Rôle et mission du Campus Saint-Jean dans une francophonie en mouvement
26 août 2022
La résilience des communautés francophones de langue officielle en contexte minoritaire à travers les générations est remarquable. Cela est particulièrement le cas dans les Prairies. Les vingt-et-une années que j’ai passées en Saskatchewan et maintenant mes vingt-trois ans en Alberta dont huit ans comme doyen du Campus Saint-Jean au cours desquels j’ai travaillé étroitement avec la communauté franco-albertaine m’ont fait découvrir la ténacité, le courage et la volonté de survie de ces communautés, souvent géographiquement isolées les unes des autres, mais unies par leur volonté de survivre.
Car, si le Canada peut se targuer de sa dualité linguistique, c’est essentiellement en raison de la résilience de ces communautés qui ont su, bon an, mal an, résister à l’assimilation. Le temps est en effet arrivé de passer de la survivance et de la résilience à une affirmation caractérisée par l’unité dans la diversité. La pérennité de la francophonie albertaine est inextricablement liée à celle des écoles francophones et des programmes d’immersion ainsi qu’à celle du Campus Saint-Jean et de ses programmes universitaires et collégiaux. Elles sont maintenant confrontées à trois défis qui sont aussi trois principes directeurs. Ils doivent être au centre de leurs préoccupations et doivent en appeler à une évolution en profondeur.
- La réconciliation avec les Premières Nations, Métis et Inuit;
- La capacité d’ouverture et d’accueil à l’autre;
- La normalisation constitutionnelle du continuum en éducation de la petite enfance aux études postsecondaires
Réconciliation et inclusion dans le cadre de la One University
L’initiative de l’ACFA relative aux peuples autochtones dans le cadre de son plan d’action est louable. Mais quelle forme prendra cette initiative? Les recommandations de la Commission Vérité et Réconciliation offrent des pistes d’action qui se doivent d’être prises en compte. Mais, au-delà d’actions ponctuelles et ciblées, comment promouvoir un changement de mentalité? Comment travailler à la réconciliation en évitant certaines raideurs dogmatiques d’exclusivité culturelle? Cela signifierait-il sortir de la binarité des deux peuples fondateurs? S’agirait-il d’envisager une conception du Canada comme le suggère John Ralston Saul dans son ouvrage Mon pays métis? N’est-ce pas précisément une contribution que le Campus Saint-Jean serait en mesure d’offrir de manière plus systématique?
Le Campus Saint-Jean a déjà développé des initiatives, certaines individuelles, d’autres institutionnelles visant à travailler étroitement avec les communautés Métis et visant à la réconciliation, y compris en posant des gestes symboliques de nature artistique. Comment ces initiatives peuvent-elles être poussées plus loin afin que le Campus Saint-Jean devienne un laboratoire de la réconciliation et dépasse les
clivages actuels?

Selon le doyen sortant, la réconciliation doit être au centre des préoccupations du Campus Saint-Jean. Crédit : Mélodie Charest.
Dissonances des parties prenantes
À lire aussi :
Car si la survivance du Campus Saint-Jean n’est pas selon moi en question, de quel Campus Saint-Jean s’agira-t-il? Va-t-on évoluer, rapidement et de manière décisive, vers un alignement entre les parties prenantes citées plus haut dans le respect du rôle et du caractère unique du Campus Saint-Jean afin qu’il ait les moyens et la latitude pour mener à bien sa mission? Ou bien le Campus Saint-Jean continuera-t-il à être perçu implicitement comme un « quaint historical artifact » souffrant de « benign neglect », ce que l’on m’a dit à mon arrivée à Edmonton en 2014?
La persistance de cette pensée implique que l’avenir consisterait soit en sa marginalisation comme simple curiosité folklorique dépourvue de réelle substance, mais que l’on peut exhiber, soit en son assimilation et, ultimement, en sa disparition dans le creuset de l’université. Ou bien, les protagonistes prendront-ils pleinement conscience de leur responsabilité à l’égard de la réalité constitutionnelle canadienne et de sa dualité linguistique dont le Campus Saint-Jean doit être l’un des piliers les plus solides?
Et à long terme?
Certes, suite à une crise qui a entraîné les décisions que l’on sait de la part de l’ACFA, l’Université de l’Alberta a récemment pris un certain nombre d’initiatives louables et les financements des gouvernements fédéral et provincial récemment annoncés contribueront à stabiliser le fonctionnement du Campus Saint-Jean.
Mais qu’en sera-t-il du long terme? Le Campus Saint-Jean aura-t-il à long terme les moyens financiers nécessaires pour assurer sa mission? Aura-t-il la latitude académique et administrative indispensable pour mettre en place les programmes qui seront le mieux à même de servir la réalité diverse de langue française en Alberta et dans l’Ouest et le Nord canadiens et à engager professeurs, chercheurs et membres du personnel pour lui permettre de renforcer son mandat à long terme?
Lui sera-t-il permis de faire entendre et d’affirmer sa voix sans que les atermoiements et les priorités sectorielles des autres protagonistes ne contribuent à l’éteindre? Dans le contexte actuel de la One University, l’université sait-elle vraiment quelle place accorder au CSJ? Le modèle de la One University peut-il respecter et encourager la différence du Campus Saint-Jean et dépasser ce qui semble surtout relever à ce point d’une opération de communication et de branding? Ou bien la capacité du Campus Saint-Jean à fonctionner selon les principes indispensables à l’accomplissement de sa mission sera-t-elle progressivement érodée et est-elle destinée à s’effriter progressivement ne laissant plus qu’une coquille vide?

Jusqu’au 30 juin dernier, Pierre-Yves Mocquais était le doyen et le chef de la direction du Campus Saint-Jean. Crédit : Geoffrey Gaye
L’Université de l’Alberta, le gouvernement de l’Alberta et la communauté franco-albertaine sauront-ils faire leurs les priorités du Plan d’action du gouvernement fédéral sur les langues officielles comme ils ont louablement fait leurs les recommandations de la Commission Vérité et Réconciliation?
L’Université de l’Alberta, le gouvernement de l’Alberta et la communauté franco-albertaine sauront-ils soutenir le Campus Saint-Jean dans sa mission de renforcement de la vitalité du fait français en Alberta et dans l’Ouest et le Nord canadiens? L’Université de l’Alberta, le gouvernement de l’Alberta et la communauté franco-albertaine sauront-ils comprendre que l’affirmation de cette mission unique est inséparable d’un mode de gouvernance, de fonctionnement et de financement spécifiques au Campus Saint-Jean? Avec la restructuration de l’Université de l’Alberta, le modèle de la One University saura-t-il laisser au Campus Saint-Jean la latitude et les moyens nécessaires pour mener sa mission à bien ?
À lire aussi :
• À la source du Campus Saint-Jean
• Le Campus Saint-Jean s’implante à Calgary, Red Deer et Grande Prairie
Cette consultation devra non seulement déboucher sur un mode de financement assuré à long terme, mais sur une structure administrative et de gouvernance qui permettra au Campus Saint-Jean de mener sa mission à bien sans succomber à certaines tendances actuelles qui consistent à envisager la formation universitaire essentiellement en termes d’avantages de nature transactionnelle (meilleur emploi, etc.) et de rentabilité?
En bref, le Campus Saint-Jean aura-t-il le soutien engagé de l’université, de la communauté et des gouvernements ainsi que les moyens académiques, administratifs et financiers pour assurer sa mission de champion de la dualité linguistique canadienne, d’acteur dans le cadre du Plan d’action fédéral sur la modernisation de la loi sur les langues officielles et de champion des communautés de langue française en contexte minoritaire ou sera-t-il entravé dans sa progression par les intérêts sectoriels des protagonistes?
La francophonie albertaine vous intéresse?
Nous aussi.
Abonnez-vous gratuitement à notre infolettre pour recevoir chaque deux semaines un concentré de nos meilleures histoires!