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le Mercredi 20 avril 2022 13:00 Rivière-la-Paix, Saint-Isidore, Fahler / Girouxville

La sécheresse menace les Prairies

Avec son taux de précipitation de seulement 37%, la capitale albertaine a connu, l’an dernier, l’été le plus sec de son histoire. Si les citadins ont toujours pu profiter de l’eau courante, les agriculteurs peuvent craindre le pire. Entre températures extrêmes et déficit hydrique, difficile de lire l’avenir.
La sécheresse menace les Prairies
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Mélodie Charest

IJL – Réseau.Presse – Le Franco

 

Les sécheresses sont semblables à un jeu de dominos : un manque de précipitation engendre un assèchement des réserves d’eau et une déshumidification des terres. Ce déficit hydrique entraîne une sécheresse dite socioéconomique. Ce jeu ne réjouit personne.

 

Gilles Sylvain cultive des céréales sur 2 100 acres, à Girouxville, au nord-ouest de l’Alberta. L’an dernier, il a perdu environ 30% d’une récolte moyenne en raison des conditions météorologiques. Ses champs ne sont pas irrigués, car les pluies sont généralement satisfaisantes pour mener à terme ses récoltes. «Un coup que ton terrain est semé, tu es dans les mains de Dieu. Tu ne peux rien faire», lance l’agriculteur passionné.

 

«Un coup que ton terrain est semé, tu es dans les mains de Dieu.» Gilles Sylvain

 

Les chaleurs estivales de 2021 ont été telles que le processus de pollinisation a été gravement entravé. «Les fleurs deviennent sèches, la plante essaie de faire d’autres fleurs et ces fleurs-là deviennent aussi sèches. La plante devient de plus en plus faible et il n’y a pas de graines qui se produisent.»

 

Les adaptations

Les sécheresses ne sont pas nouvelles dans la région. Celle de 2001-2002 a amputé près de six milliards de dollars du produit intérieur brut (PIB) canadien. En Alberta seulement, la sécheresse de 2002 a touché entre 70 et 75% des récoltes.

 

L’agriculteur de Girouxville se rappelle qu’avant la sécheresse de 2021, «on a eu des années d’humidité». Tellement humides que les pluies diluviennes ont anéanti ses récoltes sous près de 15 centimètres d’eau au sol. Cette année, il a utilisé toute cette eau emmagasinée dans le sol. «On l’a minée, il n’en reste plus. Si on a une autre sécheresse, ça va être vraiment grave», dit-il avec une onde d’inquiétude dans la voix.

 

Financement agricole Canada (FAC), la plus grande compagnie des services financiers en agriculture du pays, a permis aux agriculteurs de reporter le paiement de leurs prêts en raison des pertes subies. Toutefois, pour les agriculteurs comme Gilles dont les emprunts sont déjà réglés, ces mesures ne les ont pas affectés.

 

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C’est son assurance agricole provinciale qui lui est plutôt venue en aide. «C’est un choix, tu n’es pas obligé de la prendre. La prime qu’on paie au printemps, pour une ferme de ma grosseur, c’est entre 20 000 et 30 000$.» Il n’est pas rare que les agriculteurs s’abstiennent de la prendre, comme c’est le cas de son voisin dont les pertes ont été considérables l’été dernier.

 

Dame nature n’était peut-être pas du côté de Gilles, mais le marché oui. Attribués à la rareté du produit, les prix des récoltes céréalières ont alors doublé. Une bonne nouvelle pour «ceux qui ont été capables de battre une petite récolte».

 

Malgré une nouvelle hausse des prix des céréales depuis le début du conflit ukrainien, les coûts des engrais et des carburants ont, eux aussi, augmenté. D’autres vivent encore les effets de la sécheresse de 2020. L’avenir semble donc se dessiner dans un ciel incertain.

 

Pourquoi les sécheresses frappent-elles davantage les Prairies?

Felix Nwaishi, professeur au département de la Terre et des sciences de l’environnement du Mount Royal University, explique la vulnérabilité des Prairies par sa position géographique. Située en plein cœur du triangle Palliser, cette région «reçoit les précipitations annuelles moyennes les plus faibles du pays», vulgarise-t-il.

 

Au début du 20e siècle, des sécheresses ont rendu la pratique agricole hostile dans le centre-sud et le sud-est de l’Alberta. Le début de ce siècle est aussi touché et «des épisodes ont également été enregistrés dans cette région». Monsieur Nwaishi ne doute pas que ces épisodes sont également attribuables aux changements climatiques.

 

Une autre piste évoquée est la perte des milieux humides : celle-ci doit être considérée avec sérieux. Aujourd’hui, les aménagements urbains et agricoles se font souvent au détriment de ces dernières alors qu’elles limitent les effets négatifs des sécheresses.

 

«Environ 64% des milieux humides de l’Alberta ont disparu ou se sont dégradés dans les zones habitées de la province», peut-on lire sur le site web de Canards Illimités Canada, un organisme de bienfaisance canadien qui milite pour la protection de l’environnement.

 

«Environ 64% des milieux humides de l’Alberta ont disparu ou se sont dégradés dans les zones habitées de la province.» Felix Nwaishi

 

Le professeur en science des écosystèmes fait les mêmes constats. Ces milieux, qui étaient «une composante majeure de la mosaïque du paysage d’avant la colonisation dans les Prairies», doivent être protégés. En effet, il affirme que leur «rétablissement est crucial pour rendre cette région résistante à la sécheresse du 21e siècle».

 

La suite…

L’homme de Girouxville observe «des extrêmes météorologiques» depuis quelques années. Il n’est pas le seul. Environnement Canada affirme que le pays se réchauffe deux fois plus rapidement que le reste du globe. Tandis que certaines parties du Canada jouiront de plus de précipitations, les vagues de chaleur et les sécheresses vont finalement s’intensifier dans les Prairies.

 

Le déficit hydrique est la différence cumulée entre l’évapotranspiration potentielle et les précipitations pendant une période où ces dernières sont inférieures à la première.

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