le Samedi 19 avril 2025
le Mardi 2 janvier 2024 12:48 Chronique «esprit critique»

La pauvreté, une réalité toujours bien ancrée et dévastatrice

Souvent synonyme de dépendance, la pauvreté conduit nécessairement aux niveaux local et national à s’interroger sur des inégalités persistantes telles que l’exclusion, la solitude, le racisme, le sexisme et d’autres formes de discrimination. Photo : Archives - Gabrielle Beaupré
Souvent synonyme de dépendance, la pauvreté conduit nécessairement aux niveaux local et national à s’interroger sur des inégalités persistantes telles que l’exclusion, la solitude, le racisme, le sexisme et d’autres formes de discrimination. Photo : Archives - Gabrielle Beaupré
Elle transcende les frontières géographiques, culturelles et socioéconomiques. Malgré les effets positifs de la mondialisation, elle touche des millions de vies à travers le monde. Plus qu’une simple privation matérielle, la pauvreté va de l’insuffisance des ressources jusqu’à l’exclusion sociale, voire à la privation des droits fondamentaux.
La pauvreté, une réalité toujours bien ancrée et dévastatrice
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Complexe, dévastatrice, donc, la pauvreté est aussi une réalité persistante : elle soulève des questions cruciales quant à son origine, son impact sur les individus et les communautés et aux moyens de la combattre.

Contre le réductionnisme

Tenter de définir la pauvreté n’est guère simple, car certains critères peuvent être considérés comme injustes pour celles et ceux qui la subissent. Sur le plan matériel et économique, elle est souvent déterminée selon le revenu par habitant ou la consommation. D’autres parleront de pauvreté relative par rapport au niveau moyen de la société et de pauvreté absolue pour le niveau minimal nécessaire afin d’assurer les besoins essentiels. Or, ces critères ne tiennent pas compte d’autres nécessités et de facteurs comme les variations du coût de la vie. S’ajoute à cela que la pauvreté peut aussi être considérée, avec raison, comme une privation culturelle et spirituelle et, par conséquent, un problème d’éducation. 

Souvent synonyme de dépendance, la pauvreté conduit nécessairement aux niveaux local et national à s’interroger sur des inégalités persistantes telles que l’exclusion, la solitude, le racisme, le sexisme et d’autres formes de discrimination. L’ampleur mondiale du phénomène n’incite pas moins à questionner les disparités entre les pays développés et ceux en voie de développement. Preuve en est que, selon les chiffres du Fonds monétaire international (FMI) en date d’avril 2023, l’Afrique abrite les dix pays les plus démunis de la planète — le Burundi serait le plus pauvre du monde avec un PIB par habitant d’environ 300 dollars canadiens. 

National ou mondial, un fait demeure : la pauvreté est un phénomène complexe qui englobe des questions de justice sociale, de redistribution des ressources et d’impact des politiques économiques définies en fonction d’intérêts de classe ou de manière ethnocentrique et perçues comme telles. On conçoit bien ici une relation délicate, mais nécessaire, entre les aspects économiques, sociaux et culturels afin de définir et comprendre la pauvreté, tant ses origines diverses que ses effets multiples sur les populations. 

À problème global, vision globale

Les causes de la pauvreté sont donc aussi complexes et diverses que ses conséquences. Aux inégalités économiques, aux barrières systémiques limitant l’accès à l’éducation, à la santé et à l’emploi; bref, aux dimensions multiples à l’origine de la pauvreté, seule une vision inclusive et intégrée du problème est susceptible de répondre et de maintenir l’espoir qu’aucun être humain ne soit entravé par les chaînes de la pauvreté. C’est d’ailleurs dans cette quête de solutions que des initiatives nationales et internationales jouent un rôle crucial. 

Au Canada, il existe de nombreux organismes de bienfaisance et de lutte contre la pauvreté : Centraide, les Banques alimentaires du Canada, L’Armée du Salut, la Croix-Rouge ou encore Shelter… Des organismes tels que le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), l’UNICEF, le FMI, la Banque mondiale, OXFAM, le Programme alimentaire mondial, Médecins sans frontières, ainsi que diverses ONG œuvrent sans relâche contre la pauvreté sous toutes ses formes. Cependant, il est pertinent de réfléchir aux limites de tous ces efforts, du moins à la nécessité d’innover et d’adapter les approches pour des résultats plus efficaces. 

Dans la mesure où les besoins des personnes évoluent, la pauvreté nécessite de prendre en compte de nombreuses transformations sociales et technologiques. Les méthodes et les programmes qui étaient adaptés par le passé ne le sont pas nécessairement aux défis actuels. À titre d’exemple, puisqu’il est désormais urgent de réduire les effets sanitaires et environnementaux sur les individus et les populations, cela implique par conséquent de promouvoir des modes de vie plus adaptés, sans quoi les victimes de la pauvreté risquent d’être oubliées de cette grande mutation historique. 

Le remède : l’éducation

Moteur essentiel de la «transformation sociale», comme disait le pédagogue américain John Dewey (Démocratie et éducation, 1916), l’éducation occupe une place centrale dans le combat contre la pauvreté. Elle offre non seulement un moyen de rompre le cycle de la misère, mais constitue la clé de l’autonomie. Conditionner la pauvreté à l’éducation, c’est miser sur des valeurs, des savoirs, sur des stratégies éducatives inclusives, collaboratives, interdisciplinaires. 

C’est une rengaine à la mode depuis des décennies. Certains ont résisté de toutes leurs forces comme Ivan Illich (Une société sans école, 1970)… Mais ce n’est pourtant pas moins vrai : l’éducation est un investissement à long terme dans le capital humain et dans les intelligences collectives; c’est une valeur cardinale et conforme à la nécessité de traiter et de remédier à la pauvreté en tant que problème global. Elle offre des solutions durables en renforçant les capacités des individus à contribuer significativement à la société et à améliorer leur qualité de vie.

Penser l’avenir sans pauvreté implique d’investir dans des politiques éducatives équitables; des mesures susceptibles de déboucher sur des possibilités d’emploi inclusives et de s’attaquer aux inégalités structurelles qui maintiennent des segments entiers de la population dans la précarité. Toutes les études le montrent : la pauvreté révèle la nécessité d’une action coordonnée et urgente pour un avenir où la dignité humaine doit prévaloir sur l’adversité économique. Avec la santé, le travail, la sociabilité et l’accès au logement, que John Rawls qualifie de «bien premiers» stimulant l’estime de soi (Théorie de la justice, 1971), l’éducation constitue la voie permettant de délivrer du fardeau de la nécessité… afin de pouvoir goûter à la liberté. Comme de raison, et malgré tous les débats qu’une intervention de l’État peut susciter, c’est donc aux pouvoirs publics que revient l’objectif de fournir une éducation capable de contribuer au développement individuel et social. 

Une autre pauvreté…

Je viens de parler de la pauvreté comme d’un problème global, de la nécessité de politiques éducatives pour y remédier et du rôle central de l’État… Mais comment oublier le pédagogue? La relation directe et privilégiée qu’il entretient avec l’apprenant fait de lui un guide pour aider à combattre la servitude. Enseigner ne repose pas seulement sur le partage d’une langue commune et de savoirs, mais d’un même langage : celui des signes, des gestes, des expressions, des sentiments, de la compréhension. Pour reprendre Emmanuel Levinas (Le temps et l’autre, 1983), enseigner, c’est faire l’expérience d’une autre pauvreté, celle de la misère, de la souffrance, des angoisses qui s’expriment dans le visage de celles et de ceux qui nous sont confiés.

Glossaire – Disparité : Absence d’égalité, disproportion