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le Mercredi 26 février 2025 12:34 Éducation

Où sont les leadeurs noirs en éducation en Alberta?

«En Alberta, pour accéder à un poste de direction, il faut souvent une maîtrise et ces formations coûtent cher», souligne Samira ElAtia. Photo : Archives Le Franco
«En Alberta, pour accéder à un poste de direction, il faut souvent une maîtrise et ces formations coûtent cher», souligne Samira ElAtia. Photo : Archives Le Franco
Malgré une diversité croissante au sein de la population albertaine, celle-ci rime plutôt avec invisibilité en ce qui concerne les postes de leadeurship détenus par des personnes noires, en particulier les femmes. Samira ElAtia, professeure et chercheuse au Campus Saint-Jean, et Komla Essiomle, doctorant et chercheur, se sont penchés sur la question.
Où sont les leadeurs noirs en éducation en Alberta?
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IJL – RÉSEAU.PRESSE – LE FRANCO

«La recherche a beaucoup plus progressé du côté des États-Unis et au Royaume-Uni, mais, par contre, ici, au Canada, c’est un sujet qui demeure inexploré», affirme Komla Essiomle. Ce manque de données est d’autant plus surprenant que la question de la représentation des minorités visibles, notamment des Noirs, dans les postes de leadeurship est un enjeu majeur.

Avec Samira ElAlia, sa directrice de thèse, et Leticia Nadler, Komla Essiomle a signé un article paru récemment dans l’International Journal of Education Policy and Leadership. Cet article portait sur une analyse fine des parcours professionnels des femmes dans l’enseignement en fonction de leur âge, du sexe, de la maternité et de l’origine ethnique. 

Dans le cadre de la recherche, quelque 600 personnes issues du monde de l’enseignement ont été sondées. Après avoir éliminé les données de certaines personnes qui n’avaient pas répondu à toutes les questions, les chercheurs ont gardé les réponses de 416 personnes, hommes et femmes racisés et non racisés. À ce sondage se sont ajoutés des groupes de discussion composés principalement de femmes, soit une centaine de personnes.

L’étude a permis de se consacrer à connaitre la façon dont ces enseignants et enseignantes progressent dans leur carrière.

L’article Examining Career Paths of Women in Educational Leadership: The Impact of Age, Gender, Maternity and Parental Leaves a notamment été cosigné par le chercheur Komla Essiomle. Photo : Courtoisie

Des chiffres inquiétants sur la diversité en leadeurship

Les données recueillies dans le cadre de cette recherche menée par Samira ElAtia et ses collègues révèlent une sous-représentation criante des minorités visibles dans les postes de leadeurship en Alberta, notamment dans les postes de directions d’école.

«Quand on a commencé à poser des questions sur la façon dont les gens s’identifient, on a constaté que les minorités visibles, y compris les Autochtones, ainsi que les personnes 2ELGBTQ+, représentent moins de 5 % des leadeurs, explique M. Essiomle. Et parmi eux, les Noirs sont encore moins nombreux, avec des chiffres frôlant le 0,7 %.»

Ce manque de représentation est d’autant plus frappant que, dans certaines salles de classe, jusqu’à 60 % des élèves sont issus de minorités visibles. «Pourtant, ces élèves ne voient presque jamais des enseignants ou des directions qui leur ressemblent», constate amèrement Mme ElAtia.

Une triple barrière : racisme, sexisme et âgisme systémiques

La situation est encore plus complexe pour les femmes noires qui doivent surmonter à la fois des obstacles liés au racisme et au sexisme systémiques ainsi qu’à leur âge.

«Nous avons observé que les femmes minoritaires accèdent aux postes de leadeurship beaucoup plus tard que leurs collègues masculins, note Komla Essiomle. À cause des congés de maternité et des responsabilités familiales, elles accusent souvent un retard de cinq ans sur leurs collègues masculins pour atteindre des postes de direction.»

De son côté, Samira ElAtia souligne également la persistance des stéréotypes de genre qui freinent l’ascension des femmes. «Une femme en leadeurship est souvent perçue comme exigeante, autoritaire, voire trop ambitieuse, alors qu’un homme dans la même position sera vu comme compétent et déterminé.»

Une réticence à postuler aux postes de leadeurs

Un autre facteur majeur expliquant la faible représentation des Noirs dans le leadeurship scolaire est la réticence des candidats potentiels eux-mêmes.

Mme ElAtia partage un témoignage frappant. «Robert Lessard, qui est à la tête du Conseil scolaire Centre-Nord, m’a demandé personnellement comment encourager les jeunes femmes immigrantes à se présenter à des postes de leadeurship? La réalité, c’est qu’elles refusent. Elles préfèrent rester enseignantes plutôt que d’affronter des obstacles supplémentaires.»

L’une des barrières les plus importantes à l’accession aux postes de leadeurship est la nécessité de suivre des formations avancées. «En Alberta, pour accéder à un poste de direction, il faut souvent une maîtrise et ces formations coûtent cher», souligne la professeure. Pour une personne immigrante qui doit déjà gérer les coûts de la vie, payer une hypothèque ou encore subvenir aux besoins de sa famille restée au pays, retourner aux études représente un défi économique énorme.

Les deux universitaires s’entendent pour dire que le manque de réseaux professionnels est un autre facteur déterminant. «Les enseignants noirs ont moins d’accès à des mentors et à des opportunités de réseautage qui leur permettraient de progresser dans leur carrière», souligne le chercheur Essiomle.

Samira ElAtia est professeure et chercheuse en éducation au Campus Saint-Jean, à Edmonton. Photo : Courtoisie

Un espoir pour l’avenir?

Malgré ces constats préoccupants, Mme ElAtia et M. Essiomle restent optimistes quant à l’avenir.

«Il y a des alliés conscients du problème, explique Mme ElAtia. Des gens comme le directeur [général] Lessard et certains dirigeants scolaires veulent vraiment voir du changement. Ils cherchent activement à encourager la diversité.»

Il faut aussi, selon la professeure ElAtia, que des centres de formation des enseignants comme le Campus Saint-Jean soient conscients de cette diversité et intègrent dans leur enseignement des notions de courage afin que les étudiants racisés soient mieux armés face au parcours qui les attend. «Une autre solution essentielle réside dans la formation continue», de renchérir Komla Essiomle.