le Samedi 19 avril 2025
le Mercredi 30 octobre 2024 10:22 Chronique

Politiques migratoires et soft power : enjeux canadiens

Afrique Photomontage d’Andoni Aldasoro avec des images de Dan Farrell et Steve Johnson - Unsplash.com
Afrique Photomontage d’Andoni Aldasoro avec des images de Dan Farrell et Steve Johnson - Unsplash.com
Le Canada s'est attaché, ces dernières années, à défendre une image internationale et le gouvernement fédéral, en place depuis bientôt une décennie, avait même affiché, ab initio, une vocation, voire une identité sinon mondiale, du moins internationale!
Politiques migratoires et soft power : enjeux canadiens
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Par le biais d’initiatives diverses, ses liens avec le reste du monde, notamment avec l’Afrique, ne se sont pas toujours traduits par de meilleurs résultats diplomatiques. Ses efforts se sont confrontés à des défis à la fois internes et internationaux. Sur le plan interne et transnational, particulièrement, l’actualité récente au pays est révélatrice de certains de ces défis, si l’on en croit les débats sur le plafonnement du nombre de migrants accueillis. 

Au moment où commence à tomber la fièvre des rentrées universitaires et que monte celle des rentrées électorales, il nous paraît opportun de tracer un trait d’union entre les orientations gouvernementales, en cours ou annoncées, en matière d’immigration et les réalités des établissements postsecondaires en contexte minoritaire, et ce, dans une perspective africaine. 

Une volonté politique certaine…

Nul doute que les initiatives aussi volontaristes que l’accord de partenariat 2021 entre le Canada et la Chambre de commerce africaine, les programmes d’investissement pour soutenir le développement durable en Afrique et les autres mesures prises pour accompagner les processus de transformation du continent vers une croissance économique inclusive et durable ont cherché à renforcer les relations commerciales et d’investissement avec les nations africaines. 

Cependant, l’instabilité politique et les crises dans divers pays africains compliquent ces efforts. Les conflits internationalisés comme la lutte de la RDC contre la milice M23 sont, entre autres, des menaces à la diplomatie économique et commerciale. Le gouvernement canadien a réagi en augmentant l’aide humanitaire, comme en témoigne son engagement de 200 millions de dollars en 2023 pour les secours d’urgence dans les zones de conflit comme le Sahel et la Corne de l’Afrique. 

Qu’en est-il de ce volontarisme et de cet humanisme du point de vue de l’éducation? 

Rappelons que le Canada est depuis longtemps une des destinations privilégiées des immigrants, y compris des étudiants internationaux originaires d’Afrique. Le pays a accueilli depuis plusieurs décennies des millions d’immigrants avec une politique migratoire volontariste qui vise à attirer environ 500 000 nouveaux résidents permanents par an d’ici 2025, selon le Plan des niveaux d’immigration 2023-2025 du gouvernement du Canada.

Face au problème de reconnaissance de la formation et des diplômes étrangers, le gouvernement canadien a récemment pris des initiatives afin de faciliter les transitions pour les étudiants et les professionnels internationaux. Preuve, s’il en fallait, de la contribution des établissements postsecondaires au tissu économique et social du pays. En 2023, selon Affaires mondiales Canada, les étudiants étrangers ont en effet apporté plus de 22 milliards de dollars à l’économie canadienne, soit 1,2% du PIB, les étudiants africains représentant une part importante de ce chiffre. 

Toutefois, la récente poussée migratoire a soulevé des inquiétudes quant à la pression exercée sur les ressources publiques. La décision du gouvernement de stabiliser la croissance du nombre d’étudiants étrangers, en fixant un plafond de 360 000 permis d’études pour 2024, reflète ces préoccupations. Bien que cette mesure vise essentiellement les étudiants du premier cycle, elle représente néanmoins une réduction d’environ 35 % par rapport au nombre de permis d’études délivrés en 2023. Selon Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC), l’objectif est de s’assurer que les infrastructures publiques, y compris le logement et les soins de santé, parviennent à soutenir les populations nationales et internationales sans compromettre la qualité des services.

Il faut s’attendre à ce que les prochaines élections fédérales donnent lieu à des débats sur la manière dont le Canada devrait gérer cet afflux de migrants, sans trahir ses engagements humanitaires. L’offre politique des partis à l’échelle nationale devra distinguer ces derniers de ceux qui démontreront ou non leur capacité à assurer un équilibre entre les avantages des talents et des migrations internationales et les pressions exercées sur le logement et les soins de santé, en particulier dans des provinces comme l’Ontario, la Colombie-Britannique et même le Québec. 

Ce souci d’équilibre au niveau macro n’épargne pas la micropolitique à l’intérieur des provinces. La rationalisation des stratégies migratoires annoncée et énoncée souligne, en effet, la nécessité d’une convergence entre les politiques nationales d’immigration et les besoins des établissements, en particulier ceux qui sont situés en milieu minoritaire. Certains établissements comme le Campus Saint-Jean, par exemple, se sont engagés à réduire les frais de scolarité afin d’attirer davantage d’étudiants étrangers, y compris d’Afrique. Cet ajustement est crucial pour aider ces établissements à rester compétitifs à l’échelle mondiale tout en relevant les défis budgétaires auxquels ils font face.

Une cohérence géopolitique incertaine

En 2024, le Canada s’est classé parmi les cinq premières destinations mondiales pour les étudiants internationaux, les étudiants africains représentant une proportion croissante de cette cohorte, d’après les données du Bureau canadien de l’éducation internationale. La majorité d’entre eux viennent de pays comme le Nigéria, le Maroc et l’Algérie, attirés par la qualité de l’enseignement, l’environnement multiculturel et les possibilités d’emploi après l’obtention du diplôme au Canada. Ce nombre croissant d’étudiants africains dans les universités canadiennes traduit sans aucun doute le renforcement de la soft power canadienne. 

Les universités canadiennes sont en effet devenues des instruments de puissance pour un Canada qui se veut «de retour» sur la scène mondiale, projetant des valeurs telles que l’inclusion, la démocratie et le respect des droits fondamentaux. Les établissements comme l’Université de Toronto, l’Université McGill, l’Université de la Colombie-Britannique et, bien sûr, l’Université de l’Alberta sont réputés pour leur excellence académique, ce qui les rend attrayants. 

En outre, les bourses d’études et les partenariats internationaux, tels que la Bourse du Jubilé de diamant de la Reine Elizabeth II (QES), ont renforcé l’attrait du Canada en offrant aux étudiants africains la possibilité de poursuivre des études supérieures et des recherches au Canada. La Bourse QES permet d’ailleurs à l’Université de l’Alberta d’accueillir au Campus Saint-Jean deux jeunes professeures venues de l’Université Kara, au Togo, pour un séjour de recherche.

C’est dire toute l’importance de l’enjeu actuel sur l’attractivité du Canada pour l’internationalisation de ces établissements, la réduction des frais de scolarité faisant dès lors partie d’une stratégie plus large visant à rester compétitifs et à attirer des talents internationaux. 

En considérant la capacité à être le bien qui satisfait aux besoins du monde, à maints égards, dont à l’égard de la culture, de pratiques exemplaires et même à l’égard des modèles gagnants, comme partie intégrante de la soft power, le système d’éducation renforce les liens diplomatiques, économiques et culturels au niveau international. Les diplômés africains des universités canadiennes retournent souvent dans leur pays d’origine avec une perception positive du Canada, permettant ainsi la diffusion et la valorisation du modèle d’éducation et de formation canadien dans ces pays où les modèles français et anglais assurent leur hégémonie historique.

Le Canada face au mythe de l’âne du Buridan : internationalisation nécessaire et rationalisation urgente 

Autant la ruée vers le Canada d’étudiants étrangers constitue une occasion pour sa soft power, autant cette attractivité s’accompagne de contraintes certaines. Dans un contexte d’inflation, le coût de la vie de plus en plus élevé dans les villes comme Vancouver ou Toronto et la capacité limitée à s’offrir un logement décent sont des réalités qui vont peser sur la décision des étudiants internationaux ou des finissants étrangers du Canada. Ces derniers pourraient être influencés par le processus très complexe de reconnaissance des diplômes et des acquis étrangers, lesquels compliquent généralement l’accès au marché du travail. 

À des fins de pertinence sociale, les réformes des politiques migratoires en cours devront intégrer cette dimension si elles veulent confirmer le Canada comme la destination de choix des talents internationaux. En même temps, les réformes audacieuses sont incontournables au sein des établissements postsecondaires afin d’assurer l’attractivité des programmes et donc des étudiants, tout en relevant le défi de la rétention de ces derniers. De manière plus large, des partenariats à la fois intergouvernementaux et internationaux, associant les établissements postsecondaires, gagneront à inscrire le soutien prédépart, la capacité d’accueil et d’insertion, ainsi que l’accompagnement à la carrière des étudiants internationaux dans une stratégie inclusive de soft power. L’image du Canada dans le monde s’y jouera aussi!