le Dimanche 11 mai 2025

La tristesse, la colère, la peur, mais surtout la résilience. Ces quatre mots résument bien l’état d’esprit et le message de la communauté musulmane de London, en Ontario, véhiculé mardi soir lors de la vigile en l’honneur des quatre membres de la famille musulmane tués dimanche lors d’une attaque à la voiture-bélier.

Émilie Pelletier – Initiative de journalisme local — Le Droit

Ils étaient cinq membres de trois générations d’une seule et même famille, partis dimanche après-midi pour une promenade, comme ils le faisaient souvent. Seul le plus jeune, Fayez, un garçon âgé de neuf ans, en est sorti gravement blessé, mais vivant. Il est toujours à l’hôpital. 

Son père Salman Afzaal, 46 ans, sa mère Madiha Salman, 44 ans, sa grande soeur âgée de 15 ans, Yumna Afzaal, et sa grand-mère, Salman Afzaal, 74 ans, ont tous perdu la vie tragiquement lorsqu’un homme de 20 ans a foncé sur eux avec une camionnette noire. 

L’auteur présumé de l’attaque a été accusé de quatre meurtres au premier degré et de tentative de meurtre. 

Un drame qui nous concerne tous 

Devant la mosquée musulmane de London, mardi soir, un silence des plus complets rendait difficile de croire que plus de 5000 personnes étaient rassemblées en l’honneur de cette famille tuée dans ce que la communauté musulmane et les premiers ministres Justin Trudeau et Doug Ford ont qualifié d’attaque terroriste motivée par la haine.

Plusieurs leaders musulmans de London et du Canada ont exprimé leur peine, mais ils ont surtout demandé aux politiciens présents d’agir de façon concrète pour se battre contre l’islamophobie, le racisme et la haine. «Nous ne nous laisserons pas avoir par la peur. Nous serons forts en restant normaux, en restant nous-mêmes.»

Certains ont noté qu’eux aussi ont marché sur cette même route où la famille a été décimée, «des dizaines de fois.»

Une communauté au chevet de son fils

Ce genre de drame ne fait qu’accentuer le sentiment d’inquiétude qui habite certains citoyens lorsqu’ils sortent en public, ont-ils rappelé. «Il est notre fils à tous» Devenu orphelin, Fayez «est maintenant le fils de toute la communauté musulmane», ont indiqué au Droit les membres d’une famille musulmane venue d’Ottawa.

«Même nos deux filles, présentes aujourd’hui à la vigile, ont demandé à ce que nous devenions sa famille», ont-ils témoigné, affirmant que la communauté s’est ralliée pour venir en aide au jeune garçon et que plusieurs se sont portés volontaires pour l’accueillir chez eux.

En ligne, une campagne de financement a permis d’amasser des centaines de milliers de dollars en l’espace d’une seule journée. 

Les politiciens se succèdent

Les uns après les autres, les politiciens de tous les partis sont montés à la tribune pour partager leurs douleurs et exprimer leurs sympathies à la communauté musulmane. Le premier ministre du Canada, Justin Trudeau, a déclaré que l’islamophobie et le racisme existent bel et bien au pays, et que personne ne devrait avoir à y faire face. 

Quant au premier ministre ontarien Doug Ford, même s’il s’est fait bruyamment huer à son arrivée, le fait qu’il ait reconnu que cette tuerie constitue une attaque terroriste a eu un effet positif sur la foule. 

Les chefs du Parti conservateur du Canada, Erin O’Toole, du NPD, Jagmeet Singh, et du Parti Vert, Annamie Paul étaient aussi présents.

 

Francophones et Autochtones ont parfois été alliés au Canada. Y compris en Ontario. Champlain l’avait compris, lui qui s’était aventuré au-delà de la rivière des Outaouais. Les liens tissés entre les deux groupes furent importants. Le métissage souvent bénéfique. Pourtant, il y eut une cassure. Avec les pensionnats.

Cet article a été publié initialement le 31 janvier 2020 sur Francopresse.ca

André Magny — Initiative de journalisme local – APF – Ontario

Le professeur adjoint à la Faculté des arts de l’Université d’Ottawa en Études canadiennes et autochtones Pierrot Ross-Tremblay, lui-même Innu, vient de passer quelques années à l’Université Laurentienne à titre de directeur du département de sociologie. 

Spécialiste de l’amnésie culturelle, il constate qu’on écrit peu «sur l’histoire du Nord, sur les difficiles relations entre Premiers Peuples et francophones, sur le rôle des francophones et des prêtres québécois dans les écoles résidentielles.» 

Les chiffres clés sur les pensionnats autochtones. Crédit : Inès Lombardo, Infogram

Les francophones ont-ils vraiment joué un rôle dans l’acculturation des Autochtones, comme leurs collègues anglophones? Marie-Pierre Bousquet, directrice du programme en études autochtones au Département d’anthropologie de l’Université de Montréal répond sans ambages par l’affirmative. 

«On ne peut pas réellement faire de différence entre les anglophones et les francophones en matière d’acculturation des Autochtones.» D’après la professeure, mis à part de «rares progressistes, dont certains religieux», c’était clair pour tout le monde que les «Indiens» devaient être acculturés.

«C’était voulu ainsi»

La Commission de vérité et réconciliation du Canada a permis, entre 2008 et 2015, de délier les langues et d’ouvrir les esprits. Cette commission a révélé que près de 4 150 enfants sont morts dans les pensionnats entre 1870 et 1990, dont 770 enfants autochtones dans environ une vingtaine de pensionnats ontariens. Parmi eux, le frère de Roméo Saganash.

Quand on a le privilège de rencontrer Roméo Saganash, on observe son calme, sa sagesse, des yeux rieurs, mais aussi une mémoire qui ne veut pas oublier.

Ses deux mandats au Parlement canadien, dont le dernier s’est terminé en octobre dernier sous les couleurs du NPD — il n’a pas sollicité un 3e mandat — lui ont peut-être fait perdre du sommeil «au cours des 102 derniers mois» comme il le dit lui-même, mais il est toujours aussi affable que lors de notre première rencontre il y a 10 ans à Moncton.

Pour l’ancien député néo-démocrate d’Abitibi-Baie-James-Nunavik-Eeyou, l’acculturation se résume en sept mots pour le gouvernement canadien : «Tuer l’Indien en eux, garder l’homme!» 

Roméo Saganash a connu le pensionnat de La Tuque, au Québec. Son frère Jonish est mort en Ontario. Plusieurs de ses frères et sœurs se sont retrouvés à Sault-Sainte-Marie, Brantford et Moose Factory. «C’était voulu ainsi» de séparer les familles. Mais par qui précisément? Pour l’avocat de la nation crie, «ce projet de génocide» dirigé par les divers gouvernements canadiens était «exécuté par les églises, en anglais.»

Occasions manquées de rapprochements

On aurait pu penser, naïvement peut-être, qu’une certaine solidarité entre francophones et Autochtones aurait pu exister, les deux communautés étant minoritaires. Si Roméo Saganash est d’accord avec cette façon de voir les choses, puisque les deux communautés craignaient la destruction, Marie-Pierre Bousquet est plus tranchante. 

«En général, les minorités ne s’allient pas entre elles, sauf si elles ont des intérêts communs et des affinités culturelles. Les francophones ne connaissaient pas plus les Autochtones que les anglophones.» La non-connaissance des langues des uns et des s’est traduite en de multiples solitudes. «Sans se connaître, sans se comprendre, comment s’allier?»

Toutes ces blessures pourront-elles cicatriser un jour? Des alliances sont-elles encore possibles? À une telle question, l’ex-député est… lucide, diront certains. Un peu pessimiste, pourront dire d’autres. 

D’après Roméo Saganash, il y a eu peu de tentatives de rapprochement après les pensionnats, entre Franco-Ontariens et Autochtones. Les priorités économiques, politiques, juridiques ont pris la relève. 

Pourtant, la crise climatique, «devrait nous inciter à prendre notre survie, celle de nos enfants et petits-enfants, plus sérieusement que ne le font nos dirigeants actuels. Il me semble que les rapprochements deviennent de plus en plus difficiles et compliqués.»