sale noir”» 

L’artiste a lui-même été confronté au poison du racisme dans la province. Il évoque les regards suspicieux qu’on lui jette quand il rentre dans un magasin, les autres clients systématiquement servis avant lui. 

Surtout, il n’oubliera jamais cet appel d’un client mécontent alors qu’il travaillait dans un centre d’appels pour arrondir ses fins de mois. «Il a reconnu mon accent et m’a traité de “sale noir”», lâche Gislain, les yeux fermés, la voix empreinte d’une grande tristesse. L’étudiant ne s’attendait pas à une telle haine en immigrant au Canada. 

«Au Rwanda, c’était quelque chose de distant, je ne pensais pas que ça existait réellement, confie-t-il. Maintenant, c’est ma réalité, je dois apprendre à vivre avec et trouver mon chemin.» 

Une vie à «vivre avec», mais pas une vie à se taire : «Quand j’ai l’opportunité de répondre, je n’hésite pas, je ne me laisse pas faire.» 

«Le portrait donne une foule de petits détails — ses rides, son rire, sa façon d’ouvrir les yeux — qui nous permettent d’imaginer sa vie, de la rêver», explique l’artiste. Crédit : Marine Ernoult – Francopresse

En dépit de ce quotidien parfois pesant, Gislain aime son «existence paisible» à l’Î.-P.-É., propice à la création. «J’ai pu m’intégrer facilement, créer des liens avec des gens du monde entier», se réjouit-il. 

L’émigré n’oublie pas pour autant sa famille et son pays d’origine, qui lui manquent terriblement. Il espère pouvoir y retourner d’ici trois ans. Il rêve de s’assoir à une terrasse de café de Kigali pour parler avec des ainés : «Là-bas, n’importe qui a une histoire extraordinaire à raconter. C’est la magie de mon pays.»

Peur de perdre le français

La pandémie, et avec elle la fermeture des frontières, ont rendu la séparation encore plus douloureuse. Les kilomètres qui séparent Gislain de ses proches se sont multipliés. Le jeune homme a été pris de vertige à plusieurs reprises quand il pensait à ses parents – à sa mère, psychologue à l’hôpital, à son père dont le commerce automobile a connu d’importantes difficultés financières. 

Ce qui manque à Gislain, c’est aussi l’une de ses deux langues maternelles : le français. Il a très peu de contact avec la communauté francophone de l’Île, dont il n’a appris l’existence que récemment. «Ça me surprend à chaque fois que j’entends parler français», reconnait-il. 

Craignant de perdre cette langue, il s’oblige à la parler avec son frère de 19 ans, Armel, qui l’a rejoint il y a un an, et dès qu’il appelle sa mère au téléphone. 

Mais pour rien au monde Gislain ne quitterait l’Île. «Je continuerai à voyager, mais à la fin de la journée, je rentrerai toujours ici. C’est un bon endroit pour avoir une maison et fonder une famille», assure-t-il. Ses rêves? Faire venir ses parents, et devenir citoyen canadien.

Alors que l’entrevue tire à sa fin, Gislain mentionne son prochain projet documentaire, qui portera sur les artistes insulaires et sera financé par la Fédération culturelle de l’Î.-P.-É. (FCÎPÉ). Il mentionne aussi son envie d’exposer ses photos au Rwanda, ainsi que son inquiétude face à l’hiver imminent : «Quand la neige commence à tomber, tout s’arrête. Le temps est comme suspendu.» 

Au travers des incertitudes liées à la pandémie, certaines histoires ressortent comme autant de bouffées d’air et d’espoir. C’est notamment le cas de nombreux francophones qui ont choisi le Canada comme terre d’accueil, il y a de cela quelques mois ou des années. En voici quelques-unes partagées par Francopresse.