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Dans l’enfer des thérapies de conversion

Dans l’enfer des thérapies de conversion
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Le projet de loi C-6 (pour bannir les thérapies de conversion) a été adopté le 22 juin 2021. Cependant, 61% des député.es Albertain.es et 93% des député.es de la Saskatchewan ont voté contre le projet. Bien que le projet de loi ait été adopté, je ne peux m’empêcher de penser à mes proches qui ont subi des thérapies de conversion et qui se sentent vulnérables face au vote de ces élu.es. Je compte parmi ces proches mon ami Stéphane Youdom qui a partagé avec générosité son témoignage pour cet article.

 

Émanuel, communauté Tik Tok

Les jeûnes imposés pour faire sortir « le diable qui habitait en lui » l’ont mené par deux fois tout droit à l’hôpital. Présentement, le projet de loi C-6 visant à interdire les thérapies de conversion fait son chemin au Parlement du Canada. Stéphane Youdom, francophone ayant résidé 8 ans en Alberta, raconte comment plusieurs pasteurs ont tenté de changer son orientation sexuelle.  

« Quand je me suis écroulé à l’hôpital, le pasteur m’a dit que c’était de ma faute », explique Stéphane. À ce moment, cela faisait trois semaines que l’homme d’Église lui avait prescrit un régime alimentaire drastique : un verre d’un lait, un autre de jus d’orange, par jour.

Crédit : courtoisie.

La rhétorique est souvent la même. « Dieu m’a créé et le démon veut me détruire ». Une solution pour s’en sortir : « me battre contre ce démon qui est en moi ». Il s’accroche à cet espoir. « Je vaux la peine d’être sauvé ».

La deuxième tentative n’est guère plus efficace. Après une semaine de jeûne et de prières, il perd à nouveau connaissance. Retour à l’hôpital. À cette époque, en 2009, Stéphane vivait en Allemagne, à Kaiserslautern où il étudiait. Traversant des troubles identitaires, il s’était tourné vers l’Église. Depuis sa tendre enfance au Cameroun, Stéphane a toujours baigné dans l’univers religieux.

Prières à Paris

« Le démon était trop fort », explique le pasteur à Stéphane. L’homme d’Église lui demande de se tourner vers un centre spécialisé. Le coût est de 7800 euros. Stéphane qui vit avec 380 euros par mois décide d’organiser une collecte de fonds. Il est mis en contact avec un pasteur qui, à Paris, pourra l’aider dans cette démarche.

Stéphane a vécu 8 ans en Alberta. Crédit : courtoisie.

« Il m’invite chez lui pour une soirée de prières », se souvient-il, la voix serrée. Stéphane souhaite s’installer dans la cuisine, mais le pasteur insiste pour prier dans la chambre. Il parvient à refuser.

Au bout de quelques minutes de prières, Stéphane affirme que le pasteur lui caresse la jambe. Le visiteur lui demande virulemment d’arrêter. Le pasteur se confond alors en excuses. « Il me dit qu’il est homosexuel, qu’il n’est toujours pas guéri. Il a insinué que c’était de ma faute », témoigne celui qui décide alors de quitter l’appartement et d’abandonner son projet de collecte de fonds.

Homophobie publique 

Stéphane Youdom est né au Cameroun à Douala, dans « un univers très codé par les traditions et la religion ». Très jeune déjà, il s’intéresse aux poupées, aux jupes, aux talons hauts. Une attitude jugée anormale par beaucoup d’hommes de son entourage. Il raconte avoir souvent subi des punitions pour cela. Au Cameroun, l’homosexualité est interdite depuis 1972.

Alors qu’il raconte son histoire, quelque chose lui vient à l’esprit. Son extrême malêtre qui l’a mené à sa première thérapie de conversion intervient quelques années après des évènements marquants dans son pays d’origine.

Le 25 décembre 2005, l’archevêque Simon-Victor Tonyé Bakot dénonce publiquement « l’homosexualité comme un complot contre la famille et le mariage ». Quelques mots, puis quelques actes. Début 2006, trois journaux nationaux (La MétéoL’Anecdote et Nouvelle Afrique) publient une liste de personnes qui, selon eux, sont homosexuelles.

Stéphane raconte avoir croisé au Cameroun la mère d’un ami d’enfance qui avait lui aussi effectué une thérapie de conversion dans le pays. Selon elle, il s’est suicidé, car « le démon l’a emporté ». Stéphane pense plutôt que ce sont les séquelles psychologiques de cette pratique qui ont causé son suicide. Crédit: courtoisie.

Au Cameroun, l’homosexualité est passible de 5 ans d’emprisonnement et 200 000 francs d’amende (environ 450 CAD). Les persécutions à leur encontre, allant de l’intimidation au meurtre, sont courantes depuis 2006. C’est sous ce contexte que Stéphane Youdom vivra sa deuxième thérapie de conversion.

En janvier 2010, toujours en Allemagne, il dévoile son orientation sexuelle à « une connaissance », tout en lui demandant de garder le secret. « Mais cette personne a eu peur et l’a dit à tout le monde ». Sa famille l’appelle. « Je me retrouve donc au Cameroun pour subir une thérapie de conversion là bas aussi ».

Dans la maison de ses parents, un groupe de pasteurs l’accueille. Cette fois encore, jeûnes et prières dictent son quotidien. Sa famille décide de l’accompagner dans cette épreuve en suivant le même rythme.

La guérison

« C’est un sentiment comme d’être lobotomisé », raconte-t-il. « Tout ce que je ressentais ou pensais était invalidé, car, pour eux, j’étais habité par un démon ». Deux semaines après le début de cette thérapie, le pasteur lui annonce, droit dans les yeux : « Stéphane est guéri ».

« Je le regarde et je sens qu’il n’y a aucun changement en moi. Mais je sais que je ne suis pas en sécurité. Je ne suis plus maître de ce que j’étais. Je connaissais le pouvoir de ce pasteur. Ma vie était menacée donc je joue le jeu et je retourne en Allemagne. »

Son style féminin, Stéphane l’assume. Crédit : courtoisie.

À son retour, Stéphane sombre à nouveau dans une dépression. Il passe à l’acte une nouvelle fois, sa cinquième tentative de suicide depuis 2006. « Je me sentais mal dans ma peau, je n’avais plus envie de vivre ». De l’hôpital, il est interné en psychiatrie. Une renaissance…

Là-bas, il est accompagné par des professionnels de la santé. « Un accompagnement qui a du sens », dit-il aujourd’hui. Il rencontre d’autres patients qui ont aussi subi des thérapies de conversion. « Je comprends que mes expériences sont valides. Quelques semaines plus tard, je sors de mon état suicidaire ».

L’espoir canadien 

Stéphane Youdom a fait partie des membres fondateurs de l’organisation FrancoQueer de l’Ouest, qui lutte pour les droits de la communauté LGBTQ+ dans l’Ouest canadien. Il continue à participer aux formations et à faire des interventions en tant que membre actif. Crédit : courtoisie.

En 2012, la famille de Stéphane quitte le Cameroun pour s’installer au Canada. Il les rejoint la même année avec beaucoup d’espoirs concernant ce pays qui a légalisé le mariage homosexuel en 2005. L’homosexualité est acceptée, mais l’homophobie existe bel et bien. Il témoigne s’être déjà fait agresser à Edmonton pour son style vestimentaire efféminé.

Concernant la loi C-6 qui poursuit son chemin législatif au parlement, Stéphane est ferme sur ses positions. « Il était temps. Parfois, on prend pour acquis le bon sens. Mais si une loi n’est pas votée, les choses peuvent changer en un court laps de temps. »

Il en profite pour revenir sur les arguments des opposants à cette loi, prônant la liberté de religion. « La liberté de religion est une liberté individuelle, la thérapie de conversion n’est plus une question de liberté, c’est une question de manque de respect à l’humanité ». Le 14 mai 2020, lorsque la Ville de Calgary a proclamé l’interdiction des thérapies de conversion, Stéphane a pris la parole pour témoigner. Aujourd’hui, Stéphane vit à Montréal. Sereinement, il continue de vivre en tentant d’effacer les fantômes du passé.

Crédit: courtoisie.

Un soutien pour les survivants

L’association Generous Space Ministries, située en Ontario, mène une recherche communautaire afin de créer un soutien complet pour les «survivants» des thérapies de conversion. Le 12 avril, Generous Space Ministries lancera une série d’entretiens individuels, des groupes de discussion et une enquête en ligne pour recueillir des données.

Ces dernières seront analysées et utilisées pour concevoir un programme continue de soutien. Un réseau de praticien thérapeutique devrait notamment être créé et partagé avec la communauté.«De nombreuses personnes LGBTQ/2S n’ont jamais été identifiées ou reconnues qu’elles avaient subi des thérapies de conversion», explique Jordan Sullivan, coordonnateur du projet. L’organisation recherche des informations dans trois domaines : ce qui a été utile pour se rétablir, les obstacles ou les défis rencontrés, et le type de ressources et de soutien nécessaires.

Vous pouvez contacter Generous Space Ministries à info@generousspace.ca

Le Franco lance un appel aux témoignes

Vous avez vécu des thérapies de conversion et vous souhaitez témoigner de votre réalité? Envoyez un courriel à redaction@lefranco.ab.ca

 

Cet article fut publié dans l’édition du 1er avril 2021 en page 12